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Internationale de l'Education
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Toujours entrain d'apprendre

Publié 1 février 2016 Mis à jour 20 mars 2017
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Introduction

Cet article est consacré à Pearson PLC, chef de file des entreprises d'édu-business. Toutefois, même si Pearson demeure au cœur du débat, il importe de souligner que notre analyse s'intéresse également à un phénomène plus large, notamment l'explosion d'entités commerciales en quête de profit aux différents niveaux de l'enseignement public. Le rapide essor de l'édu-business au niveau mondial s'appuie sur les glissements qui s'opèrent actuellement au sein des structures de gouvernance, les gouvernements nationaux se tournant désormais vers le secteur privé pour trouver les « solutions » à leurs différents « problèmes » en matière d'éducation (Ball, 2012). Dans les pays industrialisés, cette relation s'articule autour des tests et des infrastructures redditionnelles, la gestion des données et les besoins en matière d'apprentissage en ligne. Dans les pays en développement, il s'agit essentiellement de l'expansion rapide des écoles privées payantes à bas prix, en l'absence d'un enseignement public de qualité.

En se lançant dans l'exploitation de ces besoins mondiaux, Pearson est parvenu à générer des ventes à hauteur de 4,9 milliards de livres sterling, avec un résultat opérationnel ajusté de 720 millions de livres sterling en 2014. Grâce à ces résultats, les actionnaires de Pearson ont vu le montant de leurs parts augmenter de 32 pour cent au cours des 12 mois précédents, soit une 23e année consécutive d'augmentation des dividendes (Rapport annuel de Pearson). Ces chiffres impressionnants montrent combien Pearson est une entreprise incroyablement prospère, engagée à augmenter les bénéfices de ses actionnaires. Toutefois, le problème majeur qui occupe la plupart des défenseurs de l'enseignement public est de savoir comment ces entreprises d'édu-business peuvent servir l'intérêt public, alors que leur principale motivation demeure la recherche de profit.

Ce problème a fréquemment été soulevé dans les critiques adressées à Pearson, en particulier aux Etats-Unis où l'influence de l'entreprise se fait de plus en plus ressentir (Ravitch, 2013, Hursh, 2016). Les commentateurs sociaux ont tendance à considérer les entreprises telles que Pearson comme des entités monolithiques puissantes cherchant à monopoliser le marché. Comme le précise Ravitch (2012) : « Il est largement reconnu par toute personne autre que Pearson que son développement tentaculaire est devenu trop invasif et trop agressif ». Bientôt, « Pearson aura la mainmise commerciale » sur chaque aspect de l'éducation américaine. Pearson est désormais parfaitement conscient de son influence croissante sur l'enseignement public - la « Pearsonisation » de l'enseignement américain - et du problème que pose son ingérence dans ce secteur. Comme le souligne Hozler (2010), il est quasiment impossible pour les entreprises d'échapper au contrôle public et celles-ci se voient donc contraintes de répondre aux évaluations et à la perception publiques de leurs agissements. Pearson a, en effet, travaillé durement au cours de ces dernières années à la restauration de son image publique et se considère lui-même comme responsable à la fois devant ses actionnaires et le grand public.

Investir dans une image publique positive

L'image affichée par Pearson a toujours été celle d'une entreprise d'édu-business socialement responsable. Par le passé, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) était considérée comme un acte de philanthropie, au travers duquel les entreprises investissaient une partie de leurs bénéfices dans la communauté afin d'apporter leur contribution positive à la société. Cette conception de la RSE était clairement présente dans le modèle d'entreprise de Pearson jusque fin 2014, date à laquelle il a été décidé de mettre fin aux activités de la Fondation Pearson. Comme l'explique la Fondation Pearson (2014), « cette [annonce fait suite à la] décision de Pearson PLC d'intégrer l'ensemble de ses responsabilités et fonctions sociales à ses activités, de manière à pouvoir maximiser l'impact social et ne plus devoir financer la Fondation comme principal vecteur de ses activités philanthropiques et communautaires ». Cette décision a effectivement permis à Pearson d'intégrer efficacement la RSE et ses fonctions philanthropiques à ses activités commerciales quotidiennes. Bishop et Green (2008, p. 177) qualifient ce phénomène de « philanthrocapitalisme », où la RSE est motivée par le principe selon lequel faire le bien peut également s'avérer profitable.

L'un des aspects très concrets du programme de Pearson en matière de RSE est son Cadre d'efficacité. Ce dernier fait partie de l'engagement de Pearson, offrant la garantie que ses produits et services éducatifs ont un effet mesurable sur les résultats scolaires des élèves. L'accent mis par Pearson sur le terme « efficacité » rappelle l'usage qui en est fait au sein de l'industrie pharmaceutique et renvoie à cette tendance à la médicalisation de la recherche dans le domaine de l'éducation. Les supports promotionnels présentant le programme Efficacité de Pearson comportent en effet, la photo d'un chercheur manipulant des tubes de test dans un laboratoire, évoquant ainsi une corrélation entre Pearson évaluant ses propres produits et la rigueur de la recherche médicale.

Le Cadre d'efficacité de Pearson est un processus d'évaluation normalisé, comprenant un outil d'analyse réparti en rubriques, utilisé par la société pour déterminer si ses produits et services ont atteint les résultats souhaités. Ce cadre permet de noter un produit, un programme ou un service en fonction de critères répartis en quatre sections : résultats, preuves, plans et capacité. En attribuant une note à chaque critère sur une échelle de couleur à quatre points allant du vert au rouge, ce cadre peut servir à déterminer dans quelle mesure un produit atteint ses objectifs et la façon dont il pourrait être amélioré. Comme le mentionne l'édition 2013 du rapport annuel de Pearson, « le Cadre permet d'identifier des domaines spécifiques qui, une fois améliorés, augmenteront nos chances d'atteindre les objectifs souhaités. Nos équipes ont la capacité de concentrer leurs activités sur ces étapes avant une nouvelle évaluation du produit » (p. 15). Pearson déclare que « tout nouveau développement de produit s'accompagnera de résultats scolaires définis et mesurables » (Pearson PLC, 2013, p. 15).

En cette période qualifiée par Nigel Thrift (2005) de Capitalisme de la connaissance, il apparaît clairement que le Cadre d'efficacité de Pearson concerne la responsabilité. Comme l'explique Thrift (2005), dans une économie mondiale de plus en plus complexe et instable, les entreprises « vivent désormais dans l'urgence permanente, toujours aux frontières du chaos » (p. 78). Afin de mieux pouvoir comprendre cette situation, Thrift soutient que le capitalisme est en quelque sorte devenu un projet de recherche en lui-même. La société Pearson est consciente de la position influente et puissante qu'elle occupe désormais sur le marché de l'éducation, et si elle ne se présente pas comme une entreprise responsable quant à ses produits et services, elle risque de passer pour « irresponsable » aux yeux d'un public critique. En garantissant l'efficacité de ses produits et services, Pearson offre une réponse qui confère à ses activités une dimension morale, présentant une entreprise axée à la fois sur le profit et la responsabilité sociale, et offrant par conséquent au secteur public les arguments permettant d'utiliser en toute confiance ses produits et services.

Capitaliser sur une image publique positive

Cette nouvelle priorité accordée par Pearson à l'efficacité permet à l'entreprise de se positionner en tant qu'acteur légitime sur le terrain de l'éducation, ayant le potentiel d'exercer une influence au même titre que les gouvernements nationaux et les organisations internationales. A titre d'exemple, Pearson a élaboré le TLC - The Learning Curve (Indice d'apprentissage), un rapport de cinquante pages, ainsi que les sites web et les bases de données associés, formulant des recommandations pour la réforme des systèmes scolaires nationaux. Le TLC s'appuie sur les données en matière de performance mondiale collectées par des organisations internationales telles que l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'Association internationale pour l'évaluation des acquis scolaires (IEA) et les Nations Unies (ONU). En synthétisant ces données, Pearson affirme être désormais en mesure de « centraliser un large éventail de séries de données permettant aux chercheurs/euses et aux responsables politiques d'établir beaucoup plus facilement qu'auparavant une corrélation entre les résultats scolaires et les résultats sur le plan social et économique » (Pearson, 2012, p. 3).

Bien que Pearson invite à ne pas considérer ses recherches comme la panacée, le TLC présente néanmoins toute une série de « points de référence précis » pour les responsables politiques en charge de l'éducation. Les principales conclusions du rapport soulignent notamment qu'il existe peu de relations solides entre les intrants éducatifs et les résultats scolaires, que les revenus importent mais que la culture prévaut, que rien ne peut remplacer un(e) enseignant(e) de qualité, que l'information s'avère cruciale pour choisir une école, qu'il n'existe pas de passerelle unique pour obtenir de meilleurs résultats sur le marché du travail et qu'un indice mondial peut aider à mettre en lumière les points forts et les points faibles de l'éducation (Pearson, 2012, p. 8). Le rapport adresse ensuite aux responsables politiques cinq observations majeures en matière de réformes :

  1. Pas de solution miracle
  2. Respect des enseignant(e)s
  3. Possibilité de faire évoluer la culture
  4. Les parents ne sont ni les détracteurs ni les sauveurs de l'éducation
  5. Eduquer pour l'avenir, pas uniquement au présent

Malgré ces « cinq observations essentielles », le TLC n'a pu démontrer que quelques corrélations solides : un PIB plus élevé correspond à de meilleurs résultats PISA, de meilleurs résultats dans le cadre de l'Indice de revenu et de l'Indice de développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) correspondent à des taux plus élevés d'élèves diplômés dans le secondaire supérieur, et il existe un lien entre un nombre plus élevé d'années passées à l'école et une productivité plus élevée en milieu professionnel.

Le rapport explique que les corrélations simples et directes sont difficiles à trouver et que, par conséquent, « l'éducation demeure une boîte noire dans laquelle les intrants sont transformés en résultats, selon un modèle difficile à prédire ou à quantifier de façon cohérente » (p. 7). En réalité, à la lecture du rapport, on observe qu'un glissement significatif s'est opéré depuis les premières déclarations soutenant fermement que le TLC est un outil important destiné à aider les responsables politiques à quantifier le lien entre connaissances, compétences et compétitivité économique, et que « la conclusion la plus frappante en ce qui concerne les corrélations est l'absence généralisée de liens clairs » (p. 14). A partir de ce moment, le rapport suggère que « le principal enseignement à tirer de cette absence de corrélations solides devrait être l'humilité » (p. 17).

Malgré ces lacunes, nous soutenons que la fonction réductive du TLC, lequel condense des séries de données bien établies en un format facile à lire pour les mettre en lien avec des prescriptions politiques claires, fait partie de ce nouveau modèle politique qui joue sur les inquiétudes des responsables politiques nationaux. En mettant sur la table des gouvernements une synthèse succincte de « problèmes » politiques construits de toutes pièces, Pearson leur offre des « solutions » garanties au travers de la vente de ses produits et services efficaces. Nous affirmons que le TLC est devenu un produit phare de Pearson, témoin de la priorité accordée aux résultats, ainsi qu'une preuve démontrant potentiellement le retour sur investissement pour ses clients - les gouvernements nationaux et provinciaux, les systèmes d'éducation et les institutions individuelles, tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement.

Même si Pearson s'efforce de s'afficher comme une entreprise pratiquant un édu-business responsable sur le plan social, sa réussite demeure basée sur le profit. A titre d'exemple, les travaux menés récemment par Junemann et Ball (2015) et Riep (2015), lesquels ont analysé les méthodes appliquées par Pearson pour promouvoir les écoles payantes à bas prix dans les pays en développement, révèlent les moyens mis en œuvre par l'entreprise pour augmenter ses bénéfices en élargissant l'accès à ses services éducatifs. Cette stratégie nous laisse entrevoir une image de Pearson rapidement érodée en ce qui concerne la responsabilité sociale, puisque ces écoles payantes à bas prix contribuent désormais au programme de croissance de l'entreprise dans les économies émergentes, que ce soit en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud. Nous y voyons également une forme de complémentarité entre les stratégies commerciales déployées par Pearson dans les pays industrialisés et celles mises en œuvre dans les pays en développement, sachant que Pearson renforcera très probablement l'implantation de ses écoles privées payantes dans les pays riches, tout en poursuivant le développement des tests et des systèmes de gestion de données dans les pays pauvres.

Conséquences pour l'éducation publique

Nous demeurons critiques vis-à-vis de ces évolutions au sein de l'éducation, depuis le niveau local jusqu'au niveau mondial. Par exemple, le Cadre d'efficacité éclipse en réalité la complexité des processus d'enseignement et d'apprentissage. L'idée selon laquelle un produit ou service pourrait avoir un effet garanti sur les résultats d'un élève témoigne surtout d'une certaine ignorance de la réalité dans les classes. De même, les différences notables entre écoles et la diversité des besoins éducatifs des élèves soulèvent de nombreuses questions quant à la pertinence du discours de Pearson. L'expertise et les connaissances professionnelles des enseignant(e)s, plus précisément la formation pédagogique, la compréhension des contenus et leurs compétences en matière d'enseignement différencié, sont en réalité sous-estimées. L'enseignant(e) ne représente plus qu'un maillon de la chaîne, chargé(e) d'appliquer les produits efficaces de Pearson, garants de l'amélioration des résultats scolaires. En fait, au travers de son évaluation de l'efficacité, Pearson a constaté que l'un des principaux obstacles à la réussite de ses produits était le manque de compétences des enseignant(e)s en ce qui concerne leur application, d'où cette nouvelle priorité accordée à la formation professionnelle. En Australie, par exemple, Pearson offre aux enseignant(e)s la possibilité de suivre une formation professionnelle au sein de la Pearson Academy.

Pearson exerce également son influence sur les politiques éducatives mondiales. L'entreprise a décroché un contrat pour préparer les éléments clés des tests PISA 2018 et, bien que nous soyons tentés d'affirmer que le TLC n'est pas actuellement un instrument ayant une influence significative sur les politiques publiques, celui-ci témoigne néanmoins d'un renforcement de la participation de Pearson aux politiques mondiales à mettre en œuvre pour comparer les données éducatives. Si les relations de Pearson avec les gouvernements et d'autres organisations sont le plus souvent contractuelles, nous estimons néanmoins que le fait d'offrir aux gouvernements des services de nature conceptuelle et technique, également axés sur la génération de données, entraîne forcément sa participation au processus décisionnel. Cette tendance, confirmée par la priorité qu'accorde Pearson au déploiement des établissements scolaires payants à bas prix, suffit à discréditer cette entreprise pratiquant soi-disant un édu-business soucieux de la responsabilité sociale. Nous nous montrons également critiques vis-à-vis de certaines agences d'aide comme le Département britannique du développement international (DfID), qui soutient financièrement la création d'écoles privées payantes dans certains pays d'Afrique subsaharienne. Nous soulignons, en outre, que ces différents glissements sont dus à la restructuration des Etats et au remaniement des valeurs qui constituent les fondements des politiques publiques. Face au rôle accru de l'édu-business dans les politiques éducatives, nous exprimons également nos inquiétudes concernant les manquements démocratiques potentiels au sein de cette nouvelle architecture. Dans la mesure où Pearson ne dispose pas d'une base démocratique, sa participation croissante à l'enseignement public tire parti de l'affaiblissement des capacités des acteurs politiques nationaux à influencer l'élaboration des politiques et, par conséquent, contribue à l'érosion insidieuse des principes démocratiques qui régissent les processus décisionnels dans le secteur de l'éducation.

Références bibliographiques

Ball, S.J. (2012) Global Education Inc. Londres : Rutledge.

Bishop, M. et Green, M. (2008) Philanthrocapitalism: How Giving can save the World. Londres : Black Publishers Ltd.

Pearson. (2012) The Learning Curve 2012: Lessons in country performance in education. Londres : Pearson.

Hozler, B. (2010). Moralizing the corporation: Transnational activism and corporate accountability. Cheltenham: Edward Elgar Publishing.

Hursh, D. (2016) The End of Public Schools: The Corporate Reform Agenda to Privatize Education. New York : Rutledge.

Junemann, C. et Ball, S.J. (2015) PALF: The Mutating Giant. Bruxelles : Internationale de l'Education.

Ravitch, D. (2012) The United States of Pearson? Extrait de http://dianeravitch.net/2012/05/07/the-united-states-of-pearson-2/

Ravitch, D. (2013). The Reign of Error: The Hoax of the Privatization Movement and the Danger to America’s Schools. New York : Alfred Knopf.

Riep, C. (2015) Corporatised Education in the Philippines: Pearson, Ayala Corporation, and the Emergence of Affordable Private Education Centers. Bruxelles : Internationale de l'Education.

Thrift, N. (2005) Knowing Capitalism. Londres : Sage.