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Iran : « Aucun gouvernement ne peut faire taire les enseignants et enseignantes »

Publié 6 juin 2025 Mis à jour 13 juin 2025

Dans une démonstration forte de solidarité internationale, des éducateur·trice·s et responsables syndicaux·ales du monde entier se sont rassemblé·e·s en soutien aux enseignant·e·s iranien·ne·s qui font face à des persécutions alors qu’il·elle·s défendent leurs droits fondamentaux. Un récent webinaire a mis en avant la résilience et le courage de ces syndicalistes et a souligné l’importance de la cohésion internationale dans le combat pour les droits humains et une éducation de qualité.

Solidarité au-delà des frontières

C’est par un message fort que Haldis Holst, secrétaire générale adjointe de l’Internationale de l’Éducation (IE), a ouvert l’événement : « Nous sommes réunis ici aujourd’hui non seulement pour célébrer le courage extraordinaire dont font preuve nos collègues en Iran, mais également pour démontrer ce qu’il est possible d’accomplir lorsque éducateurs, éducatrices et responsables syndicaux et syndicales coopèrent au-delà des frontières. Cette rencontre nous rappelle que nous sommes liés par un objectif commun et un soutien mutuel. »

« Grâce à une assistance coordonnées, six responsables syndicaux et 16 membres de leurs familles ont pu trouver refuge et commencer à reconstruire leur vie en sécurité », a-t-elle ajouté.

Cette solidarité a pris diverses formes, a noté la dirigeante de l’IE. « Des lettres de protestation ont été envoyées. Des appels à l’action urgents ont été lancés. Des visas sponsorisés. Des ambassades contactées. Des foyers se sont ouverts et les responsables ont été accueillis et soutenus dès leur arrivée par des volontaires syndicaux. Chaque geste, peu importe sa taille, a contribué à restaurer sécurité, dignité et espoir. »

« C’est ça, la solidarité, » a conclu Mme Holst. « Un engagement fort les uns et les unes envers les autres, car nous défendons tous et toutes l’éducation, la démocratie et les droits humains. »

Les voix de la résilience

Le secrétaire général de l’ Iranian Teachers' Trade Association (ITTA) dans la province de Téhéran, Esmail Abdi, a fait part de son expérience éprouvante et a insisté sur l’importance de la solidarité mondiale : « Alors que le monde élève sa voix pour la liberté et la démocratie, nous avons également besoin de paix et de justice. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons faire face à une insécurité grandissante, en particulier au Moyen Orient, en Afrique et en Amérique du Sud. Nous avons besoin de la solidarité pour affronter les forces qui menacent systématiquement le bien-être de la jeunesse, et surtout des filles, par la violence ethnique ou étatique, tel que le font les Talibans ou le régime théocratique en Iran. »

En tant que représentant du Coordinating Council of Iranian Teachers’ Trade Associations (CCITTA), M. Abdi a passé près de neuf années en prison pour avoir défendu une éducation de qualité pour tou·te·s et des conditions de travail et de vie décentes pour les éducateur·trice·s iranien·ne·s.

M. Abdi a décrit les difficultés rencontrées par les éducateur·trice·s en Iran. Rappelant que 100 % des enseignant·e·s du pays vivent sous le seul de pauvreté, il a estimé que le système éducatif, « plutôt que de favoriser l’esprit critique et la créativité, est devenu un outil de promotion de certaines idéologies. Bien que certains cadres internationaux existent, tels que Programme de développement durable à l’horizon 2030 de l’UNESCO ou la Convention relative aux droits de l’enfant, qui insistent sur l’indépendance de l’éducation, des documents comme le Document de réforme fondamentale de l’Iran ou des directives du Conseil suprême de la révolution culturelle placent l’Islam au cœur de l’éducation. Des religieux sont envoyés dans les écoles afin d’élever toute une génération d’enfants dans le dévouement au Guide suprême et aux idéaux chiites. »

Pour finir, M. Abdi a déclaré : « Nous, enseignants et enseignantes, détenons le trésor le plus précieux au monde. C’est à l’école que les jeunes se connectent à la société. La démocratie et la sensibilisation commencent par l’éducation, et l’éducation est l’arme la plus puissante pour initier un changement. Les régimes totalitaires craignent les citoyens et citoyennes informés. C’est pourquoi ils nous oppriment. »

La solidarité mondiale contre la tyrannie : plus qu’un choix, une nécessité historique

Masoud Nik Khah, aun défenseur des droits humains et dirigeant de l’ Iranian Teachers’ Trade Association et du CCITTA, a souligné l’importance d’un soutien international.

Depuis plus de deux décennies, a-t-il expliqué, les enseignant·e·s iranien·ne·s réclament la « justice éducative, la fin de l’endoctrinement idéologique, une éducation gratuite pour toutes et tous, des salaires justes, une sécurité sociale durable et le respect de la dignité professionnelle des enseignants et enseignantes ». « Toutes ces activités ont été menées pacifiquement, conformément au droit et sur la base de principes universels des droits humains », a-t-il ajouté.

Selon M. Nik Khah, l’appareil sécuritaire au pouvoir en Iran n’a pas toléré les revendications et les activités pacifiques des enseignant·e·s. « La répression a été sévère : arrestations en masse, peines de prison, menaces aux familles, recours à des bracelets électroniques, exil, fausses accusations d’atteinte à la sécurité, licenciements et baisses de salaires. Nombre d’enseignants et enseignantes et autres syndicalistes ont dû quitter le pays en raison des risques pour leur vie. »

« Nous sommes convaincus qu’aucun gouvernement ne peut faire taire les enseignants et enseignantes par des arrestations, l’exil ou la censure », a continué M. Nik Khah. « Aujourd’hui encore, dans des classes de tout le pays – que ce soit dans des établissements délabrés en banlieue des villes ou dans les villages les plus reculés – il reste des enseignants et des enseignantes qui sensibilisent avec espoir et réclament la justice. »

D’après lui, les enseignant·e·s représentent bien plus que la transmission du savoir, il·elle·s sont la voix de la conscience d’une société.

« C’est pour cela que les régimes autoritaires craignent les enseignants et enseignantes », a-t-il ajouté. « Ils savent que la libération de l’éducation est la plus grande menace contre l’ignorance, la discrimination et la tyrannie. »

« La solidarité mondiale face à la tyrannie n’est pas un choix », a-t-il par ailleurs précisé, « c’est une nécessité historique ».

Enfin, il a appelé les autorités iraniennes à relâcher immédiatement les syndicalistes français·es de l’éducation Cécile Kohler et Jacques Paris, arrêté·e·s lors d'un voyage touristique privé en Iran en mai 2022.

Appel à l’action

Au nom de son syndicat, Maike Finnern, présidente fédérale du Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft (GEW) en Allemagne et vice-présidente de l’IE, a exprimé toute sa solidarité et son profond respect pour les éducateur·trice·s iranien·ne·s.

Elle a également affirmé que « la solidarité internationale peut faire la différence en situation de crise et il s’agit toujours d’un effort commun et collaboratif ». « Cela contribue à nouer des relations et à partager des expériences », a-t-elle poursuivi. « Grâce aux réponses que nous avons reçues, je sais que nos membres actifs ont trouvé cet engagement très important et gratifiant. Chers collègues et amis d’Iran, vos expériences et votre courageux combat en faveur de la démocratie, des droits humains et des droits syndicaux nous obligent et nous continuerons de nous tenir à vos côtés. »

Le rôle des syndicats

Des responsables syndicaux et syndicales dont les organisations ont aidé des syndicalistes à fuir se sont aussi exprimé·e·s. Tou·te·s portaient le même message : la solidarité est un acte de résistance, qui nous pousse à agir et à rester soudé·e·s.

Zulkifl Güneş, secrétaire général d’ Eğitim Sen, organisation membre de l’IE en Turquie, a fait ressortir le rôle important que joue la solidarité syndicale transfrontalière dans la lutte contre l’oppression et dans la dénonciation des injustices. « La solidarité internationale ne se résume pas à l’expression d’un soutien : c’est un acte de résistance », a-t-il affirmé. « Ce que nous voyons dans la solidarité et la lutte internationales, c’est l’espoir. La solidarité et le militantisme sont essentiels car ce que nous dit le système capitaliste mondial dans lequel nous vivons, c’est qu’il n’y a plus d’espoir d’atteindre un jour un avenir centré sur l’égalité et la liberté. »

M. Güneş a également établi un parallèle entre l’Iran et son propre pays : « On constate le même type de répression en Turquie. Des syndicalistes qui s’organisent en faveur des services publics, de la paix, de la démocratie ou des droits des travailleurs et des travailleuses sont traités comme des criminels. Les grèves sont interdites. Les manifestations sont violemment réprimées. Des enseignants et enseignantes, des travailleurs et travailleuses de santé et des employés et employées de mairie ont été renvoyés ou emprisonnés en vertu de décrets d’urgence et de lois antiterroristes et luttent toujours pour retrouver leur emploi. » L’intention claire que cachent ces répressions, a-t-il expliqué, est de faire taire les oppositions et d’affaiblir le pouvoir collectif de la classe ouvrière.

S’engager pour les droits humains

Le président du Kurdistan Teachers' Union (KTU) en Irak, Ahmad Sabr, a quant à lui réaffirmé l’engagement des syndicats à soutenir les enseignant·e·s iranien·ne·s : « Nous assumons nos responsabilités en tant que syndicat. Les enseignants et enseignantes d’Iran se battent pour faire entendre la voix de la profession et les appels à la liberté dans le pays. »

Concluant l’événement sur un message chaleureux, le directeur exécutif de l’Association canadienne des professeures et professeurs d'université (ACPPU), David Robinson, a déclaré : « Nous avons entendu des histoires incroyables et inspirantes qui traduisent une capacité de résilience dans des circonstances très difficiles. La communauté éducative du monde entier est clairement avec vous et vous n’êtes pas seuls et seules. Votre combat est notre combat, nous nous tenons à vos côtés. »

Il a par ailleurs précisé que la solidarité internationale se trouve au cœur du mandat de son syndicat : « C’est écrit dans nos statuts. C’est quelque chose que nous vivons, respirons et réalisons en permanence. »

Déplorant la lenteur de certaines procédures d’immigration, M. Robinson a appelé à mettre en place des moyens plus efficaces et plus collaboratifs de faciliter la mise en sécurité des militant·e·s syndicaux·ales.

Lors de cet événement, les éducateur·trice·s du monde entier ont redit leur soutien sans faille à leurs collègues d’Iran. Pour elles et eux, le combat des éducateur·trice·s iranien·ne·s est le combat de tou·te·s. Le courage des syndicalistes iranien·ne·s les renforce tou·te·s et leur lutte continue d’inspirer un mouvement qui ne pourra jamais être réduit au silence.