Ei-iE

Mondes de l'éducation

Le financement des universités, la carotte et le bâton

Publié 5 septembre 2018 Mis à jour 5 septembre 2018

By Sylvain Marois, Chargé de cours, Université Laval. Chercheur autonome.

Le Québec connaîtra ses premières élections provinciales à date fixe le 1 octobre 2018. Pour certains groupes, dont les groupes communautaires, les syndicats et les associations étudiantes, cette date butoir aura été l’occasion de tenter d’exercer, par divers moyens, de la pression sur le gouvernement mais aussi sur les autres partis politiques [1]. Cela dit, une élection à date fixe comporte aussi des avantages pour le gouvernement en place, notamment quant à la date du déclenchement de la campagne. Ainsi, après 4 ans de politiques d’austérité, le parti Libéral du Québec – le gouvernement actuellement en place –, a accumulé des milliards… sur le dos des citoyens en coupant dans les services publics, notamment en éducation. Il faut se rappeler que lors du printemps Érable de 2012, une des revendications visait la révision du financement des universités. En particulier, les manifestants citaient les salaires (et autres avantages) des hauts dirigeants des universités québécoises. À la veille des élections, le gouvernement dépose une « nouvelle grille de financement » des universités. Une bonne nouvelle, les recteurs et autres hauts dirigeants « perdront » certains avantages dignes de la haute bourgeoisie, mais, dans les faits, le mal est fait et il n’y aura pas de véritables restrictions, du moins pas de l’ordre de ce qui était souhaité. Si cette nouvelle grille semble vouloir surveiller un peu plus la rémunération de « chefs d’établissement », l’ensemble de cette grille révisée est une catastrophe.

La carotte

Les universités québécoises crieront victoire car leurs subventions de fonctionnement seront augmentées. Victoire car l’augmentation moyenne des subventions de fonctionnement sera autour de 11,3% par rapport à 2016-2017 [2]. 11% d’augmentation peut sembler une bonne nouvelle, mais considérant les compressions de près d’un milliard depuis 2012, cette « augmentation » est loin de combler le manque à gagner dans un budget sauvagement amputé. La véritable bonne nouvelle est pour les administrations. En effet, la formule de financement sera simplifiée et les universités pourront décloisonner les droits de scolarité des étudiants internationaux (EI), en plus de pouvoir conserver ses sommes [3]. On peut ainsi comprendre l’extase avec laquelle la rectrice de l’Université McGill (qui attire le plus grand nombre d’étudiants internationaux) a reçu cette « bonne nouvelle » [4].

Cette approche, hélas courante ailleurs dans le monde, aura au moins deux impacts négatifs directs sur les universités québécoises: la course aux EI et l’iniquité exponentielle entre les universités des grandes villes (Québec et Montréal) et les autres universités (membres du réseaux de l’Université du Québec et présentes sur tout le territoire du Québec). Mais d’abord et avant tout, cette approche du financement des universités découle directement de la nouvelle gestion publique et d’une conception managériale issue de l’entreprise privée voulant que la compétition engendre l’émulation et que cette dernière assure la qualité. Encore une fois, c’est l’esprit (sinon la lettre!) du privé qui guide les orientations gouvernementales qui affectent nos universités. Outre les ententes entre certains pays (France et Belgique, par exemple), c’est près de 25% des EI venant étudier au Québec qui seront touchés. Bien entendu, ce qui est souhaité ici n’a rien à voir avec le bien-être des universités (ni des étudiants d’ailleurs), mais bien avec des économies, soit près de 13 millions de dollars pour le gouvernement. Même si le gouvernement parle de soutenir les universités francophones, McGill continuera de rafler la part du lion. N’est-ce pas cette dernière qui se classe si bien dans les fameux palmarès internationaux ?

Le bâton

Rien de bien original, le gouvernement au pouvoir depuis quatre ans, quatre longues années d’austérité, profite de la campagne électorale pour distribuer, ici et là, des cadeaux, notamment aux amis du pouvoir. Les universités (et les collèges) sont de plus en plus vues comme des « moteurs économiques », des « pôles attractifs », des « centres d’innovation socio-économiques »... rien de faux ici, mais elles sont (ou doivent être) d’abord des laboratoires de transformations sociales, de recherche scientifique et de catapultes humanistes. On ne sortira certainement pas de l'obscurantisme anti-intellectuel « trumpien » en asservissant l’université aux « besoins du marché ».

Cette nouvelle grille de financement vient aussi avec une série de pièges et « cibles stratégiques ». Ces cibles, qui ne tiennent guère compte des multiples réalités des universités, doivent être atteintes. Mais comment gérer ces cibles indifférenciées, associées à des hausse de financement qui reposent sur un effectif étudiant stable et constant, alors que plusieurs « petites » universités en région craignent des baisses?

Nous saluons les fonds destinés aux étudiants en situation de handicap, l’ouverture à la rémunération des certains stages étudiants, les fonds associés à la sensibilisation et l’aide aux victimes de violences sexuelles sur les campus (le Québec a connu une série de scandales honteux au cours des dernières années) ainsi que la reconnaissance de la détresse psychologique, tant chez les étudiants que les personnels, notamment chez les contractuels [5]... mais, après tous les consensus atteints au sein de l’entièreté de la communauté de l’enseignement supérieur québécois au cours des dernières années, le gouvernement n’avait qu’à se saisir de deux ou trois recommandations pour répondre aux besoins réels. Il y a, par exemple, unanimité sur la création d’un Conseil national des universités (CNU). Ce dernier, représentatif des acteurs et artisans dans les universités, coordonnerait le développement de notre réseau universitaire. Ce conseil pourrait mettre fin à la néfaste compétition entre les établissements, rétablir la traditionnelle collaboration, éviterait la multiplication des mêmes programmes les uns à proximité des autres, mettrait fin aux « campus champignons » et aux décadents investissements dans le béton (alors même que les universités « jettent » des dizaines de millions dans la formation à distance). Ce conseil pourrait même réfléchir à la détérioration des conditions d’étude et de travail grandissantes. Est-il normal qu’un nombre toujours croissant d’étudiant(e)s passent de boursiers à salariés? Est-il viable pour nos universités, voire souhaitable, de voir la contractualisation et la précarisation devenir la norme? Pourquoi « revoir » le financement des universités sans tenir compte des enseignant(e)s, des besoins dans les classes, de la qualité de vie dans nos universités ? Financer des universités sur des bases dignes du fordisme le plus infecte est une garantie de détérioration à court terme.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

[1] Voir, par exemple, notre travail en coalition: https://www.unite4education.org/fr/la-reponse-mondiale/etats-generaux-de-lenseignement-superieur/ et http://eges.quebec/rapport-eges-ii/

[2] Voir https://www.affairesuniversitaires.ca/actualites/actualites-article/changements-importants-a-la-formule-de-financement-des-universites-quebecoises/ (4 septembre 2018)

[3] Auparavant, les frais de scolarité étaient limités et les sommes étaient redistribuées par l’État entre les universités dans un souci d’équilibre entre les plus grandes et les plus petites universités.

[4] Il faut aussi souligner les possibles impacts sur l’offre de cours ainsi que la langue. En effet, pour une minorité francophone, les pressions d’une offre de cours répondant aux « besoins du marché international », donc en langue anglaise, sont véritables et concrètes.

[5] Lire à ce sujet la récente étude de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACCPU) : https://www.ledevoir.com/societe/education/535931/universites-la-precarite-en-hausse-chez-le-personnel-enseignant

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.