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Internationale de l'Education
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Les collègues éthiopiens ont le courage de maintenir leur syndicat en vie

Publié 1 septembre 2006 Mis à jour 1 septembre 2006

Le 9 novembre 2005, Mlle Mulunesh Abebayehu a été arrêtée, sans avertissement, à l’école secondaire où elle enseigne et amenée à la célèbre Prison Kality d’Addis Abeba.

Son crime? Seulement d’être membre de son syndicat, l’Association des Enseignants Ethiopiens (ETA), et d’être active dans sa branche féminine.

Bien qu’aucune charge n’ait été retenue, Mulunesh est restée en prison dans des conditions très dures pendant sept mois. L’Internationale de l’Education a rendu son cas public et en a appelé au gouvernement concernant cette injustice. Soudainement, le 9 juin 2006, elle a été relâchée sans explication ni excuse. A ce jour, ni mandat ni charge n’ont été avancés pour justifier sa détention.

La situation dans laquelle se trouve Mulunesh n'est pas un cas isolé. Loin de là. Ce qui constitue un reflet inquiétant de la réalité du syndicalisme enseignant en Ethiopie. Au moins 58 enseignants et membres de l’ETA ont été emprisonnés en 2006. Beaucoup demeurent en prison, certains sans charge retenue à leur encontre.

L’un des plus éminents parmi eux est Kassahun Kebede, Président de la branche Addis Abeba de l’ETA. Kebede est l’un des 131 syndicalistes et activistes de la société civile qui font face à une série de charges. Celles-ci comprennent: la haute trahison, le génocide et l’outrage à la constitution et sont susceptibles de les faire condamner à la peine de mort.

Le Président de l’ETA, Dr. Taye Woldesmiate, fait face à ces allégations politiques injustes à l’instar de Kebede. Dr. Taye a déjà connu les conditions de vie brutales dans les prisons éthiopiennes, ayant subi six mois d’incarcération. En 1996, il est devenu le premier éthiopien à être déclaré prisonnier de conscience par Amnesty International.

Kebede lui-même figure actuellement sur la liste des prisonniers de conscience d’Amnesty International, hommage à l’engagement de ces deux hommes en faveur de la recherche de la justice sociale, de la qualité de l’éducation et des droits syndicaux par des moyens non-violents, malgré une longue histoire de répression violente de la part du gouvernement.

Une longue histoire de persécution

Fondée en 1949, l’ETA s’est accrue pour devenir le plus grand syndicat en Ethiopie. Ses dirigeants se posaient ouvertement en défenseurs des droits des enseignants, en tant que travailleurs, et des droits des élèves à l’éducation dans un pays où des millions de jeunes gens ne vont pas à l’école.

Comme une épine dans le pied du gouvernement, l’ETA est devenue la cible d’une sorte d’attaque particulièrement insidieuse – une sorte de ‘vol d’identité’ à l’encontre du syndicat. En 1993, le gouvernement a soutenu financièrement l’émergence d’un groupement rival portant le même nom : l’Association des Enseignants Ethiopiens. Ceci a de façon bien compréhensive dérouté les membres. Plus important, ce stratagème a dépossédé l’authentique ETA de ses actifs et de ses biens.

Depuis 1993, les comptes bancaires de l’ETA sont gelés, les cotisations des membres ont été redirigées vers des groupes soutenus financièrement par le gouvernement et la plupart des bâtiments de l’ETA ont été mis sous scellés. Le quartier général de l’ETA est régulièrement mis à sac. En novembre 2005, la police a, sans mandat, occupé les deux bureaux de l’ETA restant et a confisqué tous les ordinateurs et les documents syndicaux.

Les véritables dirigeants syndicaux sont constamment menacés. En 1993, le Dr Taye a été renvoyé de ses fonctions à l’Université d’Addis Abeba après avoir signé une lettre condamnant l’usage de la violence par les forces de sécurité gouvernementales contre des manifestants étudiants. Il a été condamné d’après des allégations mensongères et emprisonné de 1996 à 2002, cruellement enchaîné en détention solitaire pendant de longues périodes.

L’ancien Secrétaire Général Adjoint Asefa Maru était à la fois un dirigeant syndical respecté et un membre exécutif du Conseil Ethiopien des Droits de l’Homme. En 1997, il était assassiné par les forces de sécurité. Suite à ce meurtre, le Secrétaire Général Gemoraw Kassa a été forcé de chercher asile au Royaume-Uni. Kassa est retourné volontairement en Ethiopie en 2004, en dépit des risques.

Toutefois, en octobre 2005, Dr Taye a été contraint à s’exiler une seconde fois. Les dernières charges, retenues in absentia, confirment ses craintes qu’en restant en Ethiopie il aurait été à nouveau emprisonné.

L’IE fournit une assistance solidaire à l’ETA et un soutien humanitaire aux professeurs et à leurs familles qui sont victimes, parce que la base du parti paye aussi le prix. Les enseignants qui rejoignent l’ETA sont harcelés, mutés et assujettis à des conditions de travail discriminatoires et injustes. Se rendre à des réunions syndicales les expose à des formes d’attaque variées.

Néanmoins, l’ETA démontre de façon répétitive que, malgré ces énormes difficultés, elle est déterminée à continuer à œuvrer en faveur des enseignants.

Un taux record de réalisations

Que le syndicat ait pu survivre depuis 1993, en dépit des interférences, n’est rien moins que miraculeux. En fait l’ETA reste une organisation incroyablement engagée et forte qui accomplit beaucoup. Elle est le puissant témoignage de la force, du courage et de l’engagement des dirigeants et des membres de l’ETA.

Les activistes de l’ETA continuent à œuvrer pour la promotion : du Programme de l’Education Pour Tous, de l’éducation sanitaire et du VIH/SIDA, des questions professionnelles et du travail des enfants. Les projets et activités pour 2006 incluaient la construction de capacité syndicale, les questions relatives au genre, la recherche et la publication, la surveillance sur le terrain, le développement de politiques, le plaidoyer en faveur de l’organisation et le tutorat.

Ces douze dernières années, les enseignants à travers le monde se sont associés avec leurs collègues éthiopiens. L’IE a parlé des atteintes aux droits et libertés des enseignants devant de nombreuses enceintes internationales. En juillet, le Syndicat des Enseignants hollandais (AOb) a accueilli une série de réunions à Utrecht conjointement avec l’IE et le Syndicat national des Enseignants d’Angleterre et d’Ecosse (NUT).

Les dirigeants de l’ETA ont été encouragés par le geste et ravis de l’opportunité de rencontrer Dr Taye, leur Président en exil, pour la première fois depuis de nombreux mois. Plus tard, ils ont aussi pu défendre leur cause devant Kari Tapiola, Directeur Exécutif du secteur des Normes et d’autres fonctionnaires clés de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

« Notre moral et notre énergie à agir est grandement renforcée par le soutien et les suggestions utiles offertes par M. Tapiola, d’autres représentants de l’OIT et nos collègues internationaux.», a assuré le Secrétaire Général Kassa.

Ensemble les syndicalistes enseignants ont décidé de faire parvenir un rapport détaillé sur les atteintes en cours contre les enseignants éthiopiens au Comité d’experts OIT/UNESCO sur le statut des enseignants. De même, ils vont adresser une seconde plainte officielle contre le gouvernement éthiopien au Comité de l’OIT sur la liberté d’association.

Entretemps, malgré les obstacles et le manque de ressources, les dirigeants de l’ETA ont courageusement maintenu leur Assemblée Générale pour 2006 du 30 août au 1er septembre à Addis Abeba. L’assemblée s’est ouverte en présence d’environ 160 délégués et de tous les invités locaux et étrangers – à l’exception du Ministre éthiopien de l’Education, qui avait été invité mais a choisi de ne pas s’y rendre.

Malheureusement, les espoirs de l’ETA en une assemblée constructive ont été anéantis lorsque, pour la seconde fois cette année, les autorités ont interrompu la réunion. A la pause de midi, des officiers de la sécurité armés ont encerclé la salle de réunion, dispersé l’audience et ont clos la réunion par la force.

Les officiels de l’ETA et les représentants de l’IE ont immédiatement alerté les ambassades étrangères et l’OIT, pour qu’elles interviennent directement auprès des autorités éthiopiennes et les encouragent vivement à respecter le droit international garantissant la liberté d’association.

Il s’agit seulement du dernier chapitre en date concernant l’histoire de la répression contre l’ETA et l’interférence dans ses activités et ses finances. L’IE va continuer à travailler solidairement avec les enseignants éthiopiens et à exhorter le gouvernement à reconnaître l’ETA comme voix légitime de la profession enseignante et comme partenaire valable afin de bâtir un meilleur système scolaire pour tous les enfants d’Ethiopie.

Par Jan Eastman et Dominique Marlet

Jan Eastman est Secrétaire Générale Adjointe de l’IE et Dominique Marlet est coordinatrice à l’Unité des droits humains et syndicaux