Mauritanie : les syndicats de l’éducation se préparent pour des élections professionnelles historiques
S’ils ont accueilli positivement l’annonce de la tenue des toutes premières élections professionnelles dans le secteur de l’enseignement public dans leur pays, les affiliés de l’Internationale de l’Éducation (IE) en Mauritanie, à présent en campagne électorale, font part de leurs préoccupations dans l’organisation et la bonne tenue de ces élections.
Ces dernières ont été convoquées par le ministre de la Fonction publique et du Travail via l’arrêté du 12 aout 2025. Elles visent à faire entrer des représentant∙e∙s syndicaux∙ales au sein des commissions compétentes – celle pour la supervision de l’opération au niveau du ministère, celle pour la supervision de l’opération électorale au niveau de la wilaya (région) et celle pour la supervision de l’opération électorale au niveau du moughata'a (département).
La campagne électorale se déroule du 15 au 30 octobre 2025 pour culminer avec les élections proprement dites le 1er novembre 2025.

Les propositions syndicales
Dans son discours à l’occasion de l’ouverture de la campagne électorale syndicale, la secrétaire général du Syndicat National de l’Enseignement Fondamental (SNEF), Houlèye Amadou Dia, a fait valoir que cette période électorale « n’est pas une simple compétition. C’est une bataille d’idées, de valeurs et de convictions. Nous devons rester unis, solidaires et dignes. Chaque voix compte, chaque adhérent est un acteur du changement. »
Elle a ajouté qu’« en votant pour le SNEF, vous votez pour la dignité du corps enseignant, la justice dans le système éducatif, et l’avenir de nos enfants et de notre pays ».
Puis la dirigeante du SNEF a présenté les principales propositions de son syndicat pour améliorer l’enseignement de base :
- Réduction des effectifs à 30 élèves par classe, « une exigence pédagogique, pas un luxe ».
- Une vie digne pour l’enseignant, un enseignant mal payé étant « un enseignant affaibli, vulnérable et démotivé ».
- Des conditions de travail décentes, y compris la réhabilitation des écoles en ruine, une dotation en matériel didactique adapté et une formation continue pour les enseignant∙e∙s.
Pour Amadou Tidjane Ba, secrétaire général du Syndicat National de l’Enseignement Secondaire (SNES-Mauritanie), « cette campagne n’est pas seulement un moment électoral, mais une étape importante de notre combat collectif pour la dignité, la justice et la reconnaissance du corps enseignant du secondaire ».
Tout en énonçant les acquis du SNES, qui « s’est toujours tenu au cœur des luttes pour la défense des droits des enseignants », il a aussi dressé les perspectives pour « construire l’avenir ensemble », car « un syndicat qui se repose sur ses acquis perd son âme » :
Poursuivre la lutte pour une revalorisation salariale équitable, conforme à l’importance de notre mission éducative.
- Renforcer la formation continue et la protection sociale des enseignants.
- Lutter contre la précarisation dans nos établissements et promouvoir la stabilité professionnelle.
- Faire entendre la voix du secondaire dans toutes les instances de décision relatives à l’éducation nationale.
- Maintenir l’unité et la transparence syndicale, car notre plus grande force réside dans notre cohésion.
Il a conclu en rappelant aux autorités que « les enseignants transforment l’éducation. Soutenir les enseignants, c’est bâtir l’avenir. Enseigner avec dignité, apprendre avec équité. »
Les deux dirigeants syndicaux reconnaissent que les demandes qu’ils portent au profit des éducateur∙trice∙s rejoignent celles de de la campagne de l’IE « La force du public : ensemble on fait école ! ». Cette dernière constitue un appel urgent aux gouvernements pour qu'ils investissent dans l’enseignement public, un droit humain fondamental et un bien public, et qu'ils investissent davantage dans les enseignant·e·s, le facteur le plus important pour parvenir à une éducation de qualité.
Les préoccupations syndicales
Par la voix de leurs secrétaires généraux, le SNEF et le SNES ont fait part de leurs inquiétudes concernant le déroulement des opérations électorales, outre le délai extrêment court de la campagne électorale, et donc pour bien se faire connaître des enseignant∙e∙s.
Tout d’abord, Mme Dia a rapporté avoir envoyé des lettres au ministère afin d’obtenir la permission pour des représentantes du SNEF d’aller sur le terrain lors de la campagne électorale. Ces demandes sont restées sans réponse jusqu’à présent.
Il a aussi noté un souci avec la plateforme électorale en ligne, qui a été momentanément hors service. Ceci n’a pas permis à des enseignant∙e∙s de changer leur lieu d’affectation et de bien indiquer le lieu de vote le plus proche par rapport à leur lieu de travail actuel.
Ces problèmes ont été confirmés par M. Ba, déplorant « un laisser-aller » de la part des autorités à ce niveau.
« En ce qui concerne les bureaux de vote, nous prévoyons que, dans chaque bureau, il y aura un représentant du SNES », « nous avons des délégués pratiquement dans toutes les villes », a par ailleurs expliqué M. Ba, tout en notant qu’il subsiste actuellement un « flou total » quant au nombre de bureaux de vote par commune. Selon lui, « comme c'est la première expérience, au niveau de la commission nationale de négociation paritaire, on est en train de tâtonner sur certains plans ».
Il a reconnu que « nous attendons tout simplement la confirmation des bureaux pour que nous déléguions nos membres. Mais, dans tous les cas, au niveau de l'enseignement secondaire, nous aurons des représentants dans chaque bureau. Et les autres syndicats aussi en feront de même, je crois. »
M. Ba a aussi déploré que certains préfets demandent aux enseignant∙e∙s de présenter des cartes syndicales, alors que la loi l'interdit pour les fonctionnaires. Et « l'autorité n'a pas le droit de demander à l'employeur l'appartenance syndicale. Il faut que le ministre de l'Intérieur, les autorités locales - que ce soit le maire ou le préfet - sachent bien qu'ils n'ont pas le droit d'interférer ainsi dans ces élections-là ».
Comme il s’agit d’une première expérience mauritanienne, les gens ont fait comme une campagne politique, a-t-il estimé : organiser des meetings, envoyer des personnes qui ne sont pas de l'éducation, etc. Certains ont même mobilisé toute une communauté pour s’opposer à un membre d’une autre. « Ce sont des pressions qui n’ont rien à voir avec l'éducation. Nous, c'est la politique éducative que nous faisons. Cela n’a aucun rapport avec le fait de savoir de quelle couleur, de quelle ethnie, est tel ou tel candidat. »
Communication syndicale autour des élections professionnelles
Au sujet de la communication engagée pour faire connaître son syndicat lors de élections professionnelles, le dirigeant du SNES a reconnu que « nous privilégions l'approche individuelle, aller sur le terrain et, en tant qu’éducateurs, mettre l’accent sur l'impact réel des propositions mises en avant ».
Aussi, le SNES va essayer d’aller au plus près du terrain. « L’un de nos atouts, c’est d’être présents à travers tout le pays. Les membres du bureau par exemple vont se déplacer d'un endroit à un autre selon le calendrier et les autorisations accordées. , a estimé M. Ba. « Sur le terrain, on aura des suppléants et chaque coordination régionale a une banderole de trois mètres sur deux mètres. »
Le syndicat prévoit de faire connaître ses principales doléances au travers de vidéos dans la langue locale, en français, ou en arabe. Idem pour des messages audios à poster sur les réseaux sociaux.
Le SNES distribuera aussi quatre types de dépliants, avec un tirage de 1.500 en français et 1.500 en arabe. Ce matériel sera acheminé aux coordinations régionales.
Pour le SNEF, Mme Dia a rapporté : « Nous avons aussi confectionné des dépliants, des banderoles pour toutes les 15 régions de la Mauritanie, à acheminer rapidement vers l'intérieur du pays. J'avais aussi contacté quelqu'un que je connais à la télévision, mais le cachet est très cher pour nous, et nous ne pouvons le financer. Nous comptons aussi utiliser des messages audios et des vidéos. »
IE : soutien au syndicalisme enseignant en Mauritanie
Dans sa lettre au Dr. Houda Babah Sid M’hamed, Ministre de l’Éducation et de la Réforme du Système d’Enseignement de la République Islamique de Mauritanie, en date du le 23 septembre 2025, le secrétaire général de l’IE, David Edwards, a indiqué qu’il se réjouis, « avec les affiliés mauritaniens, à la perspective d’une structuration du dialogue social sur des bases solides, celles d’une consultation démocratique de l’ensemble des personnels. Des organisations syndicales réellement représentatives, bénéficiant d’un cadre et de dispositions leur permettant d’exercer pleinement leur rôle de représentation de la profession, sont un puissant levier pour soutenir les réformes visant à une éducation publique de qualité et à une valorisation des métiers de l’éducation. »
Il a également fait référence aux 59 recommandations des Nations Unies sur la profession enseignante, en particulier la recommandation 48 : « Un dialogue social coordonné et institutionnalisé entre les gouvernements (au niveau adéquat), les organisations représentatives des enseignants et les organisations d’employeurs concernées devrait être le mécanisme principal d’élaboration des politiques sur l’éducation, l’enseignement et la profession enseignante ».
Le dirigeant de l’IE a insisté sur « la transparence et l’inclusivité de chaque étape du processus électoral » qui représentent « des conditions fondamentales, d’une part pour assurer une participation maximale au scrutin, et d’autre part pour que l’issue de ces élections soit reconnue par toutes les parties et qu’un dialogue fructueux puisse s’établir ».
C’est pourquoi il a expliqué « appuyer la demande du SNEF et du SNES d’une mise en œuvre effective de la disposition de l’article 10 de l’arrêté du 12 août 2025 fixant le calendrier, la durée de la campagne électorale, les règles et les modalités pratiques des élections professionnelles. À savoir que « les organisations syndicales candidates ont le droit d’être représentées au sein du bureau par un représentant et un suppléant ».
Par ailleurs il a insisté sur le fait que « les délégués et déléguées du SNEF et du SNES se déclarent disponibles, dans les 238 moughata'a (départements), afin d’apporter leur contribution à la transparence et à la sérénité des opérations de vote ».
L’IE a par ailleurs apporté un appui financier au SNEF et au SNES, notamment pour acheter du matériel de campagne.
La fédération syndicale mondiale soutient pleinement ses deux organisations membres mauritaniennes engagées dans le processus des élections professionnelles, et réitère sa demande aux autorités gouvernementales de veiller au respect de l’égalité des chances et de garantir la présence effective des membres des syndicats dans les commissions compétentes.