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Internationale de l'Education
Internationale de l'Education

Intro à l'édition spéciale

Publié 1 février 2016 Mis à jour 27 février 2018
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L’éducation est un droit humain et un bien public. Ce principe constitue la pierre angulaire de l’Internationale de l’Education (IE) et des contributeurs/trices à cette édition spéciale de Mondes de l’Education. Toutefois, le droit à l’enseignement public de qualité pour tous s’érode progressivement. Plusieurs chercheurs/euses ayant contribué à cette édition intitulée « Le droit à l’enseignement public de qualité pour tou(te)s mis en vente » ont collaboré avec l’IE et identifié que la plus grande menace qui pèse sur la réalisation de l’éducation de haute qualité pour tou(te)s est probablement le recours toujours plus fréquent aux mécanismes du marché et à la privatisation de l’éducation.

Cette édition réunit les points de vue des chercheurs/euses, des éducateurs/trices et des militant(e)s ayant travaillé avec l’IE dans le cadre de la lutte mondiale contre la privatisation. Partout à travers le monde, ces intellectuel(le)s s’efforcent de sensibiliser l’opinion publique aux facteurs qui poussent les autorités publiques à confier l’éducation à des entreprises d’édu-business, plutôt qu’aux éducateurs/trices. Les articles contenus dans ce numéro présentent à la fois les nombreuses raisons idéologiques qui sous-tendent la commercialisation de l’éducation et les preuves démontrant leur incidence sur les classes, le personnel enseignant et les étudiant(e)s.

L’ambition du mouvement de privatisation, souvent appelé Mouvement mondial pour la réforme de l’éducation (GERM), est à la fois commerciale et idéologique. Dans son article Le radicalisme du marché transforme l’éducation, Steve Klees explique en détail les dommages causés à l’éducation par les politiques néolibérales depuis les années 1980. La priorité mondiale accordée au marché a fini par rendre l’éducation responsable du chômage et d’autres problèmes économiques, tandis que les acteurs privés et les pratiques du marché ont altéré la perception de l’éducation en tant que bien public. En présence de ces réformes politiques guidées par les intérêts des entreprises, Klees affirme que l’Education pour Tous et les Objectifs du Millénaire pour le développement n’étaient que des promesses vides et que les Objectifs de développement durable risquent de connaître le même sort si nous ne modifions pas radicalement notre façon de financer et de soutenir le secteur public, notamment l’éducation. Il plaide en faveur de l’abandon de l’idéologie néolibérale au sein de l’éducation et prône la restauration de la légitimité des gouvernements et de la démocratie participative dans les écoles.

D’autres articles publiés dans cette édition illustrent la façon dont le GERM est influencé par de puissantes et influentes entreprises et entrepreneurs de l’édu-business à travers le monde, détenant un pouvoir énorme et consacrant des ressources colossales à nuire au secteur public et à détourner les fonds qui lui sont propres. Les idéologies politiques prônant la liberté de choix de l’établissement scolaire, la concurrence, la responsabilité, ainsi que la standardisation des tests, des programmes, des méthodes pédagogiques et de l’évaluation des enseignant(e)s sont de plus en plus défendues et littéralement « vendues » aux gouvernements par des entreprises et des fondations privées. Dans son article Une longue division : les intérêts privés n’ont aucune place dans l’enseignement public !, Susan Robertson affirme que les pays du monde ont adopté une forme particulière de logique de marché : « L’éducation sera plus efficace si elle est régie par les principes de la concurrence (choix, normes, informations en matière de performance, etc., censés contribuer à une amélioration de la qualité) et si les entreprises privées assurent plus efficacement que les gouvernements la gestion de l’offre de produits et de services (réduction des coûts) ». Robertson explique : « Le modèle de marché s’oppose au modèle d’investissement public, c’est-à-dire, un système éducatif global fondé sur l’accès universel et l’égalité, préparant les citoyennes et citoyens à la vie politique et économique. Les mécanismes permettant de garantir la qualité comprennent la préparation d’enseignantes et enseignants de haute qualité, le financement équitable des écoles, des infrastructures de haute qualité et une éducation holistique de l’enfant. L’idée de base est que la propriété et la responsabilité publiques, ainsi que la transparence au travers de processus démocratiques, permettront de garantir un enseignement et des environnements pédagogiques de qualité pour les enseignantes et enseignants et les étudiantes et étudiants , et donc de meilleurs résultats scolaires. » D’autres articles dans cette édition étudient en détail les mécanismes et les moteurs d’un système dont la gestion est de plus en plus souvent confiée à des entreprises privées.

En vertu de la logique de marché qui conditionne ces réformes, les entreprises d’édu-business se positionnent en tant que prestataires capables d’apporter des « solutions » aux problèmes que rencontrent les politiques nationales lorsqu’il s’agit de relever les normes et d’obtenir des résultats en matière d’amélioration de l’éducation. Cette promotion de leurs propres services englobe également une participation active à l’élaboration des politiques et à la création de réseaux permettant de soutenir des décisions offrant de nouvelles opportunités commerciales. Dans leur résumé du rapport Privatisation déguisée, le chercheur Stephen Ball et la chercheuse Deborah Youdell étudient les différents aspects de ce phénomène et leur incidence sur les systèmes éducatifs à travers le monde (pour lire le rapport dans son intégralité, rendez-vous sur le site:

http://www.campaignforeducation.org/docs/privatisation/Endogenous%20Privatization%20Stephen%20Ball_ENGLISH.pdf

Ball et Youdell affirment que les tendances visant à déguiser la privatisation sont rarement appelées « privatisation », mais plutôt imbriquées dans des politiques instituant un nouveau langage qui, à son tour, devient la nouvelle norme pour aider l’Etat à faire évoluer son système éducatif public vers une structure apparentée à une entreprise.

Le problème qui se pose à long terme lorsqu’il s’agit de garantir le droit à l’enseignement public de qualité est que les gouvernements externalisent l’offre et les services d’éducation vers des entreprises commerciales et que les acteurs privés ont la capacité de faire valoir leur influence dans les processus politiques et d’orienter les programmes en matière d’éducation dans un sens où les intérêts des étudiant(e)s, des enseignant(e)s et des sociétés ne représentent plus vraiment une priorité. Aux quatre coins de la planète, nous observons une augmentation des activités menées par des sociétés commerciales sur le marché de l’éducation, au travers du nouveau secteur des technologies de l’éducation (vente de logiciels et de systèmes de gestion des données pour répondre aux nouvelles mesures en matière de responsabilisation, centralisation des programmes scolaires en ligne, évaluations et modèles de formation des enseignant(e)s, création d’« écoles en boîte » pouvant être achetées et distribuées à travers le monde, etc.) qui vise à formater l’apprentissage et à détourner des ressources qui auraient pu servir à recruter davantage d’enseignant(e)s et de personnel de soutien à l’éducation et à acquérir des infrastructures ou des programmes pour les étudiant(e)s du secteur public. Dans son article Mythe : l’apprentissage mixte est la prochaine révolution technologique au sein de l’éducation -  Hypermédiatisation, préjudices et espoirs, Phil McRea soutient que l’apprentissage en ligne n’est pas une idée nouvelle ou révolutionnaire, comme le laissent entendre les entreprises prônant la réforme de l’éducation et les sociétés de formation commerciale, qui vantent les vertus de rendre le monde accessible aux enfants pauvres au travers de programmes d’apprentissage en ligne assurés par des sociétés privées. Il met en garde contre le fait que, en leur état actuel, ces solutions d’apprentissage nuisent aux compétences et à l’autonomie des enseignant(e)s, tout en transformant les étudiant(e)s en consommateurs/trices passifs/ives, plutôt qu’en utilisateurs/trices autonomes. Ces modèles ne se contentent pas uniquement de contrôler le contenu des programmes scolaires et des tests, ils écartent les enseignant(e)s pour les remplacer par des « facilitateurs/trices » ou des « spécialistes de l’apprentissage individuel ». Il soutient que l’utilisation des technologies doit servir à exploiter les capacités d’apprentissage de l’étudiant(e)et non à substituer l’autorité de l’enseignant(e) ou son rôle au sein de la classe.

Abordant plus directement l’impact des réformes des entreprises et du Global education reform movement (Mouvement pour la réforme globale de l’éducation-GERM) sur les enseignant(e)s et l’enseignement, Toni Verger, Hülya Altinyelken et Mireille de Koning ont réuni une série d’études de cas qui explorent en profondeur le rôle que jouent les enseignant(e)s dans les processus politiques mondiaux et l’incidence des politiques de marché sur leur travail et leur professionnalisme. L’article Les réformes managériales mondiales et les enseignant(e)s : (voir le rapport intégral ici : http:_) montre que les réformes éducatives proposées par les entreprises privées et basées sur le travail des enseignant(e)s s’inscrivent principalement dans le sillage des tendances mondiales en faveur de réformes managériales en matière de responsabilisation, dont les enjeux se révèlent particulièrement importants. Les auteur(e)s y font référence en tant que Réformes managériales mondiales de l’éducation (GMER) et montrent la manière dont elles sont censées renforcer la compétitivité d’un pays en relevant les normes relatives aux résultats d’apprentissage des étudiant(e)s et en améliorant, dans un même temps, l’efficacité des systèmes éducatifs. Leurs conclusions suggèrent que les réformes visent à transformer drastiquement le fonctionnement opérationnel du secteur public lorsqu’il s’agit de l’éducation, en ouvrant les portes à la participation du secteur privé, aux incitants et à une nouvelle culture de la performance axée sur la concurrence. Plus spécifiquement, les GMER soutiennent que le secteur public doit tirer un enseignement de la culture managériale du secteur privé et adopter ses règles, ses valeurs et ses techniques. Les GMER promeuvent ce système managérial par le biais de nouvelles méthodes d’évaluation des enseignant(e)s, de l’élaboration de nouveaux programmes scolaires axés sur les compétences, et de nouveaux processus de décentralisation mettant en avant la responsabilisation de l’école. Toutefois, au travers d’une série d’études de cas, Verger et ses co-auteurs arrivent à la conclusion que la plupart de ces réformes font peser l’entière responsabilité des résultats scolaires sur les enseignant(e)s, tout en exerçant davantage de pression sur leur travail quotidien. La grande majorité de ces politiques de responsabilisation aux enjeux très importants ignore le contexte social entourant le travail des enseignant(e)s et les conditions structurelles qui régissent les processus d’apprentissage. De plus, les mécanismes basés sur les incitants, comme les rémunérations au mérite, sont le plus souvent de nature punitive et quasiment jamais liés au travail et à la performance dans les zones non desservies.

Alors que la plupart de ces réformes sont, comme le suggèrent Ball et Youdell, « déguisées » et pas toujours perçues comme une « privatisation de l’enseignement public », il apparaît toutefois très clairement que certaines figures dominantes au sein des cercles financiers et des grandes fondations sont de plus intéressées par les réformes éducatives des entreprises. Il s’agit notamment de créer des écoles et des prestataires de services éducatifs à vocation commerciale, d’encourager leur expansion à travers le monde et d’en subventionner certains. Ayant flairé une opportunité de marché, plusieurs de ces entrepreneurs de l’édu-business se sont lancés dans l’exploitation commerciale des écoles, notamment en permettant l’introduction et l’expansion des écoles privées dites « à bas prix », soutenues par des entreprises commerciales, et celles des chaînes d’écoles privées telles que Bridge International Academies et Affordable Private Education Centres (Centres d’éducation privés à bas prix-APEC). Les recherches de l’IE dans ce domaine ont porté essentiellement sur des entreprises comme Pearson, Bridge ou d’autres sociétés d’édu-business actives en matière de privatisation.

L’article de Hogan, Lingered et Seller Always Learning : le développement de Pearson PLC analyse le rôle croissant des sociétés commerciales au sein de l’enseignement public et l’influence croissante des entreprises d’édu-business sur l’intérêt public lorsque leur priorité consiste à réaliser des bénéfices. Les auteur(e)s portent plus particulièrement leur attention sur Pearson PLC, qui a récemment suspendu le financement de sa fondation philanthropique et déclaré que la responsabilité sociale de l’entreprise s’exprimerait désormais au travers de l’impact de ses activités quotidiennes sur la société. Par le biais de son processus d’évaluation, le Cadre d’efficacité, et de ses recommandations en matière de réformes, The Learning Curve, Pearson met prétendument le doigt sur les « problèmes » politiques rencontrés par les prestataires de services éducatifs et leur propose ensuite des « solutions », par le biais de l’achat de ses produits. Hogan et ses co-auteurs clôturent leur article par une mise en garde, rappelant que la participation accrue d’entités commerciales non démocratiques au sein de l’enseignement public correspond à un affaiblissement de l’implication publique et démocratique dans les politiques éducatives. Les auteurs montrent comment Pearson est en mesure de traiter directement avec les gouvernements nationaux et les agences multilatérales, en apportant des solutions spécifiques aux problèmes de développement nationaux et internationaux.

Des recherches complémentaires entourant la multinationale Pearson et sa filiale PALF sont présentées dans l’article de Curtis Riep qui, au travers d’une analyse de la chaîne APEC, examine comment, pourquoi et avec quelles conséquences, la privatisation opérée par des entreprises au sein de l’éducation ne cesse de se développer aux Philippines. L’incapacité du gouvernement à offrir une éducation de qualité à l’ensemble des jeunes Philippin(e)s a offert des opportunités commerciales aux entreprises privées, en leur permettant de participer pour combler les « lacunes du gouvernement » par le biais de leurs services basés sur le marché. Les écoles privées dites « à bas prix » comme les APEC aux Philippines sont vendues à des familles pauvres, sous la promesse d’embaucher des effectifs hautement motivés et de garantir des résultats supérieurs à ceux offerts par les écoles publiques. Les recherches menées sur ces écoles dans d’autres pays du monde (Kenya, Ghana, Inde, Afrique du Sud, Ouganda et ailleurs) révèlent que ce type d’école accueille principalement des enfants inscrits auparavant dans d’autres écoles, plutôt que de s’adresser aux enfants n’ayant jamais été scolarisés. Par enfant, les frais de scolarité peuvent représenter jusqu’à 40 pour cent du revenu des ménages les plus pauvres. D’autre part, il apparaît clairement que, dans certains pays, les familles pauvres préfèrent payer des frais de scolarité aux garçons plutôt qu’aux filles, si un choix doit s’opérer.

En outre, la qualité de ces établissements, leur caractère « bon marché » et leur incidence sur l’égalité et l’équité, restent fortement contestés. Ces écoles embauchent généralement du personnel enseignant non qualifié, sous-payé et engagé sous contrat temporaire, en vue de minimiser les coûts opérationnels. De même, afin d’augmenter le profit, plusieurs de ces écoles fonctionnent sur un modèle d’éducation « formaté », où enseignement et apprentissage sont normalisés. Même si elles prétendent cibler les communautés pauvres, ces écoles restent généralement inaccessibles aux familles les moins nanties, incapables de s’acquitter des frais journaliers. Pire encore, ces écoles sont susceptibles d’utiliser à leur profit les subventions et les aides publiques réservées aux écoles de l’Etat, affaiblissant ainsi les systèmes d’enseignement publics, en particulier dans les pays où le financement public atteint déjà des niveaux très faibles.

Malgré toutes les preuves démontrant que le fait d’appliquer des principes inhérents au marché à des services éducatifs a des conséquences négatives sur les étudiant(e)s, en accentuant la ségrégation et les inégalités, nombreux sont les gouvernements complices de ce que l’on peut qualifier de facto de démantèlement de l’enseignement public. L’IE et les auteurs de l’étude sont prêt à participer pleinement à la campagne de lutte contre les écoles privées à bas prix et les coûts cachés de l’éducation dans les pays en développement, où les budgets de l’aide alloués par les pays industrialisés sont détournés par les acteurs de la privatisation cherchant à augmenter leurs bénéfices et à supprimer tous les systèmes éducatifs financés par l’Etat.

L’IE est désormais à la tête d’une campagne de lutte contre le GERM et la privatisation, dont l’objectif est de mettre un terme aux agissements des sociétés d’édu-business qui cherchent à profiter de nos enfants. Depuis 2014, fruit du travail des affiliés de l’IE, une campagne majeure a été lancée au niveau mondial. La Réponse mondiale à l’édu-business et à la commercialisation de l’éducation exprime la position de l’IE face à l’expansion rapide des activités mercantiles qui gangrènent le secteur de l’éducation à travers le monde. La campagne Réponse mondiale s’efforce d’impliquer les parents, les étudiant(e)s, ainsi que l’ensemble de la communauté scolaire et éducative, dans la lutte en faveur d’un système éducatif gratuit, équitable et inclusif pour tou(te)s.

Noter édition spéciale s’ouvre sur un article d’Angelo Gavrielatos, Directeur de l’initiative Réponse mondiale, expliquant comment l’IE apporte des réponses aux menaces croissantes que font peser les entreprises d’édu-business sur l’éducation de qualité pour tou(te)s, en espérant pouvoir exploiter les énergies et les sphères d’influence collectives pour plaider contre l’expansion des activités commerciales au sein de l’éducation. Au travers de la recherche, du plaidoyer et de la création de plates-formes alternatives, l’IE jette un éclairage nouveau sur les entreprises d’édu-business et les services d’éducation à caractère commercial, tout en travaillant également avec les gouvernements en vue de garantir à chaque étudiant(e) un accès à un enseignement public gratuit et de haute qualité.