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Décoloniser les projets de coopération au développement des syndicats de l’éducation

Publié 3 novembre 2023 Mis à jour 20 mars 2024

Comment pallier le déséquilibre dans les relations entre les syndicats impliqués dans des projets de coopération au développement (CD) ? C’est à cette question que les partenaires de la CD appartenant à des organisations membres de l’Internationale de l’Éducation (IE) ont tenté de répondre lors d’une réunion en ligne qui s’est tenue le 20 octobre. Les participant·e·s ont présenté des exemples de projets dans lesquels ils·elles sont impliqué·e·s, des mesures concrètes qui ont été prises pour « décoloniser » le travail de coopération et l’impact positif qui a été constaté.

La réunion a été organisée par l’unité « Renforcement des capacités et Solidarité » de l’IE autour de l’affirmation selon laquelle la décolonisation consiste à « changer les structures et les discours, et à innover au niveau de nos pratiques. Elle nous invite à réfléchir à ce que nous sommes et à poser des questions sur nos origines historiques, y compris notre histoire syndicale et coloniale. »

Afrique du Sud : les partenariats Sud-Sud peuvent être favorisés grâce à la décolonisation des projets de CD

Paul Komane, du Syndicat sud-africain démocratique des enseignant·e·s (South African Democratic Teachers’ Union, SADTU), a expliqué que, lors de leur dernier congrès en 2019, il·elle·s ont discuté du thème de la décolonisation, « revendiquant notre droit à la protection et au respect de notre dignité humaine et de notre sécurité dans la mise en place d’un enseignement public de qualité décolonisé ».

Il a également souligné que le SADTU estime que « en tant que continent, nous devons initier et financer des partenariats entre nos syndicats, et l’approche de la décolonisation offre une opportunité d’engagement important ». Ce changement de perspective fait partie du nouveau cadre adopté par le SADTU pour son travail en matière de solidarité et de CD, en collaboration avec l’Association nationale des enseignants du Swaziland (SNAT), l’Association des enseignant·e·s (Lesotho Association of Teachers, LAT), le Syndicat national des enseignant·e·s de Zambie (Zambia National Union of Teachers, ZNUT) et l’Organisation nationale des professeur·e·s (Organizaçao Nacional dos Professores, ONP)/Mozambique. M. Komane a rappelé les principes sur lesquels repose le travail de coopération du SADTU, à savoir l’égalité, le respect mutuel, l’appréciation, l’engagement, la propriété et la responsabilité. « Nous estimons que plus la responsabilité est élevée, plus l’engagement des organisations bénéficiaires vis-à-vis des objectifs d’un projet de CD est élevé. »

Norvège : une nouvelle compréhension du pouvoir et de la responsabilité

Rappelant aux participant·e·s du café de CD que la Norvège a été à la fois un pays colonisateur et un pays colonisé avant de devenir indépendante en 1905, Ole Otterstad, de l’ Utdanningsforbundet / Syndicat de l’Éducation (Union of Education Norway, UEN), a souligné qu’il « est important d’en être conscient pour notre compréhension historique de nous-mêmes et des autres ».

Il a ajouté que son syndicat, lorsqu’il s’engage dans des projets de CD, prend en compte « le rapport de force qui existe avec d’autres organisations. Nous nous engageons toujours lorsque nos partenaires en expriment le souhait, afin de garantir qu’il ne s’agit pas d’idées parachutées. Il faut une volonté commune. »

Soulignant que « notre travail et nos projets de CD sont des projets à long terme, permettant d’instaurer la confiance et le respect mutuel », il a ajouté : « Nous nous concentrons sur la durabilité et le développement organisationnel. Nous mettons l’accent sur les contributions propres des partenaires, afin de veiller à ce qu’il ne s’agisse pas d’une coopération à sens unique. Ce n’est pas l’UEN qui prend toutes les décisions, c’est un groupe de personnes qui échangent des idées, et non une seule partie qui propose et met en œuvre ses idées. »

Canada : Les projets de coopération sont des projets de solidarité

Présentant le travail de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Luc Allaire a expliqué que « nous pouvons définir la coopération internationale comme des ‘initiatives de collaboration entre deux ou plusieurs entités’ », notant que « les pratiques ont évolué de manière significative au cours des dernières décennies, et les réflexions actuelles sur la décolonisation du secteur de la coopération au développement, en particulier la lutte contre le racisme, apporteront des changements supplémentaires dans les années à venir ».

Il a par ailleurs souligné que, même si la solidarité internationale est une forme de coopération internationale, elle représente également une forme d’entraide basée davantage sur l’établissement de relations égalitaires entre les partenaires et ancrée dans les principes d’équité, d’autodétermination, de réciprocité et de justice sociale.

Il a ensuite pris l’exemple du travail de la CSQ sur la CD en Colombie, et le projet « Les écoles en tant que territoires de paix », mis en œuvre en collaboration avec la Fédération colombienne des éducateur·trice·s (Federación Colombiana de Educadores, FECODE), qui visait à soutenir les enseignant·e·s par la mise en place de 33 cercles éducatifs, un par municipalité sélectionnée.

« Après près de 60 ans de guerre, ils essaient de construire la paix dans le pays. Lors d’une mission en octobre dans le nord de la Colombie où vit l’une des nations autochtones, j’ai visité une école dans laquelle chaque classe élit un médiateur ou une médiatrice parmi les élèves. Ce médiateur ou cette médiatrice, le ou la putchipu, est expert ou experte en résolution de conflits. C’est pour moi un bon exemple de décolonisation des projets de coopération », a déclaré M. Allaire. « Ils et elles ont intégré le patrimoine culturel Wayuu aux objectifs du projet « Les écoles en tant que territoires de paix », car le travail de ce médiateur ou cette médiatrice consiste à trouver des moyens de résoudre les conflits de manière non violente. »

Recherche sur la déconstruction des dynamiques de pouvoir

La chercheuse Gabriela Bonilla, qui dirige la recherche sur la décolonisation de l’éducation et la déconstruction des dynamiques de pouvoir commandée par l’IE, a expliqué que cette étude faisait suite à la résolution sur la décolonisation de l’éducation adoptée lors du 8e Congrès mondial de l’IE, qui s’est tenu à Bangkok, en Thaïlande, en 2019.

« Nous examinons la littérature, nous adoptons une approche participative et nous recensons les études de cas des organisations membres de l’IE afin de produire un document sur la manière dont l’influence coloniale peut se retrouver dans la conception même des politiques publiques », a-t-elle souligné. « Nous essayons de déterminer dans quelle mesure la dynamique de pouvoir dans les salles de classe reproduit l’idée de la hiérarchie coloniale », a-t-elle ajouté. Les syndicats de l’éducation interrogés se concentrent tous sur les changements nécessaires au niveau de la pédagogie, car c’est la pédagogie qui fait que le racisme demeure un problème de fond au sein de l’éducation, a ajouté Mme Bonilla.

Région Afrique de l’IE : Prendre l’initiative en matière de décolonisation

Dennis Sinyolo, Directeur du Bureau régional Afrique de l’IE, a également indiqué que la 10e Conférence régionale Afrique de l’IE, qui se tiendra du 19 au 24 novembre à Johannesbourg, Afrique du Sud, abordera le thème de la décolonisation. « Ce sera ainsi une nouvelle occasion de poursuivre cette discussion. »

Il a conclu : « Nous soutenons et encourageons fortement la coopération Sud-Sud, comme celle présentée par le représentant du SADTU, et nous voulons donc que davantage d’organisations membres soient en mesure de soutenir d’autres organisations membres dans les pays du Sud. Je pense qu’à long terme, nous en bénéficierons toutes et tous. »