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Internationale de l'Education
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France: l’enseignant(e), un symbole fort du service public de l'éducation

Publié 16 novembre 2012 Mis à jour 27 novembre 2012

L’Education nationale en France est composée de trois parties: le service public, qui scolarise 84% des élèves; et les établissements privés sous contrat d'association ;le secteur privé hors contrat d'association.

La construction de l’Ecole s'est effectuée à partir de la fin du 19e siècle sur les bases de la laïcité. Les premiers/ières instituteurs/trices portaient l'idéal du service public. Cette image donnait une importance sociale énorme aux enseignant(e)s. La situation est devenue plus contrastée.

Trois types idéaux de conception de l’Etat et de la formation des enseignant(e)s

Chaque modèle d’Etat correspond  à un projet d’école et de société dont le dispositif de formation professionnelle des enseignants reflète les choix opérés en matière de modèle éducatif. Ces modèles d’Etat se croisent avec des formes de régulation bureaucratiques ou post bureaucratiques (Maroy, 2008).

L’Etat  républicain

L’Etat est le garant de la construction d’une communauté nationale face aux bouleversements induits par le développement industriel ; la question de l’intégration sociale semble pouvoir être résolue par l’éducation des jeunes générations (Durkheim, 1986, 1989). Au 19e siècle, l’école républicaine se développe à l’image de la société : d’un côté, celle du peuple qui doit pouvoir accéder à l’instruction et, de l’autre, celle de l’élite. A cette segmentation correspondent deux types de maîtres. Pour le premier degré, les maîtres laïcs sont formés dans des institutions structurant fortement une identité professionnelle. L’institution de formation est construite sur le modèle de l’institution scolaire. Pour le second degré, la formation pédagogique est très faible, la culture professionnelle est fondée sur l’importance des savoirs disciplinaires à transmettre. Le modèle bureaucratique du ministère de l’Éducation nationale est exemplaire de ce type de fonctionnement.

L’Etat éducateur

Il s’agit du modèle de démocratisation fondé sur la réussite des élèves et le développement professionnel des enseignant(e)s.

Le modèle de l’État éducateur émerge dans les années 1960. Il se concrétise avec le collège unique en 1975 et la loi d’orientation de 1989. L’accueil de tou(te)s les élèves  va bouleverser le métier enseignant.

Ce modèle fondé sur l’idéal de réussite de tous les élèves est le fait d’un Etat fortement centralisé dans les prises de décisions liées aux curricula, le recrutement et la gestion des carrières des enseignant(e)s. L’enseignant acquiert une formation professionnelle pédagogique, didactique dans des lieux et des temps communs au premier et au second degrés. Elle devient la clé de la démocratisation car, pour permettre la réussite de chacun, il faut construire un développement professionnel et des compétences (Bourdoncle 1993, Perrenoud 1999). Le modèle du professionnel va s’imposer tant pour le premier degré que pour le second, même si certains aspects du métier demeurent différents.

Les enseignants ont une marge de manœuvre importante dans la conduite individuelle de l’enseignement et une gestion de leur carrière très prévisible. Expertise et savoirs professionnels sont reconnus.

Cette logique de professionnalisation à visée démocratisante perdure dans les discours et les attentes de l’institution, tout en étant remise en cause avec la promulgation de la loi de 2005.

L’Etat évaluateur

Celui-ci s’inscrit dans une logique de résultats et la recherche de l’efficacité pédagogique via la diffusion des bonnes pratiques.

L’Etat évaluateur s’inscrit dans un nouveau modèle de régulation plus souple fondé sur l’autonomie des institutions et des acteurs/trices, la décentralisation des décisions, le rôle accru des usagers, la diversification de l’offre de formation, l’assouplissement des choix de carte scolaire. Cependant, l’Etat ne disparaît pas, il définit les objectifs de système et le contrôle du curriculum, impulse les décisions et négocie avec les entités locales (Maroy, 2005). Dans ce modèle, la valorisation de l’efficacité instrumentale peut primer sur le respect de l’engagement civique et citoyen et sur les préoccupations éducatives (Maroy, 2008). Le souci de la performance peut conduire à s’éloigner des finalités annoncées et va de pair avec une défiance accrue à l’égard de l’autonomie professionnelle des enseignants. L’idée d’un enseignant  professionnel est remise en cause au profit de la recherche d’efficacité via la mise en œuvre de bonnes pratiques, repérées et décidées dans un monde d’experts éloigné des pratiques réelles de la classe. Les nouvelles politiques d’éducation se traduisent par l’omniprésence du projet, obligation de résultats, etc., et du côté des personnes, le travail comme engagement de soi et réflexivité (Boltanski et Chiapello, 1999 ; Giddens, 1987).

Ce modèle se retrouve pour partie dans les recommandations de l’OCDE, mais également dans celles du conseil de l’Union européenne. Pour autant, le système éducatif et le modèle de formation des enseignants français restent spécifiques.

La construction des nouveaux dispositifs de formation: deux logiques, deux temps

La construction des nouveaux dispositifs de formation depuis 2005 s’organise selon deux logiques différentes (professionnalisation et comptable), et deux temps (impulsion et mise en œuvre locale). Les décisions concernant la formation initiale des jeunes enseignants semblent marginales et transitoires, mais touchent en réalité les temps, contenus, acteurs, lieux de formation et évaluation.

L’impulsion de la réforme de 2009: logique de professionnalisation, logique comptable

L’impulsion visible est venue du Ministre de l’Education nationale, Luc Chatel. L’annonce  a  provoqué de nombreuses résistances.

La justification des changements par le pouvoir politique central s’est appuyée sur deux logiques: une logique de compétences et une logique de performance (Bernstein, 2007). Le discours politique puise ses références à la fois dans les programmes européens, auprès d’experts nationaux ou internationaux, mais également dans la critique sociale.

La logique du développement professionnel des enseignant(e)s se situe dans un modèle de compétences et de rationalité en valeur…

En France, cette logique de la professionnalisation s’inscrit dans le modèle du développement professionnel issu des travaux du colloque d’Amiens de 1968, puis de la  commission Bancel dans le cadre de la loi de 1989. Elle fait consensus sur un double registre, celui de la formation en alternance pédagogique et celui du modèle du praticien réflexif.

En 2006, la rédaction d’un cahier des charges en dix compétences professionnelles peut être comprise comme la reconnaissance de cette professionnalisation. Pour autant, la logique de la professionnalisation n’est pas entendue de la même façon par tous les acteurs du système éducatif. Cette logique n’a plus le même sens si elle est couplée au modèle de l’Etat éducateur ou de l’Etat évaluateur.

Et s’oppose à une logique comptable et une rationalité instrumentale

L’évolution du financement de la formation des enseignant(e)s permet de comprendre les transformations à l’œuvre. Dans le modèle de l’Etat éducateur, il assurait la formation initiale des enseignant(e)s via les Instituts universitaires de formation des maîtres  et la formation continue. Les deux réformes analysées s’inscrivent clairement dans une logique comptable.

La mise en stage une journée par semaine des professeur(e)s d'école pour améliorer le travail des directeurs/trices  résout en partie un conflit ouvert depuis plus d’une décennie. Le Ministère de l’Education nationale a pu concilier deux objectifs apparemment contradictoires: améliorer les conditions de travail des directeurs/trices et mettre en place une réforme sans coût financier. Ce faisant, il a mis sous tension les stagiaires et l’ensemble du dispositif de formation.

Lorsque le Gouvernement supprime au  budget 2010, les postes d’enseignant(e)s stagiaires, il économise 5.000 équivalent temps plein.

La justification par la logique comptable est toujours doublée d’un discours sur la logique de professionnalisation trouvant sa source dans les critiques sociales souvent contradictoires conduisantà une formation éloignée du modèle du praticien réflexif. Cela conduit à l’installation un modèle de formation fondé sur la maîtrise des savoirs académiques sans lien avec les savoirs pour enseigner, devenus inutiles dans le cadre d’une formation aux bonnes pratiques choisies par des expert(e)s.

La profession enseignante en France: un avenir incertain

La réforme de 2009, imposée par le pourvoir politique, a débouché sur une situation critique. Ainsi, les nouveaux/elles enseignant(e)s, dépourvu(e)s de toute formation professionnelle conséquente, sont placé(e)s depuis la rentrée 2010 dans les classes, avec un temps plein. Les « plus chanceux » d'entre eux/elles ont droit à quelques heures de formation, par mimétisme, en dehors de leur temps de service.

L'alternance politique de 2012 pourrait éventuellement changer la logique à l’œuvre. La réponse interviendra dans les premiers mois de 2013 avec l'adoption d'une loi sur la « refondation de l’École » et de celle sur l'enseignement supérieur et la recherche.

Par Gisèle Jean et Thierry Astruc, Syndicat national de l'enseignement supérieur-Fédération syndicale unitaire (SNESUP-FSU/France)