Voix de l’éducation | Vers une Syrie pacifique, démocratique et inclusive
Entretien avec Nesrin Reshk, coordinatrice internationale de l’Union des enseignants et enseignantes du nord-est de la Syrie
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Mondes de l’éducation : Nesrin, nous sommes ravi·es de vous accueillir pour cette interview à l’occasion de votre première visite au siège de l’Internationale de l’Éducation à Bruxelles. Avant toute chose, pourriez-vous en quelques mots, vous présenter à celles et ceux qui nous lisent ?
Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour le travail que vous accomplissez et pour votre accueil chaleureux. C’est grâce à l’IE que j’ai la chance d’être ici parmi vous aujourd’hui. Je m’appelle Nesrin Reshk et je viens de la ville d’Al-Hasakah, en Syrie. Je suis membre de l’Union des enseignants et enseignantes du nord-est de la Syrie et, depuis 2023, je travaille au bureau des relations internationales du syndicat.
Notre syndicat a été fondé en 2013 et a été la première organisation syndicale de l’éducation à voir le jour après la révolution. Notre objectif initial était d’organiser les personnels enseignants. Aujourd’hui, nous en représentons 40.000 sur un total de 45.000 dans notre région qui couvre le nord-est du pays, répartis dans 5.000 écoles.
Mondes de l’éducation : Après 15 ans de guerre, que pouvez-vous nous dire à propos de la situation des pesonnels enseignants et des élèves dans le nord-est de la Syrie ?
Nous comptons 5.000 écoles dans le nord-est de la Syrie, dont 150 ont été complètement détruites pendant la guerre, que ce soit par Daech ou par l’État turc. Elles ont été prises pour cible et bombardées.
Actuellement, les inscriptions dans les écoles de l’Administration autonome du nord-est syrien sont au nombre de 900 000. Du fait de la guerre et des conditions changeantes dans la région, la situation des élèves et des personnels enseignants peut être qualifiée de bonne mais instable.
Les déplacements de population constituent un problème majeur. Pour vous donner une idée du contexte, après la chute du régime baasiste, le 8 décembre 2024, et suite à l’occupation de nombreuses zones du pays, les habitantes et les habitants, dont un grand nombre d’enfants en âge d’aller à l’école, ont cherché refuge dans notre région. C’est pourquoi nous nous trouvons actuellement confronté·es à de nombreux défis dans les camps de déplacé·es. Notamment, la difficulté à assurer la continuité du processus éducatif et les traumatismes psychologiques subis tant par les élèves que par les personnels enseignants.
Mondes de l’éducation : Que souhaiteriez-vous que vos collègues à l’étranger sachent concernant la situation de l’éducation et des personnels enseignants dans le nord-est de la Syrie ?
Les médias locaux et internationaux nous accordent peu d’attention. Notre syndicat suit un modèle démocratique, dont le meilleur exemple est le travail que nous menons en faveur de l’enseignement et de l’apprentissage dans la langue maternelle. Il s’agit d’un droit légitime et fondamental ancré dans les principes internationaux des droits humains.
Le programme scolaire antérieur était le programme officiel de l’État syrien sous le régime baasiste, qui glorifiait les victoires du Baas, l’idéologie baasiste et ses dirigeants. Après la révolution, nous avons décidé de changer de programme. Nous avons désormais trois programmes scolaires fondamentaux enseignés dans la langue maternelle : arabe, kurde et syriaque. Il s’agit des langues natives des communautés du nord-est de la Syrie. Le programme baasiste a été remplacé par ces nouveaux programmes, car ils répondent aux besoins de la population et reflètent la composition réelle de la société dans notre région, loin de la politique.
Grâce à notre collaboration avec l’IE et d’autres organisations internationales, nous espérons que le monde prendra conscience de ce modèle démocratique et le soutiendra. Nous pensons, en effet, qu’il est la clé pour résoudre tous les problèmes de la Syrie : briser le cercle vicieux du radicalisme et du racisme, et sortir de l’unicité linguistique et des politiques d’arabisation imposées à l’ensemble du pays.
Nous espérons que nos collègues, tant au niveau international que local, contribueront au rayonnement du nord-est de la Syrie, avec son système éducatif et son administration locale, afin qu’il serve d’exemple pour construire une Syrie unie, démocratique et pacifique.
Mondes de l’éducation : En plus de la guerre, en 2023, la Syrie a été frappée par un séisme dévastateur. En tant qu’enseignante et syndicaliste, qu’a signifié pour vous la solidarité internationale face à cette catastrophe ?
Au moment du tremblement de terre, nous étions en Allemagne pour assister à la conférence du syndicat de l’éducation et des sciences (Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft, GEW). La plupart des personnes que nous avons rencontrées nous ont témoigné leur solidarité et leur soutien envers les victimes de cette tragédie en Syrie.
Cela dit, nous n’avons pu nous empêcher de remarquer une grande différence entre le soutien témoigné à la Turquie, également touchée par le séisme, et celui témoigné à la Syrie. Des personnes du monde entier se sont rendues en Turquie pour soutenir les victimes, or le nord-est de la Syrie n’a reçu que très peu d’aide. Nous avions le sentiment que personne ne voulait nous aider.
Une poignée d’organisations présentes sur le terrain ont proposé des initiatives modestes en réponse à la catastrophe, mais celles-ci sont restées très limitées.
Certaines organisations sont toutefois venues à notre aide, notamment l’Internationale de l’Éducation. Votre soutien a eu un impact considérable sur l’ensemble de la population du nord-est de la Syrie, et pas seulement sur les personnels enseignants. Nos membres ont fait preuve d’une grande solidarité et d’une grande abnégation par rapport à leur propre situation catastrophique. L’IE nous a accompagné·es et soutenu·es tout au long de cette crise, et nous avons soutenu nos communautés.
Mondes de l’éducation : Aujourd’hui, votre syndicat représente 40.000 membres. Quels sont les besoins de vos membres et quelles sont les principales priorités de votre syndicat ?
Nous avons trois grandes priorités. La première est d’assurer la paix afin que notre région soit sûre et stable et que nous puissions poursuivre notre chemin vers la réalisation de notre vision de l’éducation.
Une autre priorité essentielle est d’unifier les programmes scolaires dans toute la Syrie. Nous voulons étendre notre mode de travail et notre approche démocratique à l’ensemble du pays, car nous sommes convaincu·es que nos programmes scolaires et nos modèles d’administration locale sont la solution à nos problèmes en tant que pays et peuvent contribuer à mettre fin au racisme et au sectarisme. Nous devons également rouvrir nos écoles et ramener les élèves et les personnels enseignants dans les salles de classe. Notre objectif est de garantir une éducation sûre et durable pour l’ensemble de la communauté éducative, élèves et personnels enseignants.
Troisièmement, nous devons améliorer les compétences et les capacités de nos personnels enseignants, tant sur le plan professionnel que dans le cadre de leurs fonctions syndicales, par le biais de formations et d’académies professionnelles spécialisées. L’amélioration de la situation financière des enseignantes et des enseignants et de leurs conditions de vie est essentielle dans le contexte économique difficile actuel.
Mondes de l’éducation : Après la chute du régime Assad, un gouvernement de transition a pris le pouvoir. Quelles sont les relations entre votre syndicat et ce nouveau gouvernement ?
Nous avons été parmi les premières organisations à prendre contact avec le nouveau gouvernement syrien, par l’intermédiaire du ministère de l’Éducation. Nous nous efforçons toujours de placer l’éducation en tête des priorités politiques. Nous avons souligné la nécessité d’unifier les programmes scolaires dans tout le pays et de garantir l’éducation en langue maternelle, car la langue est une exigence fondamentale et démocratique à laquelle nous croyons. L’égalité de genre doit également être une pierre angulaire de l’éducation, et nous l’avons clairement indiqué lors de nos discussions avec le gouvernement. Ces questions ont été abordées et nous les considérons comme essentielles pour la suite de notre travail.
Mondes de l’éducation : En tant que syndicat, quelle est votre vision pour l’avenir de la Syrie ?
Notre objectif principal est de construire la démocratie à travers l’éducation et le syndicalisme. Le programme d’enseignement en langue maternelle que nous avons élaboré et que nous promouvons repose sur des valeurs démocratiques. Nous œuvrons également à organiser les enseignantes et les enseignants au sein d’un syndicat démocratique qui serve d’exemple et sensibilise à l’importance des principes démocratiques dans notre pays.
La revendication fondamentale du peuple syrien, qui a énormément souffert des horreurs de la guerre, est de voir émerger une Syrie ouverte, démocratique, riche en traditions et en cultures. Nous voulons retrouver la Syrie qui était autrefois un modèle pour le monde entier.
Mondes de l’éducation : Comment l’Internationale de l’Éducation et vos collègues à travers le monde peuvent vous aider à concrétiser cette vision ?
Nous espérons que nos collègues à tous les niveaux – international, national, local – contribueront à braquer les projecteurs sur le nord-est de la Syrie et sur le modèle que nous sommes en train de mettre en place.
Depuis près de 15 ans, notre région a bénéficié d’un système de gouvernance géré par une administration locale autonome. Notre système éducatif est démocratique et inclusif, et s’appuie sur un modèle d’enseignement et d’apprentissage multilingue et en langue maternelle, où une place centrale est accordée à l’égalité de genre.
Grâce aux médias d’information, à la télévision et aux réseaux sociaux, nos collègues peuvent contribuer à mieux faire connaître notre région et notre modèle afin qu’il s’étende à l’ensemble du pays et devienne l’exemple à suivre pour une Syrie libre, ouverte et démocratique, pour l’ensemble des citoyennes et citoyens.
Mondes de l’éducation : Sur un plan plus personnel, en tant que jeune dirigeante syndicale et enseignante, vous avez eu l’occasion de quitter le pays et de vous construire un avenir ailleurs. Qu’est-ce qui vous retient en Syrie, vous et vos 40.000 collègues et membres du syndicat, en dépit de toutes les difficultés et les épreuves ?
Vous avez soulevé un point vraiment important et significatif qui nous tient fort à cœur. Comme beaucoup de mes collègues, j’ai eu la possibilité de quitter le pays et de recommencer ma vie ailleurs. Mais les souffrances de notre patrie ont toujours été présentes dans nos esprits et dans nos cœurs. Nous ne pourrions pas quitter notre pays à un moment où nous avons encore tant à lui offrir.
J’aimerais souligner, à ce propos, que la majorité de nos membres sont jeunes. Nous formons une génération capable de porter le syndicat et la société. En tant que syndicat, nous estimons qu’il est de notre devoir d’organiser notre société et de reconstruire notre pays selon des valeurs démocratiques. Nous croyons en la démocratie et, quel que soit le travail que cela implique. Nous ne ménagerons aucun effort pour que la démocratie et la liberté prévalent dans la nouvelle Syrie.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.