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Les enfants nigérians pris pour cibles par une entreprise proposant des services d’éducation payants

Publié 28 mai 2018 Mis à jour 4 janvier 2022

Une nouvelle étude dénonce les activités d’une entreprise privée d’édu-business soutenue par l’aide internationale.

Plusieurs prestataires de services d’éducation étrangers tels que Bridge International Academies (BIA) cherchent désormais à atteindre les familles de Lagos, au Nigeria, au travers de la création de nouvelles infrastructures scolaires payantes, en vue d’étendre leur modèle d’entreprise. Est-ce une bonne option pour les parents recherchant une école de qualité pour leurs enfants ?

Le Nigeria ne représente que l’une des cibles de BIA, dont les établissements ont été fermés au Kenya et en Ouganda pour violation de la législation nationale. Au mois de mars, la Haute Cour de justice de l’Ouganda a déclaré illégales les activités de BIA dans le pays, considérées comme une violation flagrante des réglementations minimales imposées par la loi.

Comptant parmi les plus grandes entreprises d’édu-business au monde, BIA envisage de vendre ses services payants à une dizaine de millions d’étudiant(e)s en Afrique et en Asie. Selon une nouvelle recherche lancée le 31 mai par l’Internationale de l’Education dans la capitale nigériane Lagos, les établissements du groupe BIA, où travaille un personnel non qualifié ne percevant que des salaires médiocres, n’offrent guère une alternative de qualité aux étudiant(e)s qui les fréquentent, pas plus qu’aux communautés dans lesquelles ils/elles vivent.

L’étude intitulée « Qualité et égalité : une étude comparative entre écoles publiques et écoles privées à bas prix à Lagos » analyse le degré de qualité et d’égalité offert par les écoles publiques et privées installées dans la capitale, en particulier aux enfants issus de familles pauvres.

Coût plus élevé, qualifications moindres

La recherche précise que la capitale Lagos manque d’écoles primaires publiques depuis les années 1980, ce qui a permis le développement d’un secteur privé extrêmement important, en l’absence de dispositions suffisantes pour garantir une réglementation efficace. Pour l’heure, environ 18 000 écoles privées sont opérationnelles à Lagos, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2011. Par ailleurs, l’aide financière étrangère a soutenu le développement des écoles privées. En effet, 3,45 millions £ ont été accordés à BIA en 2014 par le Département britannique du développement international (DFID), facilitant ainsi son entrée à Lagos. Autrement dit, le budget du gouvernement réservé à l’aide au développement passe aux mains d’opérateurs privés controversés.

La recherche a également révélé que, parmi les prestataires de services d’éducation privés, BIA coûte en moyenne plus cher aux parents, embauche du personnel non qualifié, impose peu de normes en termes de formation des effectifs et accorde moins d’intérêt que ses homologues à l’inclusivité et à l’égalité. A titre de comparaison, les écoles publiques de Lagos, lesquelles sont gratuites, possèdent les enseignant(e)s ayant le plus haut degré de qualification - tou(te)s sont titulaires de certifications formelles pour l’enseignement et bénéficient d’une formation continue.

Les équipes de recherche ont également pu constater que, malgré le financement insuffisant des écoles publiques et les autres problèmes qu’elles rencontrent, les enseignant(e)s demeurent engagé(e)s vis-à-vis de leurs élèves et défendent les valeurs d’égalité et d’inclusivité.

Investir dans l’éducation publique

Face à cette situation, le Secrétaire général du Nigeria Union of Teachers(NUT), Dr Mike Ike Ene, a déclaré : « Les écoles privées à bas prix ne sont pas une alternative à l’éducation publique. Sans investissement dans l’éducation publique, il ne sera pas possible de répondre aux besoins de l’ensemble des enfants, ni de garantir la qualité et l’égalité au sein des établissements scolaires. Nous soutenons l’Internationale de l’Education dans la conduite de cette recherche, qui met également en lumière le professionnalisme, le dévouement et l’engagement des enseignant(e)s des écoles publiques nigérianes, malgré toutes les difficultés rencontrées pour offrir une éducation de qualité. »

Dans un communiqué conjoint, le Président national du Nigeria Union of Teachers(NUT), Michael A. Olukoya, et son Secrétaire général, Dr Mike Ike Ene, ont déclaré :« L’éducation est un bien public et un droit pour chaque enfant, raison pour laquelle celle-ci relève de la responsabilité fondamentale du gouvernement. Les droits d’inscription ou toute autre barrière économique constituent des obstacles empêchant l’accès à l’éducation, en particulier pour les filles et les communautés défavorisées. Les progrès réalisés dans le domaine de l’éducation jusqu’à ce jour n’ont été possibles que grâce au développement du secteur public et à la suppression des frais de scolarité. »

David Edwards, Secrétaire général de l’Internationale de l’Education ajoute : « Ce n’est pas la première fois que nos recherches dénoncent les pratiques de cette chaîne commerciale, comparables à une forme d’exploitation. Du Kenya à l’Ouganda, en passant par le Liberia, nous avons pu observer que le système proposé par BIA contribue à accentuer la ségrégation au sein de l’éducation. Ce dernier met en péril le droit des enfants d’accéder à une éducation gratuite de qualité. »

Le rapport « Qualité et égalité : une étude comparative entre écoles publiques et écoles privées à bas prix à Lagos », préparé par Unterhalter E., Robinson L. et Ibrahim J. (2018) est disponible ici : pdf

La synthèse est disponible ici : pdf

Cinq raisons de cesser les investissements dans les entreprises d’édu-business telles que Bridge International Academies

Notes de bas de page

Cette recherche a été menée par Elaine Unterhalter, Centre pour l’éducation et le développement international, Institut de l’UCL pour l’éducation, et Jibrin Ibrahim, Centre pour la démocratie et le développement, Abuja, Nigeria. Assistant(e)s de la recherche : Lynsey Robinson Grace Nweke, Département de l’éducation spéciale, Université d’Ibadan, Nigeria, Olabanke Lawson, Institut de l’UCL pour l’éducation et Abayomi Awelewa.