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Internationale de l'Education
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Recourir à la recherche pour élaborer des politiques

Publié 12 juillet 2013 Mis à jour 30 juillet 2013
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Experts, mais pas tant experts que ça après tout?

Récemment, des chercheurs de l’Université de Cambridge possédant une longue expérience en matière de programmes et d’évaluation, Andrew Pollard et Mary James, ont été nommés par l’actuel secrétaire en charge de l’éducation, Michael Gove pour diriger un panel d’experts chargé de donner des conseils sur la réforme à venir des programmes scolaires suite au rapport d’Oates. Leurs recommandations en faveur de vastes programmes équilibrés ont été ignorées et les arts se sont même trouvés en danger d’exclusion totale des projets de programmes d’étude. Il en va de même pour d’autres matières ignorées et remplacées par d’autres imaginées par le gouvernement. Dans leur lettre commune de démission, Pollard et James justifient leur décision à cause de leur inquiétude

« à propos de la direction que le département [de l’éducation] semble prendre. Certaines de ses directions vont à l’encontre de résultats de recherches britanniques et internationales et ne peuvent pas se justifier d’un point de vue éducatif ».

Les véritables leçons à tirer des comparaisons internationales

En réalité, notre expérience nous apprend que les leçons à tirer des pays voisins du Pacifique, de cette région et d’ailleurs sont très différentes de celles adoptées par le gouvernement britannique qui semble ne choisir que les résultats soutenant leurs orientations idéologiques.

A Singapour par exemple, des réformes telles que « Enseignez moins: Apprenez davantage » se sont basées sur la prise de conscience grandissante, soutenue par des recherches, selon laquelle la collaboration, la prise de risque et la pensée stratégique sont des éléments essentiels dans l’éducation des jeunes et que dans une société d’information, le fait de « savoir comment » accéder à l’information était plus important que le fait de« savoir ». Singapour a investi des millions de dollars pour mettre en œuvre ces évolutions pédagogiques qui entrainent une plus grande interaction entre étudiant(e)s.

A Hong Kong, la réforme de pointe, Apprendre à apprendre, a adopté une perspective similaire pour l’éducation du 21e siècle. Dans le primaire, Hong Kong a réduit la taille des classes qui sont passées d’environ 38 élèves à entre 20 et 25 enfants et est déterminé à mettre en place un changement pédagogique semblable à celui de Singapour. Suite aux recommandations de chercheurs/euses, six principes pédagogiques basés sur une approche constructiviste sociale sont désormais intégrés à la plupart des programmes scolaires. Au niveau secondaire supérieur et universitaire, l’ancien système 3-4-3 hérité des Britanniques a été remplacé par un système 3-3-4 de façon à ce que les examens de niveau « ordinaire » et « avancé », passés à l’âge de 16 et 18 ans, aient été supprimés et remplacés par un diplôme de fin d’études unique obtenu à l’âge de 17 ans. La formation universitaire de 4 ans débute désormais avec une année de détermination flexible. Les étudiant(e)s qui manquent cette entrée à l’université peuvent obtenir un diplôme pendant que les étudiant(e)s de première année suivent l’année de détermination, et s’ils l’obtiennent, ils peuvent rejoindre le programme en deuxième année.

A Hong Kong, la recherche, et notamment la recherche financée par le gouvernement est caractérisée par la réceptivité aux découvertes des expert(e)s et la volonté d’adopter les recommandations des chercheurs/euses. Des commentaires moqueurs sur la recherche « académique » et universitaire, comme à l’époque des années Thatcher et même après au Royaume-Uni, n’ont pas lieu d’être dans ce pays.

Dans certains pays en voie de développement, les conseils des expert(e)s semblent compter également davantage qu’au Royaume-Uni. Par exemple, le Ministre ghanéen a adopté les principes du leadership pour l’apprentissage qui ont fait l’objet dans ce pays de recherches par une équipe de Cambridge pendant trois ans et demi.

Tandis que l’approche sélective des résultats des recherches portant sur l’efficacité de l’école a été mise au service d’initiatives gouvernementales préconçues, des pays moins ouverts à un dialogue entre chercheurs/euses et décideurs/euses, et notamment des pays dits « en voie de développement », adoptent souvent une attitude moins dogmatique vis-à-vis de la communauté des chercheurs/euses. Et d’autres pays performants comme la Finlande, Singapour et la Nouvelle-Zélande adoptent une approche plus nuancée par rapport aux « effets » de l’école et aux résultats de la recherche en général. Il est intéressant de noter qu’en Nouvelle-Zélande, l’équipe du Ministre de l’Education dirigée par le professeur Alton Lee ne se contente pas seulement de lire les documents d’études approfondies, contrairement à certaines analyses qui ne se basent que sur de l’abstrait, mais font tester les conclusions dans les écoles pour que la théorie et les résultats empiriques soient confrontés à la réalité du  terrain. Cette approche est très différente de celle qui est mise au service de la politique dans des pays comme le Royaume-Uni.

Ce n’est pas comme en l’Angleterre, où après un an et demi de travail sur la réforme des programmes d’étude, la plupart des recommandations du groupe d’experts ont été ignorées par le gouvernement. Après avoir donc nommé les meilleur(e)s expert(e)s du pays sur les programmes d’étude et l’évaluation, le ministre a de toute évidence décidé qu’il en savait davantage puisqu’il avait lui-même été à l’école. Les résultats de ses recherches reposent en effet sur un échantillon stratifié unique. Recourir à la recherche pour élaborer des politiques ? La réponse est peut-être négative.

Nous avons demandé au professeur émérite John MacBeath et au professeur Maurice Galton de l’Université de Cambridge de nous donner leur avis sur l’histoire récente du destin de la recherche en éducation commanditée par le gouvernement anglais, notamment sur tout ce qui concerne les réformes pédagogiques et des programmes. John et Maurice sont tous deux des chefs de file dans la recherche sur l’auto-évaluation scolaire, le leadership et l’enseignement primaire.

Nous estimons que ce domaine de recherche est essentiel pour la profession enseignante dans le monde car les gouvernements affirment de plus en plus souvent que leurs réformes éducatives se basent sur des résultats de recherches réalisées dans d’autres pays et issus d’études internationales. Nous souhaitons recueillir votre témoignage sur l’utilisation des résultats dans l’élaboration des politiques éducatives pour savoir s’ils sont utilisés partiellement et simplement comme une arme pour imposer des réformes à caractère politique ou si les gouvernements et les enseignant(e)s s’en servent de la même façon pour réellement améliorer l’apprentissage.

L’histoire se répète dans l’éducation

La pratique fondée sur l’expérience est un terme que les politicien(ne)s aiment utiliser pour justifier leurs politiques éducatives. Au Royaume-Uni, dans les années 1980, sous la première Ministre Margaret Thatcher, David Reynolds, un des principaux promoteurs du courant de « l’efficacité de l’école », a été envoyé à Taiwan pour découvrir les raisons du succès de ce pays dans les classements internationaux. Il en est arrivé à la conclusion que c’était grâce à l’enseignement à toute la classe, malgré le fait que de nombreux autres pays asiatiques où ce système dominait se trouvaient dans le bas des classements internationaux. Par conséquent, les enseignant(e)s du primaire en Angleterre et au Pays de Galles ont dû consacré 60 pour cent d’une leçon à utiliser ce système d’instruction. L’essentiel de cette politique a continué à s’appliquer, bien qu’elle ait été quelque peu modifiée par le gouvernement travailliste suivant et son Standards Unit Head, Michael Barber. Ensuite, suite au retour des conservateurs dans la coalition avec les libéraux démocrates, un autre rapport a été commandé pour savoir quelles leçons tirer des pays asiatiques les plus avancés. Ce rapport a été rédigé par Tim Oates (Tim Oates, Could do better: Using international comparisons to refine the National Curriculum in England, novembre 2010,Cambridge: Cambridge Assessment) du Cambridge Assessment, le groupe examinateur international de l’université. Cette fois-ci, la clé du succès vient de la façon dont le programme est enseigné via les manuels scolaires et son alignement avec les procédures d’évaluation.

Les conseils provenant d’expert(e)s sont souvent rejetés par les ministres anglais. Un exemple est la création du premier programme national pour l’Angleterre. Le comité d’experts du gouvernement conservateur de l’époque, dont faisait partie l’auteur de cet article, Maurice Galton, a recommandé l’intégration de matières au sein d’un noyau composé des mathématiques, de l’anglais et des sciences, de façon à disposer d’un programme d’étude équilibré qui permet d’avoir du temps pour des matières créatives comme les arts, le théâtre et la musique. Ce conseil a été rejeté, le comité a été sommairement écarté et leur projet de rapport a été totalement réécrit par une agence gouvernementale. Toutefois, dans les trois années qui ont suivi l’introduction du nouveau programme d’étude national, le gouvernement devait désigner un « réparateur », Ron Dearing, pour diminuer la surcharge des programmes qui s’en est suivi. Un autre exemple est celui du ministre conservateur qui a invité un universitaire de renommée mondiale, Robin Alexander, à rejoindre le groupe connu plus tard sous le nom de ‘three wise men’ (les trois hommes sages) afin de formuler des recommandations sur l’enseignement primaire après avoir revu les recherches existantes. Par la suite, Alexander a expliqué que de nombreux éléments présents dans le projet de document ont été amendés par l’Inspecteur en chef de l’époque, Chris Woodhead, afin de refléter la vendetta du gouvernement contre tout ce qu’ils considéraient comme des pratiques centrées sur l’enfant, qui par exemple comprenaient le recours au travail de groupe coopératif.

Le nouveau gouvernement travailliste de 1997 s’est avéré être aussi sélectif dans l’utilisation des résultats comme le prouve l’autre auteur de cet article, John MacBeath. Sa participation au groupe de travail du gouvernement sur les normes a été bénéfique. Créé peu après l’arrivée au pouvoir du parti travailliste en 1997 pour servir de forum à un discours politique ouvert, il est rapidement apparu que des limites avaient déjà été établies par rapport aux points de vue jugés corrects. Au mieux, les hérésies étaient écoutées de façon polie et superficielle. Même dans sa fonction d’organe de réflexion pour les politiques embryonnaires, il s’est avéré qu’il offrait de fausses promesses lorsque son président, le Ministre de l’Education, David Blunkett, s’est vu imposer des priorités élaborées et convenues autour de la table de la cuisine du bureau du Premier ministre. Ce n’est qu’en serrant les dents que Blunkett a approuvé le mandat de l’Inspecteur en chef Woodhead.