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Internationale de l'Education
Internationale de l'Education

La douleur est toujours présente...

Publié 20 juin 2005 Mis à jour 20 juin 2005

Le long de la route qui mène de l'aéroport principal d'Ossétie du Nord à Vladikavkaz, la capitale, se trouve un nouveau cimetière. Il a été inauguré l'an dernier pour accueillir les dépouilles de plus de 300 victimes de la prise d'otages de l'Ecole n° 1 de Beslan. C'est un endroit impressionnant. Les murs extérieurs sont décorés d'un mélange de grandes couronnes de fleurs en plastique et de fleurs fraîches, tout comme les murs intérieurs.

Les tombes de chacune des victimes sont recouvertes de fleurs et de jouets ou autres souvenirs des personnes enterrées là.

Ce cimetière est un rappel sans fard de l'ampleur de la tragédie qui a bouleversé la vie des gens de ce coin reculé de la Fédération de Russie voici moins d'un an.

Aujourd'hui, le cimetière n'est pas l'endroit paisible auquel on pourrait s'attendre. Il résonne des bruits des engins de construction que manipulent des ouvriers pour faire du cimetière un monument durable de marbre rouge et gris à la mémoire des défunts. Même le bruit des bétonnières ne saurait couvrir les plaintes d'une grand-mère, venue se recueillir sur les tombes de sa fille et de sa petite-fille, toutes deux décédées durant le siège de Beslan.

La présence de nombreuses concessions abritant plusieurs membres d'une même famille des soeurs, des frères, une mère et sa fille ou son fils, une grand-mère et son petit-fils ou sa petite-fille, voire six enfants d'une même famille est un rappel poignant du fait que cette école servait une petite communauté. Les tombes des enseignants et d'autres travailleurs éducatifs sont mêlées à celles des parents et des élèves. Les stèles funéraires et les croix arméniennes rappellent que cette communauté se compose de musulmans et de chrétiens et que chaque communauté religieuse a été douloureusement frappée dans sa chair par la tragédie.

L'Ossétie du Nord est l'une des plus petites républiques de la Fédération de Russie. Elle est bordée par la Géorgie au sud et la Tchétchénie à l'est. La ville de Vladikavkaz se niche au pied de la vaste chaîne montagneuse du Caucase, d'où elle tire son nom (elle signifie littéralement «au pied du Caucase»). Vladikavkaz est une petite ville au taux de chômage élevé, qui lutte pour se remettre de la disparition de l'industrie minière des environs et des effets des réformes économiques menées en Russie après la chute de l'Union soviétique. Sa principale industrie est aujourd'hui la distillation. La région est l'un des principaux fournisseurs de vodka du marché russe.

Les habitants de la ville et de la région sont un mélange de Slaves et d'autres races. Les religions chrétienne et musulmane sont bien représentées au sein de la population de la ville et des environs. Les gens sont généralement accueillants et amicaux. Leurs activités sociales sont fortement empreintes de traditions. Durant la Seconde Guerre mondiale, la région fut envahie par l'armée hitlérienne en route vers les riches zones pétrolières situées plus au nord et à l'est. Des monuments se dressent à la gloire des héros de la résistance contre l'avancée allemande arrêtée à Grozny en Tchétchénie. Cette région se situe à l'écart des grandes routes touristiques. Avant la tragédie de septembre dernier, les touristes étrangers à la région étaient rares. Il y a peu de concessions à d'autres langues que le russe qui est, naturellement, similaire à l'ossétien. Les panneaux et les avis en cyrillique ajoutent à la sensation d'éloignement ressenti par un visiteur venu d'Europe occidentale.

Beslan est une petite ville aux confins de la capitale. Elle a trois grands projets de construction pour ce qui devrait devenir les trois écoles les plus modernes et les mieux équipées de la Fédération de Russie. Les personnes affectées par la tragédie ont reçu une indemnité de l'État. Une commission spéciale a été instituée afin de superviser la distribution de l'aide. De nombreuses agences étrangères et des organismes caritatifs étrangers ont également apporté une aide aux victimes. Certaines continuent à fournir une assistance matérielle. Cependant, un grand nombre d'enfants ont toujours un avenir incertain. Une petite fille de trois ans a perdu toute sa famille à l'exception de sa grand-mère. Des familles ont perdu leur source de revenus, qui était soit un enseignant de l'école, soit un enseignant venu visiter l'école ce funeste 1er septembre dernier.

Le nouveau Premier ministre de la République soutient que l'un des problèmes majeurs est le traumatisme psychologique subi par les enfants. Il a demandé de l'aide pour organiser des programmes d'orientation et d'autres stratégies destinées à aider les gens et, en particulier, les enfants, à surmonter leur stress post-traumatique.

Visiter l'Ecole n° 1 est le plus que l'on puisse faire pour prendre la mesure de l'horreur vécue par les otages. De loin, les abords de l'école sont identiques à ceux de nombreux établissements du reste de l'Europe. Mais à mesure que l'on se rapproche, on aperçoit le mur qui manque au dessus du gymnase et les poutres noircies de ce qui était la structure du toit se détacher sur le ciel bleu. On voit également des vitres brisées et des impacts de balles. Les tuiles du toit de certaines parties du bâtiment principal ont été frappées par des balles de gros calibre ou des roquettes.

Le gymnase est un bâtiment étonnamment petit qui a abrité près de 1400 otages. Il paraît suffisamment grand pour accueillir à peine le quart de ce chiffre.

Le sol est jonché de bouteilles d'eau en plastique. Elles sont déposées par des parents des victimes pour rappeler que les otages ont été privés d'eau par leurs ravisseurs. La plupart des bouteilles contiennent au moins une fleur. Le panier de basket auquel pendait la bombe qui a finalement explosé et provoqué la panique parmi les otages et le carnage qui s'en est suivi est toujours clairement visible. Le sol est toujours taché du sang des victimes. La porte par laquelle de nombreuses victimes ont vainement tenté de s'échapper dans leur panique est ouverte. Le terrain de la tuerie est désormais envahi par l'herbe.

On se sent comme engourdi dans cet environnement. L'énormité de ce qui s'est passé à cet endroit est presque trop grande pour l'appréhender. La joie d'une communauté scolaire rassemblée pour célébrer le début d'une nouvelle année académique, à l'image de nombreuses autres écoles de l'hémisphère nord au début du mois de septembre, a volé en éclats sous un assaut de violence indicible et inexplicable. La société aime voir ses écoles comme un environnement enrichissant et sûr et non comme des lieux d'exécution, parsemés de bombes et de balles, envahis par des terroristes. La présence d'une chaussure d'enfant, perdue lors d'une tentative de fuite, devenue un souvenir poignant abandonné sur le rebord d'une fenêtre du gymnase et entouré de fleurs, rappelle avec émotion l'âge de la plupart des victimes de la violence qui a embrasé ces lieux.

Les cicatrices de cette tragédie ne guériront probablement jamais pour ceux qui étaient présents lors de la prise d'otages et qui ont survécu. La plupart des enseignants et des élèves de l'Ecole n° 1 ont choisi de rester ensemble et d'aller à l'Ecole n° 2 pour leur rentrée scolaire.

Ils s'apportent mutuellement une aide que seuls peuvent s'offrir ceux qui ont partagé une telle expérience. Ils ont préparé une affiche de tous les enseignants qui ont péri, dont l'ancien directeur de l'école, qui était en visite en ce jour funeste. Tous sont toujours très traumatisés par ce qu'ils ont vécu et ont besoin d'aide. La plupart des enfants continueront probablement à nécessiter un soutien spécial tout au long de leur scolarité, voire, pour certains, une assistance psychiatrique pendant de nombreuses années.

La communauté débat avec vigueur de ce qu'il convient de faire avec l'ancienne école. Certains veulent qu'elle reste en l'état comme un rappel des terribles événements qui s'y sont déroulés. D'autres souhaitent qu'elle soit rasée et remplacée par un mémorial. En réalité, les bâtiments ont été sérieusement endommagés et certaines mesures devront être prises pour éviter leur effondrement. D'autres traces du siège, comme les taches de sang et les marques de la violence, s'estomperont avec le temps. Dans un an ou deux, les gens verront peut-être les choses différemment.

D'autres parents des victimes expriment leur colère dans les rues. Ils manifestent dans le centre de la ville, près des bâtiments publics et veulent la publication du rapport officiel sur la tragédie. Onze manifestants ont entamé une grève de la faim.

Le 3 septembre, une cérémonie commémorative aura lieu à Beslan. Parmi les cérémonies prévues, les autorités régionales ont l'intention d'inaugurer officiellement le nouveau cimetière, comme un monument dédié aux victimes. L'Internationale de l'Education a été invitée à participer aux cérémonies et sera représentée par son président, Thulas Nxesi.

Se rendre à Beslan après cette tragédie est une expérience profondément émouvante. C'est un hommage à la résilience de l'esprit humain que des personnes ayant vécu ces événements extraordinaires puissent reconstruire leur vie. Cependant, il est évident que pour bon nombre de gens de cette communauté scolaire, la tragédie fait toujours partie intégrante de leur vie quotidienne et qu'elle le restera longtemps.

Charlie Lennon, Coordinateur en chef de l'administration de l'IE 15 juin 2005