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Internationale de l'Education
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Analyse de l'étude de la Banque mondiale "Qualité de l'éducation et croissance économique"

Publié 5 août 2008 Mis à jour 5 août 2008

La Banque mondiale a récemment publié une nouvelle étude sur la Qualité de l’Education et la Croissance économique. L’étude a été présentée par le Vice-président pour le Développement humain et Economiste en chef de la Banque le 23 juin 2008 à Bruxelles. Bien que l’étude reconnaisse l’importance de la qualité de l’éducation et le rôle des enseignants dans la réalisation d’une éducation de qualité, elle soulève certaines questions qui risquent de remettre en cause l’essence même de l’éducation de qualité. Par exemple, l’étude se prononce en faveur de l’enseignement des capacités cognitives tout en ignorant l’importance d’autres compétences de vie essentielles. Même si l’importance des capacités cognitives ne fait aucun doute, le fait de réduire l’éducation à l’inculcation des capacités cognitives, en ignorant les autres compétences de vie essentielles, remet en cause le rôle critique de l’éducation dans l’épanouissement de l’individu. Les compétences de vie essentielles, telles que les compétences artistiques, la manière de se comporter en société, y compris l’esprit civique, sont tout aussi importantes et pertinentes pour l’individu et le monde dans lequel nous vivons. En outre, l’étude encourage les tests, la concurrence et la création d’écoles privées ainsi que l’instauration de la rémunération des directeurs d’écoles et des enseignants liée à la performance. Ce rapport ainsi que d’autres études menées récemment par la Banque mondiale soulignent l’importance accordée aux tests, à la concurrence et à la rémunération des enseignants et directeurs d’écoles liée à la performance. Par conséquent, l’IE et les syndicats enseignants doivent relever un défi de taille qui consiste à réagir de façon appropriée et collective à ces développements. Veuillez trouver l'analyse de l'IE ci-dessous:

1. Introduction

La Banque mondiale a publié une étude intitulée: ‘Qualité de l’Education et Croissance économique’. L’étude menée par Erick A. Hanushek et Ludger Wößmann a été présentée à Bruxelles (Belgique) le 24 juin 2008. L’Internationale de l’Education a assisté à cet événement et présenté sa politique et son point de vue concernant l’éducation de qualité.

Le rapport de la Banque mondiale examine le lien entre qualité de l’éducation (et non l’éducation en général) et croissance économique et conclut qu’il existe une forte relation entre les deux. Cependant, l’interprétation de l’étude de la qualité de l’éducation est plutôt étroite et certaines des mesures proposées en vue d’améliorer la qualité de l’éducation peuvent prêter à controverse.

2. Conception de l’étude de la qualité de l’éducation

L’étude définit la qualité de l’éducation dans les termes suivants «…garantie que les étudiants apprennent vraiment»1. Nous sommes tout à fait d’accord que les étudiants doivent apprendre et les écoles garantir un enseignement et un apprentissage de qualité à tous leurs élèves. Cependant, sur quoi l’apprentissage des étudiants devrait-il porter? D’après le rapport, les étudiants devraient acquérir des capacités cognitives parce qu’il s’agit des aptitudes qui contribuent aux revenus individuels, à la distribution des revenus et à la croissance économique. Les capacités cognitives sont, en effet, importantes mais il ne s’agit pas des seules compétences importantes concernant la qualité de l’éducation. L’éducation ne saurait se limiter à l’acquisition des capacités cognitives. Les connaissances, les attitudes et le savoir-vivre sont également importants. Par exemple, la manière de se comporter en société comme l’esprit civique, la tolérance, la paix, l’amour et les valeurs démocratiques sont tout aussi importants, en particulier dans le monde actuel, parfois caractérisé par la xénophobie, les désordres civils et le terrorisme. Les compétences artistiques, telles que le dessin, le chant et la danse sont également importantes, ce qui est également le cas du sport. Comme les capacités cognitives, ces compétences peuvent contribuer aux revenus individuels et à la croissance économique. Par conséquent, l’accent mis par l’étude sur les capacités cognitives comme seul facteur de croissance économique, constitue une faiblesse importante de l’étude, à l’image de la mesure de la qualité de l’éducation qui est limitée aux résultats d’apprentissage ou des tests. L’étude a, ainsi, une conception très étroite de la qualité de l’éducation et très simpliste de la façon de la mesurer.

3. Importance de la Qualité de l’Education

Le document souligne l’importance de l’éducation de qualité et soutient que le taux de scolarisation en lui-même n’est pas suffisant. Le rapport affirme: «Il est prouvé que la qualité de l’éducation influe fortement sur les revenus individuels et la croissance économique» 2. Le rapport se réfère à trois études récentes réalisées aux Etats-Unis montrant qu’une amélioration d’un écart type des résultats en mathématiques à la fin du cycle secondaire se traduit par une augmentation de 12% des revenus annuels.

Le rapport souligne également l’importance de l’enseignant pour l’éducation de qualité et soutient «…un résultat constant de la recherche est que la qualité des enseignants influe fortement sur les résultats des étudiants.»3 Ceci rejoint l’affirmation de longue date de l’IE qu’il existe une forte relation entre les enseignants de qualité et l’éducation de qualité. Par conséquent, chaque enfant devrait bénéficier de l’enseignement d’un enseignant qualifié ayant lui-même suivi une formation préalable adéquate et bénéficié d’une orientation appropriée ainsi que d’un perfectionnement professionnel et d’un soutien continus. Les enseignants devraient être bien rémunérés et très motivés de façon à proposer un enseignement de qualité.

L’étude remarque à juste titre que la plupart des réformes de l’éducation, en particulier dans les pays en voie de développement, ont tendance à se concentrer davantage sur les aspects quantifiables relatifs à la scolarisation et moins sur la qualité de l’éducation. Ceci inclut également les programmes d’éducation initiés ou soutenus par la Banque mondiale et explique probablement pourquoi la Banque mondiale préfère le terme «Achèvement universel du cycle primaire» en ce qui concerne le deuxième Objectif du millénaire pour le développement qui vise en réalité l’Education primaire pour tous (EPT). Le rapport met en garde avec propos:

La description de l’achèvement d’un cycle d’enseignement ne tient pas compte du niveau de capacités cognitives acquises. L’achèvement d’un cycle d’études de cinq ou neuf ans dans un pays en voie de développement moyen ne signifie pas que les étudiants ont acquis les capacités cognitives de base. 4

Compte tenu de ce qui précède, il faut espérer que la Banque mondiale, les autres agences des Nations Unies, les institutions multilatérales et bilatérales, les gouvernements (particulièrement dans les pays en voie de développement) et les autres acteurs accordent bien plus d’importance à la qualité de l’éducation dans leurs programmes actuels et futurs.

4. Importance démesurée accordée à la concurrence et aux tests

L’étude de la Banque mondiale suggère plusieurs mesures afin d’améliorer la qualité de l’éducation. Pourtant, le rapport soutient tout d’abord que l’accroissement des ressources éducatives, tel que l’expansion physique des établissements scolaires, l’augmentation des dépenses par élève et l’augmentation des salaires des enseignants ne semble pas entraîner de forte amélioration de la réussite des élèves en l’absence de modification de la structure institutionnelle. Bien que cette observation puisse paraître intéressante, elle semble ignorer le fait qu’un nombre significatif d’écoles dans les pays en voie de développement, en particulier en Afrique, sont dépourvues d’infrastructures et de ressources de base, telles que les salles de classe, le mobilier ou les manuels. Dans certains pays, si ce n’est pas dans la totalité de ces pays, les enseignants sont très mal rémunérés et ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins élémentaires. Ils sont, par conséquent, contraints d’exercer une deuxième activité professionnelle afin de compléter leurs faibles revenus. Dans ces conditions, l’augmentation des moyens dans le but de réunir les conditions minimales de l’enseignement et l’apprentissage de qualité reste pertinente, légitime et nécessaire. Dans tous les cas, il est impossible d’obtenir les résultats d’apprentissage sans les moyens nécessaires et le processus de l’enseignement/apprentissage.

L’étude propose les trois mesures principales suivantes afin d’améliorer la qualité de l’éducation:

  • Choix et concurrence
  • Décentralisation et autonomie
  • Obligation de rendre des comptes pour les résultats

En ce qui concerne le choix et la concurrence, l’étude encourage la création d’écoles privées afin de «donner aux étudiants des alternatives»5. La concurrence entre écoles est également encouragée afin d’améliorer leur performance. L’encouragement de la création d’écoles privées, qui exigent souvent un droit d’inscription, risque de remettre en cause l’éducation en tant que bien public qui devrait être accessible à tous. Les écoles ne devraient pas être considérées comme des entités économiques en concurrence afin d’obtenir les meilleurs taux de réussite, mais comme des entités sociales engagées à la promotion de l’égalité des chances, en particulier en faveur des groupes les plus défavorisés et vulnérables. La responsabilité première de l’Etat est d’assurer un enseignement à tous ses citoyens, y compris les enfants issus de familles pauvres. Bien que la concurrence basée sur le classement des écoles, comme le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) et les examens publics, puisse améliorer les taux de réussite, une telle concurrence pourrait amener les écoles à se concentrer dans les domaines ou matières qui sont testés au détriment d’autres éléments essentiels de l’éducation.

Alors que l’autonomie de l’école et la prise de décisions au niveau local constituent des recommandations positives, la notion véhiculée par le rapport, selon laquelle la décentralisation est toujours bénéfique, est erronée. Par exemple, en Tanzanie et en Zambie, la décentralisation du versement des salaires des enseignants aux autorités locales a provoqué d’importants retards dans le paiement des salaires ainsi que l’absentéisme des enseignants. En Pologne, la décentralisation de l’éducation de la petite enfance et des services de garde des enfants a entraîné la fermeture d’un grand nombre de ces structures parce que les autorités locales ne disposaient pas des moyens financiers ou de la volonté politique nécessaires à leur maintien. Pour être effective, la décentralisation doit être planifiée convenablement et soutenue par des ressources suffisantes. Des programmes de renforcement des capacités à l’intention des autorités locales, des organes de gestion des établissements scolaires et du personnel de direction des écoles devraient être instaurés. La décision de décentraliser certains aspects de l’éducation devrait impliquer plusieurs acteurs, dont les syndicats d’enseignants.

En ce qui concerne l’obligation des écoles à rendre des comptes, l’étude souligne l’importance des examens et de la rémunération liée à la performance. L’étude affirme que la rémunération liée à la performance a eu un impact considérable sur la réussite des étudiants en Angleterre et en Israël. Cependant, l’étude semble ignorer les répercussions négatives de la rémunération liée à la performance, telles que la difficulté à mettre un tel système en place en particulier lorsque les enseignants enseignent des classes qui ne sont pas soumises à un examen externe, les tâches administratives occasionnées, les différences injustifiables entre les enseignants en fonction des scores établis par différents superviseurs dans la même école ou académie scolaire et l’inévitable tendance à se concentrer sur les matières faisant l’objet d’un examen au lieu de proposer une éducation holistique à l’étudiant.

5. Conclusion

Ce rapport ainsi que d’autres études menées récemment par la Banque mondiale soulignent l’importance accordée aux tests, à la concurrence et à la rémunération des enseignants et directeurs d’écoles liée à la performance. Ce degré d’importance est manifeste dans la politique d’éducation actuelle de l’OCDE comme le montrent PISA, l’Evaluation envisagée des résultats de l’enseignement supérieur (AHELO) et les évaluations internationales au niveau du primaire. Par conséquent, l’IE et les syndicats enseignants doivent relever un défi de taille qui consiste à réagir de façon appropriée et collective à ces développements.

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Notes:

1 Education Quality and Economic Growth, p.1 2 Education Quality and Economic Growth, p.1 3 Education Quality and Economic Growth, p.1 4 Education Quality and Economic Growth, p.12 5 Education Quality and Economic Growth, p.17

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