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Mondes de l'éducation

Photo by Nathan Dumlao on Unsplash
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Le droit à un·e enseignant·e de qualité

Publié 27 août 2021 Mis à jour 6 septembre 2021
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Cela défie l’entendement. Prétendre que l’on se préoccupe de la qualité de l’offre de formation des enseignants du secteur, d’une part, et de l’autre, imposer au secteur un modèle uniformisé, ultra prescrit et étroitement réglementé. Affirmer que l’on procède par concertation, mais mener cette concertation en plein été, quand tout le monde est parti, et pour faire bonne mesure, réduire de moitié la période minimale obligatoire de concertation, au cas où nous aurions passé trop de temps à réfléchir aux recommandations de cette Révision mal conçue.

Déclarer au secteur que les preuves issues des études sont primordiales, tout en refusant de divulguer ces mêmes « preuves » si impérieuses qui ont conduit à cette réforme proposée de la formation initiale des enseignants en Angleterre. Et finalement suggérer que la Révision s’appuie sur des preuves, tout en recourant à l’artifice de la Banque mondiale consistant à citer principalement des preuves issues de recherches financées par elle.

Je parle, bien sûr, du Market Review of Initial Teacher Training Report (Rapport sur la révision du marché de la formation initiale des enseignant·e·s en Angleterre), publié début juillet par le ministère de l’Éducation britannique. La teneur idéologique du rapport ne laisse pas de place au doute – et se décline en deux tons. En premier lieu, il s’agit de favoriser l’entrée d’un plus grand nombre de prestataires, y compris ceux à but lucratif, dans le secteur de la formation initiale des enseignant·e·s, de manière à en faire un marché, à l’instar de ce qui a été fait dans l’enseignement supérieur en Angleterre. En second lieu, il en va de la volonté clairement affirmée du gouvernement de développer un contrôle monopolistique sur la formation des enseignant·e·s.

Si la libéralisation du marché est de toute évidence à l’ordre du jour, comme en témoignent les entreprises prédatrices qui cherchent à tirer des profits de l’éducation, il en va de même pour le renforcement du contrôle central exercé par les ministres du gouvernement qui croient savoir mieux que les professionnel·le·s du secteur comment former des enseignant·e·s de qualité. Dans une déclaration récente, Ian Mearns, président du Groupe parlementaire multipartite (All Party Parliamentary Group, APPG) pour la profession enseignante, demande : « Le gouvernement veut-il un marché ou un monopole ? Il me semble évident que le gouvernement veut les deux ! La discipline du marché et discipliner l’État. Pour moi, c’est du bonapartisme pur et dur, et nous savons où cela mène. »

Il semble également que les auteurs du rapport ne font pas la différence entre normes et standardisation. Comme l’a clairement indiqué le ministère de l’Éducation, qui a commandé cette étude, chaque enfant mérite de recevoir un enseignement dispensé par un·e enseignant·e dont la formation a été structurée de manière à garantir un niveau très élevé de compétences professionnelles. Il s’agit en l’occurrence d’un ensemble de normes. Cependant, tout·e enseignant·e digne de ce nom vous dira que le secret réside dans le fait de savoir considérer chaque enfant comme un être à part entière, avec ses particularités, et que le fait de travailler sur ces particularités est précisément ce qui leur permet de tirer le meilleur d’un·e apprenant·e. La standardisation produit l’effet inverse. Elle offre un traitement identique dans une séquence identique, malgré les besoins spécifiques des apprenant·e·s et des personnes en formation. Il s’agit d’une approche homogène, uniforme. Ian Bauckham, président du groupe consultatif d’expert·e·s chargé de l’examen du marché de la formation initiale des enseignant·e·s, insiste sur le fait que ce n’est pas le cas, et qualifie de « faiseur de mythes » quiconque voit les choses différemment.

Cependant, dans l’ensemble du secteur, de l’APPG à l’Universities Council for the Education of Teachers (Conseil des universités pour la formation des enseignant·e·s, UCET), en passant par le Russell Group, Oxford, Cambridge, Million Plus et bien d’autres, il existe un consensus fort et unifié sur le fait que : (i) dispenser à tou·te·s les enseignant·e·s exactement le même programme de formation, indépendamment des différences de style, d’expérience, de matière et de phase d’apprentissage des élèves ; (ii) imposer des stages régimentés au cours desquels il·elle·s mettent en pratique le même ensemble étroit de compétences ; (iii) contrôler ces stages par le biais d’un système de « mentors principaux » qui limitent l’indépendance des personnes chargées de soutenir les enseignants en stage ; et (iv) prescrire la manière dont les enseignant·e·s en formation doivent être évalué·e·s, revient précisément à cela : une approche uniformisée de la formation initiale des enseignant·e·s.

Dans le contexte de l’éducation, cela reviendrait à ce que nous traitions chaque élève et chaque enseignant·e stagiaire de la même manière, comme un rouage du système. Ce qui peut fonctionner pour la production de boutons, mais pas pour la formation des enseignant· e·s, et pas, non plus, pour l’apprenant·e qui est en droit d’attendre quelque chose de mieux.

Des commentateur·trice·s ont utilisé à juste titre la métaphore du « boulet de démolition » pour décrire les recommandations de l’étude. Je partage leur point de vue. En démolissant la formation initiale des enseignant·e·s, c’est tout l’avenir du droit des apprenant·e·s à une éducation de qualité qui est compromis.

Une vague de colère s’élève dans le secteur, qui appelle à stopper net cet ensemble de propositions idéologiquement orientées, mal conçues, insuffisamment étayées et coûteuses visant à transformer radicalement la formation initiale des enseignant·es en Angleterre.

Que demandons-nous ? Deux choses. Premièrement, que le gouvernement engage une discussion approfondie avec les professionnel·le·s de la formation initiale des enseignant·e·s sur la manière de tirer parti de l’excellente formation des enseignant·e·s actuellement en place, de comprendre les problèmes qualitatifs que rencontrent certains prestataires et d’œuvrer au développement des meilleures pratiques dans l’ensemble du secteur. Deuxièmement, faire corps en tant que communauté d’éducateur·trice·s, de parents et de citoyen·ne·s concerné·e·s, afin de mener à bien une campagne sur le droit de l’apprenant·e à un·e enseignant·e de qualité, et sur le droit des enseignant·e·s stagiaires à donner le meilleur d’eux·elles-mêmes !

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.