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Mondes de l'éducation

Photo: GPE/Kelley Lynch
Photo: GPE/Kelley Lynch

« Afrique: la coopération entre syndicats et gouvernements pour un meilleur avenir dans l’éducation », par Cherine Sabry.

Publié 21 octobre 2020 Mis à jour 4 novembre 2020
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Les conflits entre syndicats et gouvernements existent depuis la nuit des temps. La simple existence des syndicats en tant que vigoureux défenseurs des droits des travailleur∙euse∙s là où les gouvernements échouent, nourrit cette relation conflictuelle. En Afrique, les syndicats ont rarement été consultés pendant la crise de la COVID-19 et lorsque cela a été le cas, leurs suggestions n’ont guère été prises en compte par le gouvernement. Une collaboration entre ces deux entités est-elle envisageable, afin d’apporter une réponse plus énergique, rapide et précise en temps de crise ?

Depuis le début de l’année 2020, la pandémie de COVID-19 a engendré des perturbations insoupçonnées sur la santé, les économies mondiales et l’éducation. Depuis la fermeture d’écoles en mars/avril 2020, 1,725 milliard d’enfants sont déscolarisés, ce qui impacte près de 99 % de la population étudiante dans le monde (Rapport mondial de suivi sur l’éducation de l’UNESCO, 2020). Dans le monde entier, de nombreux pays ont tentéde sauver ce qu’il restait de l’année scolaire en mettant en place un enseignement àdistance d’urgence par différents biais et àtravers différents médias. Comme on pouvait s’y attendre, certains ont mieux réussi que d’autres à instaurer un enseignement en ligne, du fait d’une connectivité plus performante et d’une meilleure préparation des enseignant∙e∙s àune telle mission.

En Afrique, de nombreux systèmes éducatifs déjà éprouvés par des perturbations existantes (crises politiques, catastrophes naturelles et problématiques sanitaires antérieures) ont été plus lourdement affectés par l’arrivée de cette nouvelle menace de la COVID-19. Bon nombre de pays d’Afrique étaient mal préparés àla fermeture des établissements scolaires et se sont retrouvés dans l’incapacité de mettre en place un enseignement et un apprentissage en ligne satisfaisants, avec pour conséquence un renforcement du fossé éducatif déjà existant. L’enquête de l’Internationale de l’Éducation sur l’Avenir du travail dans l’éducation (àparaitre) a confirméqu’àtravers le monde, les quartiers les plus pauvres et les zones rurales ont été les plus durement touchés par la crise, car la connectivité y était déjà peu performante et les enseignant∙e∙s n’ont pas bénéficié d’une préparation adéquate pour assurer un enseignement en ligne. En Afrique, de nombreux élèves issus de zones défavorisées ou rurales se sont eux-mêmes retrouvés déscolarisés et dans l’obligation de travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles, alors que la crise économique dévorait les moyens de subsistance déjà précaires de leurs foyers. Dans certains endroits, la violence sexiste s’est accentuée du fait de la frustration financière et de la présence plus continue que d’ordinaire des enfants àla maison ; les violences conjugales et les mariages précoces ont bondi et on s’attend à ce que bon nombre de jeunes filles ne retournent pas à l’école au moment de la reprise.

Il a fallu en un éclair, élaborer des politiques d’éducation adéquates pour compenser les effets néfastes de la pandémie. Pendant mon temps passéàl’Internationale de l’Éducation, j’ai été directement témoinde la manière dont s’opère la collaboration entre syndicats et gouvernements dans un souci de développement de politiques. La série de séminaires sur l’Avenir de l’éducation en Afrique que j’ai aidé àorganiser, s’est tenue durant quatre semaines, dont deux en ma présence, et des progrès évidents ont été réalisés lors de ces rencontres. Des représentant∙e∙s de syndicats et de gouvernements qui, au départ, affichaient respectivement des positions offensives et défensives sont rapidement devenu∙e∙s allié∙e∙s, parvenant à s’entendre sur des questions pertinentes pour chacun∙e, notamment au sujet de la lutte contre les perturbations touchant l’éducation en raison, entre autres, dela COVID-19. Des débats extrêmement féconds ont permis de mettre en exergue différents points de vue et de jouer cartes sur table. Tel gouvernement convaincu au départ d’agir du mieux possible en situation de crise s’est pris à envisager des solutions alternatives et à considérer d’autres façons de procéder plus convaincantes et efficaces, inspirées par les syndicats. De même, les syndicats outrés de ne pas être impliqués dans le processus d’élaboration des politiques, ont eu le sentiment d’être entendus et que leurs voix étaient prises en compte.

Une des questions qui vient à l’esprit est la suivante : et maintenant ? Il est toujours bénéfique de réunir des groupes distincts dans une même pièce et d’initier un dialogue, mais est-ce suffisant ? Avec l’aide d’organisations influentes telles que l’Internationale de l’Éducation, les Fondations Open Society, l’Institut international pour le renforcement des capacités en Afrique de l’UNESCO et l’Équipe spéciale sur les enseignants, les acteurs nationaux seront plus enclins à rejoindre un dialogue ouvert. Cependant, que se passera-t-il après ? Les ministères et les syndicats ont signéun consensus qui détaille les prochaines étapes au regard des questions d’éducation, en insistant sur l’importance d’une future coopération et collaboration en vue de relever les défis posés par des perturbations telles que la pandémie de COVID-19. Toutefois, comment s’assurer de l’évolution continue et de la mise en œuvre effective de ces actions ? Comment la communauté internationale peut-elle veiller àce que ces actions ne deviennent tout simplement pas des lignes directrices normatives que les nations devraient garder à l’esprit, plutôt qu’une feuille de route en faveur d’actions futures destinées àgarantir le bien-être des élèves et des enseignant∙e∙s, et la qualité des services dispensés aux élèves ?

Le processus d’élaboration de politiques est long et complexe. Il est possible pour un gouvernement de piloter lui-même un tel processus, mais il ne peut agir seul. Une pratique collaborative est essentielle et des consultations avec les parties prenantes sont fondamentales, en vue d’aboutir aux résultats requis pour soutenir un système plus équitable qui offre une meilleure qualité de l’éducation aux générations futures. Les gouvernements doivent œuvrer conjointement avec les syndicats qui représentent les enseignant∙e∙s et les personnels d’éducation, afin de veiller àce que les élèves africains reçoivent un enseignement qui intègre des connaissances et des compétences nécessaires pour leur permettre d’affronter un avenir incertain. Il est par conséquent primordial d’aborder sans délais et avec une attention particulière les questions relatives aux contenus des programmes scolaires, au type d’évaluations requises et au développement professionnel des enseignant∙e∙s. Dans le contexte actuel, il est capital de laisser derrière soi des schémas traditionnels de réflexion sur l’importance de l’écriture, de la lecture et du calcul dans l’éducation et de revoir la manière d’élaborer les programmes scolaires, en reconnaissant qu’en temps de crise, les élèves ont besoin de développer d’autres compétences plus urgentes. Celles-ci comprennent notamment l’apprentissage émotionnel et social, la formation psychosociale et la gestion des traumatismes, comment prévenir les changements climatiques et préparer un avenir plus durable, entre autres. Préparer les enseignant∙e∙s à répondre aux besoins essentiels des élèves, y compris en termes de soutien psychosocial pour faire face aux défis actuels, constitue une problématique émergente qui réclame la considération des décideurs politiques. Le seul moyen de parvenir à un consensus et d’aboutir àune solution consiste pour les gouvernements et les représentant∙e∙s des enseignant∙e∙s àengager un dialogue continu et às’entendre sur des actions communes, ainsi qu’à impliquerles enseignant∙e∙s dans toutes les étapes du processus relatif aux politiques.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.