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Internationale de l'Education
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La classe inversée

Publié 24 septembre 2012 Mis à jour 15 octobre 2012
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L’exemple de la classe inversée (Flipped Classroom), dans laquelle le rôle de l’enseignant(e) est remplacé par la technologie, est une bonne illustration de cette nouvelle tendance en pleine évolution. La classe inversée offre-t-elle vraiment une solution gagnant-gagnant aux enseignant(e)s, aux élèves, aux parents, aux responsables d’établissements scolaires et en particulier aux autorités? Quels éléments les enseignant(e)s et leurs syndicats devraient-ils prendre en considération lorsqu’ils doivent trouver un compromis entre le plaidoyer, d’une part, en faveur des technologies de l’information et de la communication (TIC) comme outil pédagogique et, d’autre part, contre les TIC en tant que substitut à l’enseignement.

Imaginez la scène suivante: Yuko, 15 ans, arrive chez elle après une journée passionnante à l’école. Elle allume son ordinateur et sélectionne une vidéo sur Youtube en cliquant sur le lien que lui a envoyé son enseignant de français Monsieur Dumont.

Le voici, expliquant la conjugaison des verbes à l’imparfait. Après avoir regardé la vidéo de vingt minutes, Yuko pense ne pas avoir totalement compris la partie de la vidéo sur la conjugaison des verbes se terminant par -ir. Elle sélectionne à nouveau cette partie de la vidéo qui montre, comme par magie, la conjugaison de verbes en -ir devant l’aimable Monsieur Dumont. « J’ai compris! », crie triomphalement Yuko.

L’expérience pédagogique de Yuko n’est pas unique. Cette façon de suivre les cours à la maison, à travers la diffusion de podcasts vidéo ou « vodcasting », tout en participant à des travaux plus interactifs avec les enseignant(e)s à l’école, est en train de modifier discrètement le fonctionnement de l’enseignement, dans un mouvement appelé « la classe inversée ».

Pourquoi « inverser » la place des devoirs à la maison et des cours ?

Le principal argument est de tirer pleinement profit du temps précieux passé en classe en mettant l’accent sur l’interaction entre enseignant(e)s et étudiant(e)s. Beaucoup d’enseignant(e)s constatent qu’après avoir présenté un nouveau cours, les étudiant(e)s n’ont que très peu de temps pour poser des questions. Ainsi, les étudiant(e)s doivent, sans avoir complètement compris le cours, faire des devoirs à la maison sur les nouvelles connaissances qu’ils n’ont pas totalement acquises. Les nouvelles technologies offrent désormais aux enseignant(e)s une solution à ce problème.

Ce principe fondamental est exposé dans le Flipped Class Manifest, co-écrit par Jon Bergmann et Aaron Sams, les deux enseignants qui ont lancé le mouvement de la classe inversée: « Dans la plupart des classes inversées, il y a un transfert actif et intentionnel d’une partie de la communication de l’information à l’extérieur de la salle de classe dans le but de libérer du temps pour mieux tirer profit de l’interaction en face à face à l’école. »

Le petit mouvement discret d’enseignant(e)s pratiquant l’enseignement inversé prit de l’ampleur lorsque la Khan Academy, une organisation californienne dirigée par Salman Khan, commença à réaliser à grande échelle des cours sur vidéo. Sa collection de plus de 2.600 vidéos couvre des matières, telles que les maths pour les élèves en dernière année d’enseignement secondaire, les matières scientifiques, mais également les sciences humaines. Ces vidéos sont partagées librement, et Khan bénéficie également d’une importante contribution financière de la Bill & Melinda Gates Foundation et Google.

Lors de sa présentation TED de mars 2011,2 Khan a expliqué comment son organisation exploitait au maximum les capacités offertes par la technologie en permettant non seulement aux étudiant(e)s de visionner des cours sur vidéo à la maison, mais également de faire leurs devoirs en classe avec l’enseignant(e) à leur côté pour les aider. L’enseignant(e) suit les travaux de chaque étudiant(e) sur son écran et peut aller l’aider si nécessaire. Comme tout est informatisé, l’évolution de l’apprentissage de chaque étudiant(e) ET les réactions de l’enseignant(e) sont compilées et analysées.

Quels sont les avantages de la classe inversée, outre le gain de temps passé en classe en faveur de l’interaction entre enseignant(e)s et étudiant(e)s ?

Regarder les cours sur vidéo, permet aux élèves de revenir à la partie qu’ils n’ont pas comprise. Le gain de temps en classe peut être consacré à des activités plus interactives en complément aux cours vidéos. Les résultats sont encourageants: A la Clintondale High School près de Détroit avant l’adoption du concept, 50% et 44% de ses élèves en première année échouaient respectivement en anglais et en maths. L’établissement scolaire comptait également 736 cas d’indiscipline par semestre. Après l’introduction de la classe inversée, le pourcentage d’échec est passé à 19% pour l’anglais et à 13% pour les maths. Le nombre de cas d’indiscipline est descendu à 249.

La classe inversée EST peut-être l’avenir de l’enseignement. Peut-être pas.

Les partisans de la classe inversée utilisent souvent les vidéos de sciences exactes et de maths pour démontrer le succès du concept. Toutefois, très peu d’enseignant(e)s sont convaincu(e)s de la pertinence de la vidéo en ce qui concerne l’enseignement des sciences humaines. Par ailleurs, la division entre sciences et arts n’est pas précise à cet égard. Le fait est que la classe inversée ne fonctionne pas pour toutes les matières ou pour tous les cours d’une même matière. Ce n’est pas sa vocation. C’est à l’enseignant(e) qu’il revient de déterminer la meilleure approche pour un cours donné.

Ce qui est inquiétant à propos de cette nouvelle façon d’enseigner, c’est qu’elle suppose qu’un cours est nécessairement une activité unilatérale. Les enseignant(e)s vous diront qu’un cours est une activité pédagogique interactive au cours de laquelle l’enseignant(e) échange avec les étudiant(e)s, ainsi qu’une occasion offerte à l’enseignant(e) d’évaluer la compréhension des étudiant(e)s. Transférer toute cette dimension dans une vidéo revient à priver l’enseignant(e) de cette opportunité.

Une autre critique de la classe inversée ne s’adresse pas au concept en lui-même, mais à la version du concept promue par Khan. Une fois la classe inversée, le temps passé par les étudiant(e)s à l’école est consacré à la résolution de problèmes sur des tablettes électroniques où chaque geste est enregistré. La taille des classes est ainsi agrandie dans la mesure où l’enseignant(e) vérifie le travail sur un écran. En ces temps de réduction des ressources, cette version de la classe inversée est considérée comme une panacée économique et éducative.

Quel intérêt pour les syndicats ?

Certains syndicats aux Etats-Unis commencent à réagir à la façon dont quelques groupes anti-enseignant(e)s utilisent cette approche étroite de la classe inversée pour recruter et licencier des enseignant(e)s sur la base de leur « performance » vis-à-vis du processus d’apprentissage des étudiant(e)s, enregistrée dans les journaux d’activités des serveurs informatiques de l’école.

Il n’existe pas de réponse simple à la question posée dans le titre. La classe inversée est peut-être une mode passagère ou restera uniquement réalisable dans les zones où les enseignant(e)s et les  viennent de milieux socioéconomiques favorisés similaires. Les syndicats devraient, en tous les cas, aborder la question, afin de conseiller leurs membres, mais aussi, avant toute chose, afin d’éviter que le concept ne soit utilisé comme une arme pour tuer la profession enseignante.