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Résolution sur la promotion et la protection de normes et de valeurs dans le monde

Publié 25 juillet 2015 Mis à jour 31 mars 2017

Le 7e Congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation (IE), réuni à Ottawa, au Canada, du 21 au 26 juillet 2015:

Reconnaissant que:

1. Certains dangers, notamment la redéfinition du rapport de force au niveau mondial, menacent la démocratie et remettent en cause les enseignant(e)s, le personnel éducatif et leurs syndicats, à l’échelon national comme international; que ces évolutions ont une incidence sur les secteurs privé et public; que la dégradation des normes et l’émergence de menaces extérieures portant atteinte à la bonne santé de nos sociétés s’imposent rapidement au sein de nos écoles;

2. Le principal défi est constitué de quatre facteurs différents mais étroitement liés qui ont d’importantes répercussions sur nos sociétés; il s’agit:

a. De la libéralisation de l’économie mondiale, acceptée voire facilitée par les gouvernements nationaux, qui réoriente le rapport de force au profit d’entreprises non élues et qui, par conséquent, fragilise la souveraineté nationale et la démocratie;

b. Du non-respect des normes internationales par les gouvernements nationaux, y compris parmi les plus puissants;

c. Des changements géopolitiques suscités par les développements en Europe de l’Est et au Moyen-Orient qui sapent les normes globales de paix, de justice et d’égalité, en application depuis longtemps; et

d. De l’extrémisme des groupes prétendant agir au nom de la religion ou de motivations ethniques ou nationalistes, signalant que les établissements d’enseignement, les élèves, notamment les filles, et les enseignant(e)s sont de plus en plus souvent la cible privilégiée des terroristes et autres extrémistes.

3. Toutes ces évolutions ont une incidence sur les valeurs; et que, si les gouvernements abusent de leur pouvoir et ne respectent pas les règles établies de longue date visant à promouvoir et à maintenir la paix, les intérêts privés seront d’autant plus enclins à se livrer aux abus et à l’arbitraire; que, si certains pays sont autorisés à enfreindre les règles pour l’unique motif qu’ils sont trop puissants pour être contrôlés, la crédibilité de ces règles risque d’être remise en question;

4. Rien ne permet d’excuser ni de justifier le terrorisme ou le fanatisme ni toute autre action visant à priver les gens de leur humanité la plus élémentaire et à asservir l’esprit humain; que, fort heureusement, ceux qui se livrent à de tels actes représentent à peine une poignée de personnes, mais qui n’en demeurent pas moins dangereuses; que, bien que certains pays où règne en toute impunité le terrorisme ou l’extrémisme soient devenus ingouvernables, sa portée ne se limite pas à un petit nombre de pays; que la question des valeurs est soulevée par le terrorisme mais aussi par les réactions qu’il suscite et que ces réactions confondent parfois les extrémistes avec un groupe identifiable, ou avec une religion, et peuvent mettre en danger les libertés;

5. Le transfert mondial du pouvoir aux acteurs économiques privés permet non seulement aux entreprises d’échapper aux effets « civilisateurs » de la volonté publique, mais signifie que les gouvernements sont de plus en plus soumis aux intérêts particuliers et privés qu’ils courtisent; que cette évolution a dénaturé les politiques économiques et fiscales et a conduit à l’austérité; que les accords sur le commerce et l’investissement affaiblissent la souveraineté nationale et les services publics et, que les profonds changements en matière de production et de services ont fragilisé les droits et les conditions des travailleurs/euses et le développement durable; et

6. La visibilité et l’attrait de l’accumulation de richesses et de biens matériels faussent les valeurs et rendent la société plus vulnérable à d’autres menaces et que les « valeurs » marchandes se sont propagées dans le secteur public, y compris l’éducation.

Réalisant en outre que:

7. Toutes ces crises de valeurs s’invitent dans les salles de classe; que la légitimité des gouvernements est sapée par le désordre et par les abus commis par les États, engendrant ainsi un certain cynisme vis-à-vis du gouvernement et des services publics; que l’extrémisme se nourrit du désespoir et de la détresse générés, notamment, par la situation du grand nombre de laissés pour compte de l’économie mondialisée; que, dans ces circonstances, il n’est pas surprenant que les jeunes qui ont été bafoués, discriminés, humiliés, ne se rendent pas aisément à l’évidence de ces valeurs qui semblent pour eux se résumer à des mots;

8. Le sacrifice des valeurs publiques et démocratiques sur l’autel du marché, les actions menées par des États livrés à l’anarchie et les chants des sirènes extrémistes ébranlent la stabilité de la société et le respect des personnes, et que, comme l’attachement commun aux valeurs s’est affaibli, de nombreux jeunes ont réinventé leur propre réalité au sein de petits réseaux à l’écart de la société.

9. L’éducation est au nombre des victimes de ces trois forces destructrices mondiales majeures, mais elle offre une alternative au cynisme et au désespoir; que l’Education de qualité, inspirée par ces valeurs, apporte ou peut apporter des contributions particulières et précieuses, parmi lesquelles:

a. Développer les capacités de pensée créative et critique, de réflexion autonome et de discussion;

b. Développer les capacités d’écoute et de tolérance, et œuvrer comme vecteur de réintégration pour ceux qui vivent en marge de la société;

c. Contribuer à une paix réelle fondée sur la compréhension et le règlement des conflits, plutôt que sur le silence et la soumission;

d. Offrir un « lieu sûr » permettant aux groupes divers de nouer des relations et d’instaurer la compréhension;

e. Vaincre les préjugés et défendre la dignité des filles et des femmes et favoriser les perspectives qui leur sont offertes; et

f. Conférer un nouveau sens et une nouvelle valeur à la notion «d’éducation à la citoyenneté».

10. Pour mener à bien cette mission, les enseignant(e)s doivent jouir d’un environnement respectueux propice à l’exercice de leur responsabilité professionnelle et de leur jugement, et que les droits humains, notamment les droits syndicaux, sont intimement liés aux autres droits de la personne, en particulier le droit à l’éducation.

11. Affirme que l’éducation ne sera vraiment valorisée et respectée que lorsque la valeur des enseignant(e)s sera reconnue et appréciée, ce qui constitue un élément essentiel de la campagne en cours Uni(e)s pour l’éducation de qualité.

12. Estime que, de la même manière que le terrorisme et l’extrémisme ne connaissent pas de frontières, les forces en faveur de la démocratie et du progrès humain doivent elles aussi transcender les frontières; que l’essentiel du travail à accomplir afin de promouvoir la tolérance et la paix se déroulera en classe, et que l’IE doit continuer à défendre les enseignant(e)s et les élèves victimes de violence et soumis à la peur, et contribuer à instaurer un environnement politique qui diminue le risque et mobilise la solidarité internationale.

13. Tout en reconnaissant que la mondialisation de l’économie a renforcé les acteurs du marché, affaibli les idéaux humains et la diversité culturelle revendiqués par l’éducation, les syndicats et autres mouvements démocratiques, l’IE restera vigilante et s’opposera aux actions gouvernementales visant à faciliter ce transfert de pouvoir inédit, notamment les accords sur le commerce et l’investissement qui verrouillent les privilèges et affaiblissent les décisions publiques.

14. Déclare que, pour les éducateurs/trices, le premier combat dans cette lutte mondiale consiste à préserver l’éducation de la culture de la « performance » au détriment des valeurs et de la conformité aux règles du marché, qui s’oppose à la promotion des normes et des valeurs professionnelles en matière d’éducation, et à affirmer qu’une éducation, libre d’apporter sa pleine contribution, est un moyen essentiel pour aborder les principaux défis auxquels est confrontée la planète et pour établir une société juste et décente.

Dans ce contexte, l’IE:

15. Poursuivra ses actions de pression auprès des Nations Unies dans le cadre de la période et du processus post-2015, reconnaissant que ce processus peut contribuer à renforcer l’ONU (notamment les institutions spécialisées) et à la rendre plus crédible, et peut améliorer la gouvernance mondiale et le respect des normes internationales; et que l’engagement de l’IE à l’échelle mondiale aux côtés d’autres organisations internationales, telles que les institutions financières internationales et l’Organisation de coopération et de développement économiques, renforce la lutte des enseignant(e)s dans leur propre pays; et

16. S’efforcera de garantir une présence et un rôle accrus de la société civile dans les mécanismes pertinents des Nations Unies, dont le Conseil de sécurité.