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Internationale de l'Education
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Entretien avec Ulrika Peppler Barry : A la croisée des chemins

Publié 3 juin 2010 Mis à jour 23 mars 2011

Ulrika Peppler Barry dirige l’équipe en charge du Rapport mondial de suivi de l’Education pour Tous (EPT) à l’UNESCO. Elle a également été Secrétaire exécutive adjointe du Secrétariat du Forum de l’EPT. Le syndicat d’enseignants français SNUipp-FSU l’a rencontrée à Paris pour un court entretien et l’a interrogée sur son opinion quant à la réalisation de l’objectif de l’éducation pour tous d’ici 2015.

Dix ans après son adoption, quel bilan d'étape faites-vous des objectifs de l'Education pour Tous?

Des progrès indéniables ont été réalisés dans un grand nombre de pays et dans beaucoup de domaines mais le chemin à parcourir est encore long. On sait que les 6 objectifs de l'Education pour Tous fixés pour 2015 ne seront pas atteints. La malnutrition touche encore 175 millions de jeunes enfants chaque année, l'alphabétisation des adultes reste un objectif négligé. De même, au rythme actuel, il resterait 56 millions d'enfants d’âge du primaire non scolarisés en 2015. En Afrique subsaharienne, ce sont près de 12 millions de filles qui risquent de ne jamais être scolarisées. De plus, faute d'enseignants en nombre suffisants ou convenablement formés, même quand la scolarisation a été assurée, les compétences de base des élèves ne sont pas toujours acquises. Par exemple, selon une analyse des données d’enquêtes menées dans 21 pays d’Afrique subsaharienne la probabilité que les jeunes adultes étant allés pendant 5 ans à l'école soient analphabètes est de 40%. Avec un tel tableau, on peut donc parler de bilan mitigé.

Comment expliquez-vous une telle situation?

Le bilan de l'aide est décevant alors que c'est un élément vital du pacte de l'Education pour Tous. Nombre de pays dont les membres du G8 ne prennent pas leur juste part du fardeau de l'aide. Certains engagements ne sont pas tenus. Aujourd'hui, il faudrait sextupler le montant actuel de l'aide pour combler le déficit actuel de financement qui atteint 16 milliard. A l'échelle du monde c'est un objectif tout à fait réalisable. Autre problème, le soutien financier ne profite pas toujours à ceux qui en ont le plus besoin. Ainsi, de nombreux pays touchés par des conflits reçoivent une aide insuffisante ce qui ne permet pas de perspective de reconstruction. Cette aide internationale ne peut se substituer à des politiques nationales efficaces, mais on constate qu'elle peut contribuer à abattre certains obstacles d'accès à l'école créés par la pauvreté ou le sexe et qui touchent toujours les populations les plus fragiles.

Quels sont les freins qui interdisent les enfants d'accéder à l'éducation?

La pauvreté est la première cause. Dans le monde, il y a 1,4 milliard de personnes qui vivent avec moins de 1,25 dollar par jour. Dans de nombreux ménages à travers le monde en développement, le coût de la scolarisation est en concurrence avec des dépenses destinées à d'autres besoins comme les soins de santé ou la nourriture. Le fait que les parents n'ont pas les moyens de régler les dépenses d'éducation est une des raisons majeures pour lesquelles les enfants ne sont pas scolarisés. 166 millions d'enfants âgés de 5 à 14 ans sont même obligés de travailler pour assurer des revenus. Le lieu de résidence est un facteur supplémentaire du désavantage en matière d'éducation. Les enfants vivant dans des bidonvilles, des zones rurales reculées ou des zones touchées par des conflits sont généralement tenus à l'écart des écoles. Enfin, ceux en situation de handicap ou touchés notamment par le VIH ont également des chances d'éducation limitées.

Vous parliez aussi de progrès réalisés. Quels sont-ils?

Des grands pas ont été faits dans le domaine de l'enseignement primaire. Le nombre d'enfants non scolarisés a baissé de 33 millions depuis 1999. L'Asie du Sud et de l'Ouest a même réduit de plus de la moitié le nombre d’enfants non scolarisés d’âge du primaire. Ces progrès ont d'ailleurs permis d'avancer sur la voie de la parité. La part des filles non scolarisées a baissé régulièrement. De même, le taux d'alphabétisme des adultes a progressé plus rapidement chez les femmes que chez les hommes. Sur le terrain ces progrès ont été rendus possibles par des nouvelles constructions d'écoles, des enseignants mieux formés et surtout par la suppression des frais de scolarité ainsi que la gratuité des uniformes, des livres et des crayons.

Quelles sont les priorités à venir?

Nous sommes réellement à la croisée des chemins. Avec la crise financière et alimentaire, les budgets nationaux et des ménages subissent une plus grande pression rendant le financement de l'éducation encore plus vulnérable. Soit nous continuons comme si de rien n'était au risque d'anéantir les progrès réalisés depuis 10 ans, soit nous nous servons de cette crise pour construire des systèmes plus durables. Il n'est pas possible d'avoir un développement sans éducation. Il est donc urgent d'agir. Des mécanismes de financement innovants doivent être mobilisés pour combler le déficit actuel. Nous devons aussi construire des systèmes éducatifs inclusifs. C'est la responsabilité de toute la communauté internationale.

Cet entretien a été d’abord publié dans l’édition n° 339 du magazine Fenêtre sur cours (29 March 2010), et est reproduit ici avec l’aimable autorisation du Syndicat National Unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (SNUipp). Cet article a été publié dans Mondes de l’Éducation, No 34, juin 2010.