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Mondes de l'éducation

Régime des droits d'auteur au Canada: qui a peur de l'utilisation équitable?, par David Robinson

Publié 11 avril 2018 Mis à jour 24 avril 2018
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Si vous êtes à la recherche d'un remède contre l'insomnie, votre médecin pourrait vous prescrire l’analyse de la Loi canadienne sur les droits d'auteur[1], 176 pages de texte juridique dense, qui provoqueront sans aucun doute des épisodes de somnolence même chez les lecteurs/trices les plus imbibé(e)s de caféine.

En revanche, si vous êtes enseignant(e) ou étudiant(e) et qu’il vous tient à cœur d’assurer une approche équilibrée des droits d'auteur, alors la législation canadienne pourrait bien vous tenir en haleine.

Dans tous les pays, les droits d'auteur joue un rôle important dans l'éducation et réglemente la création, l'utilisation et la propriété des œuvres littéraires et artistiques. C’est la raison pour laquelle la communauté éducative du Canada travaille depuis des décennies pour veiller à ce que les règles relatives aux droits d'auteur servent mieux le bien public en permettant aux étudiant(e)s, aux enseignant(e)s et aux chercheurs/euses d’utiliser et de partager les œuvres.

Avant cela, la politique canadienne relative aux droits d'auteur relevait de la compétence exclusive des grandes entreprises titulaires de droits, qui ont joué de leur influence pour s'assurer que la loi optimise leurs profits en verrouillant l'essentiel du contenu dont elles étaient titulaires. En vertu de ce régime restrictif, l'un des rares avantages dont les enseignant(e)s pouvaient profiter était, dans le meilleur des cas, le droit de reproduire manuellement une œuvre sur un tableau effaçable à sec.

Désireuse de s’opposer à ces contraintes déraisonnables, la communauté éducative canadienne s’est mobilisée pour réclamer des changements lorsqu'en 2000 le gouvernement de l'époque a annoncé son intention de réviser la Loi sur le droit d'auteur. Ce plaidoyer a porté ses fruits: d'abord avec une série d'importantes victoires juridiques et, plus d'une décennie plus tard en 2012, avec le passage de la Loi, favorable à l’enseignement, sur la modernisation des droits d'auteur.

L’un des changements importants de la Loi était d’étendre le cadre de « l' utilisation équitable» pour qu’il intègre l’enseignement, en plus de la recherche, de l’étude privée, de la parodie et de la satire.  L'utilisation équitable est un droit d'une importance vitale pour la communauté éducative. Il permet aux enseignant(e)s et aux étudiant(e) de copier gratuitement, dans certaines limites, des fragments d'œuvres littéraires et artistiques, sans l’autorisation de leur titulaire. L'utilisation équitable permet notamment à un(e) enseignant(e) de photocopier un article pour une classe sans obtenir la permission de l'éditeur, ou à un(e) étudiant(e) ou un(e) chercheur/euse de copier un article d'un journal ou une partie d'un livre.

Bien que l'utilisation équitable s’est avérée utile pour le secteur de l'éducation au Canada et pour le public en général, elle ne fait pas que des heureux/euses. Alors que le Parlement du Canada se prépare à réviser la Loi de 2012, l’agence collective des droits d’auteur « Access Copyright» a mené une campagne contre l'utilisation équitable, lui reprochant à tort tous les problèmes financiers qui affectent l'industrie de l'édition, et prétendant à tort que le secteur de l'éducation refuse de payer pour le contenu.

Même si l'expansion de l'utilisation équitable au Canada correspond à une baisse des recettes d’Access Copyright, il n'existe pas de relation causale. En effet, des groupes d’édition à travers le monde sont toujours confrontés aux mêmes défis financiers qu’Access Copyright alors que d’autres juridictions n’ont encore mis en place aucune modification de l'utilisation équitable ni disposition sur l’utilisation équitable.

En fait, les écoles, collèges et universités du Canada continuent de payer chaque année des centaines de millions de précieux dollars aux éditeurs et aux auteurs pour accéder aux œuvres. Les étudiant(e)s consacrent chaque année des millions supplémentaires pour des livres et autres documents. Bien que le modèle commercial d'Access Copyright soit défaillant, certains éditeurs universitaires continuent de prospérer et d’engranger de vastes profits.

Alors, pourquoi les revenus d’Accès Copyright sont-ils en baisse? Plusieurs facteurs sont en jeu, mais aucun n’est lié à l'utilisation équitable:

·         les établissements éducatifs se sont regroupés pour acheter des licences directement auprès des éditeurs, réduisant la part d’Access Copyright tout en dépensant des millions pour acquérir du contenu;

·         en réponse aux prix excessifs des revues universitaires, la communauté universitaire a inventé et mis en œuvre la publication en libre accès, qui rend gratuitement disponible la recherche financée par le secteur public (sans passer par Access Copyright). Au Canada, presque la moitié des publications de la recherche sont à présent disponibles gratuitement en ligne; et

·         les étudiant(e)s n’étant plus prêt(e)s à subventionner les énormes profits des sociétés d'édition de manuels scolaires, le secteur de l'éducation a inventé les Ressources éducatives libres (REL) qui autorisent, par le choix de l'auteur, le libre accès aux manuels REL et à d’autres matériels d'apprentissage. Ce système,  qui et n'a rien à voir avec l'utilisation équitable, permet aux étudiant(e)s canadien(ne)s et à leurs parents d’épargner des millions de dollars par année, mais limite le flux d'argent vers Access Copyright.

En bref, l'industrie de l'édition fait face à de profonds changements structurels en raison de la montée de nouvelles alternatives en termes de création, de licences, et de partage d'œuvres, mais pas à cause de l'utilisation équitable. Les éducateurs/trices au Canada reconnaissent pleinement la nécessité de traiter l’appauvrissement chronique et de longue date des auteur(e)s et autres créateurs/trices par les entreprises qui les emploient. Nous refusons cependant un retour à un système qui draine les subventions culturelles par le biais du système éducatif tout en payant quelques sous aux véritables créateurs/trices.

Ne vous laissez pas duper par ce que vous avez peut-être entendu dire du régime des droits d'auteur au Canada. Il n'y a rien à craindre. L'utilisation équitable fonctionne de manière appropriée: comme un droit limité destiné à permettre aux étudiant(e)s, aux enseignant(e)s et aux chercheurs/euses d'accéder aux œuvres littéraires et artistiques et de les exploiter.

[1] Voir http://laws-lois.justice.gc.ca/eng/acts/c-42/

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.