Soutenir les personnels enseignants ukrainiens réfugiés en Irlande
Restez à jour
Abonnez-vous à la lettre d’information Mondes de l’Éducation.
Restez à jour
Abonnez-vous à la lettre d’information Mondes de l’Éducation.
Merci de votre abonnement
Une erreur est intervenue
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a suscité une réaction sans précédent de l’Union européenne (UE), qui a activé la Directive relative à la protection temporaire accordant le droit aux personnes déplacées de séjourner au sein de l’UE et d’accéder à l’emploi et à l’enseignement. Parmi les 5,8 millions de personnes déplacées hors de l’Ukraine figurent environ 22 000 enseignantes et enseignants (Stolarski, 2024). Si la scolarisation des enfants déplacé·es a fait couler beaucoup d’encre, les trajectoires professionnelles des enseignantes et enseignants réfugié·es ont suscité nettement moins d’attention.
Cet article se réfère à une recherche menée auprès d’un groupe d’enseignantes ukrainiennes et d’enseignants ukrainiens réfugié·es en Irlande, ayant participé à un programme de transition adapté, destiné à faciliter leur intégration dans le système éducatif irlandais. Dans la mesure où il s’agit de professionnel·les qualifié·es cherchant à poursuivre leur carrière en dehors de leur pays, ces enseignantes et enseignants sont considéré·es comme des personnels enseignants immigrants formés à l’étranger (EIFÉ) contraints à la migration forcée.
La recherche s’articule autour de deux questions directrices :
- Quelle est l’expérience de ces enseignantes et enseignants concernant leur reconnaissance professionnelle en Irlande ?
- Quels sont les défis et opportunités rencontrés dans le cadre de leur recherche d’emploi ?
Programmes de transition et rôle des EIFÉ
La migration des enseignantes et des enseignants est un phénomène en recrudescence, résultant à la fois de la mobilité mondiale et des déplacements forcés. Si les EIFÉ contribuent à accroître la diversité au sein de la profession enseignante, ces personnels rencontrent souvent des problèmes systémiques tels que la reconnaissance des qualifications, l’emploi précaire et le sous-emploi. Pour les personnes réfugiées, ces problèmes sont souvent aggravés par les traumatismes, la dislocation et la déqualification professionnelle.
Les programmes de transition, centrés sur la compréhension des programmes d’études locaux, la formation linguistique et la pratique réflexive, leur apportent un soutien visant à faciliter leur intégration. En 2023, en Irlande, le Marino Institute of Education a mis au point un programme de transition adapté aux personnels enseignants ukrainiens réfugiés, au travers de son projet Migrant Teacher Project (MTP). Ce programme de développement professionnel continu, déployé avec le soutien financier de l’UE, a permis à 64 enseignantes et enseignants d’explorer et comprendre le système éducatif irlandais et de créer un espace dédié à la réflexion et à la collaboration entre collègues.
Reconnaissance professionnelle : une procédure adaptée
En réponse à la crise, le Conseil de l’éducation irlandais (Irish Teaching Council) a modifié la procédure d’accréditation pour les personnels enseignants ukrainiens dans le cadre de la Directive relative à la protection temporaire. Depuis, les enseignantes et les enseignants peuvent être accrédité·es en faisant valoir leurs qualifications pour l’enseignement acquises en Ukraine − la procédure de reconnaissance complète ayant été postposée.
En février 2024, 148 enseignantes et enseignants d’Ukraine avaient suivi cette procédure. Sur les 50 personnes ayant répondu à l’enquête d’évaluation du projet MTP, 40 ont pu s’enregistrer avec succès, essentiellement dans l’enseignement post-primaire. Les participantes et participants décrivent généralement le processus d’enregistrement comme étant « rapide », « commode » et « clair », et soulignent la serviabilité du personnel du Conseil de l’éducation.
Des retards ont toutefois été signalés, en raison de documents manquants ou non traduits. Une minorité a constaté certaines inadéquations entre leurs qualifications et les matières pour lesquelles ils ou elles se sont enregistré·es, souvent pour enseigner l’anglais malgré leur absence de formation spécifique en littérature, une condition essentielle en Irlande.
Les réalités de l’emploi
Sur les 50 personnes interrogées dans le cadre de l’enquête, 32 déclarent exercer des fonctions rémunérées dans des écoles irlandaises. La plupart ont été engagé·es pour enseigner l’anglais en tant que langue seconde (English as an Additional Language − EAL), le plus souvent pour accompagner les élèves venu·es d’Ukraine. Toutefois, ces postes n’offrent généralement que des emplois à temps partiel, temporaires ou précaires, une caractéristique du recrutement dans les établissements scolaires irlandais, où le financement de l’EAL n’est que temporaire.
Plusieurs ont exprimé leurs inquiétudes concernant leurs perspectives d’emploi futures, notamment parce que l’accompagnement EAL auquel ont droit les élèves est limité dans le temps. D’autres ont mis en avant la difficulté à s’y retrouver dans les processus de candidature compétitifs et les exigences en matière de compétences linguistiques. Toutefois, un grand nombre de participantes et participants se déclarent fermement déterminé·es à enseigner et à apporter une contribution utile à l’enseignement en Irlande, en dépit des difficultés.
Aller de l’avant : risques et recommandations
Les résultats dépeignent une situation relativement positive, la plupart des participantes et participants ayant réussi à s’enregistrer et bon nombre ayant trouvé un emploi dans l’enseignement. En revanche, dans d’autres contextes, les EIFÉ et les personnels enseignants réfugiés connaissent des situations d’exclusion. Autre constat, ce système d’intégration rapide risque fort de ne pas pouvoir être maintenu à long terme.
En effet, les enseignantes et les enseignants doivent toujours se soumettre à des évaluations officielles de leurs qualifications, susceptibles de révéler des lacunes, notamment chez ceux et celles enregistré·es pour enseigner l’anglais, une matière où les normes du programme scolaire sont particulièrement strictes en Irlande. Les exigences liées aux compétences linguistiques constituent également un obstacle dans le cadre de leur enregistrement ou de la reconduction de leur inscription. Avec la diminution des postes EAL disponibles, les possibilités d’emploi menacent de se raréfier, principalement dans les régions moins densément peuplées où les pénuries de personnel enseignant sont inexistantes.
Afin d’éviter une exclusion rétrospective, ou ce que Klarenbeek appelle l’« isolement social », l’Irlande devrait investir dans un système de soutien global sur le long terme. Il s’agirait notamment de proposer aux enseignantes et aux enseignants une aide financière et logistique leur permettant de remplir toutes les conditions liées à leur enregistrement, de leur communiquer des informations claires et précises, et de mettre en place des systèmes de transition et de soutien continu pour leur recrutement et leur rétention. Étendre ces aides au-delà des personnels enseignants ukrainiens pour inclure les autres enseignantes et enseignants ayant migré, de gré ou de force, contribuerait à renforcer l’égalité et la diversité au sein de la profession.
Passer d’un aménagement à court terme à une inclusion à long terme
En dépit de leur déplacement contraint et forcé, les personnels enseignants ukrainiens réfugiés en Irlande font preuve de résilience, de capacité d’adaptation et d’engagement professionnel. Leurs expériences révèlent à la fois le potentiel de systèmes réactifs et la fragilité des aides provisoires. Veiller à que ces enseignantes et enseignants ne soient pas déprofessionnalisé·es, mais pleinement intégré·es à la communauté éducative, profite non seulement aux effectifs eux-mêmes, mais également aux écoles et aux élèves. À l’occasion de la Journée mondiale des réfugié·es, à l’heure où l’Irlande et l’Europe en général se penchent sur la question de leur intégration, il est crucial de passer d’un aménagement à court terme à une inclusion à long terme, en mettant à profit les compétences et autres contributions des enseignantes et enseignants réfugié·es, en tant que membres légitimes de leurs nouvelles sociétés.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.