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Mondes de l'éducation

#WDR2018 à l’épreuve des faits n°4 : "Tenir la promesse de l’éducation : les enseignants sont la solution, pas le problème", Howard Stevenson

Publié 21 novembre 2017 Mis à jour 27 mars 2018
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Le rapport sur le développement mondial de la Banque mondiale de 2018 se concentre sur l’éducation et la nécessité de « tenir la promesse de l’éducation » ce qui est une avancée peut-être surprenante, mais néanmoins positive. Le rapport a de très bonnes intentions, mais il doit travailler en collaboration avec les enseignants, en non contre eux, s’il tient à réaliser ses ambitions.

L’attention accordée à l’éducation et à la reconnaissance de la façon dont celle-ci peut transformer la vie des apprenants sont des développements positifs à reconnaitre. Il faut en particulier soutenir la reconnaissance selon laquelle les efforts réalisés pour obtenir de meilleurs résultats pour tous sont des impératifs moraux bien plus ambitieux que les aspirations purement économiques. Toutefois, même si le rapport identifie les problèmes rencontrés et la nécessité de prendre des mesures radicales, les solutions politiques présentées ressemblent fortement à une sorte de management scientifique réchauffé (ou à du « taylorisme ») où les enseignants reçoivent des instructions sur comment enseigner (en regroupant les étudiants selon leurs capacités) et sont formés en méthodes appropriées à travers des exercices de répétition. Leur « production » est mesurée par des tests supplémentaires et finalement, leurs efforts sont soit récompensés, soit pénalisés en liant leur salaire aux résultats des étudiants aux tests.

Ces solutions politiques ne sont pas à même de valoriser, soutenir et motiver les enseignants, ni de mener aux excellents résultats identifiés par le rapport comme objectif. C’est pour cette raison que les enseignants ont systématiquement contesté les solutions politiques proposées dans le rapport de la Banque mondiale et qu’ils souhaitent que leurs syndicats parlent pour eux et expriment leurs inquiétudes. Malheureusement, les auteurs du rapport possèdent un avis très différent sur ces questions. Les syndicats d’enseignants sont critiqués car ils ne font pas de l’apprentissage des étudiants une priorité, mais ils préfèrent protéger les « intérêts particuliers » de leurs membres (p.189). Ils sont en particulier critiqués pour contester l’introduction de la rémunération selon les résultats et le recours à des contrats d’emploi flexibles. Le rapport se réfère à des études spécifiques qui présentent une relation inverse entre le taux de syndicalisation et les résultats des étudiants et même si des mises en garde sont formulées, la conclusion générale est claire : les syndicats d’enseignants sont néfastes pour les résultats des étudiants.

Ici n’est pas le bon endroit pour répondre à ses points en détail, mais il est important de reconnaître que les arguments présentés sont peu fondés et nuisent à la crédibilité du rapport. Il est trop facile d’identifier des études provenant de contextes très spécifiques et de donner l’impression qu’elles sont généralisables. Très peu d’efforts sont faits pour déterminer s’il y a un lien de cause à effet dans les rapports présentés. Il est intéressant de noter que la littérature dans ce domaine référencée dans le rapport est rédigée par des chercheurs connus pour critiquer les syndicats d’enseignants, tandis que les sources plus positives brillent par leur absence. Par exemple, l’œuvre récemment éditée de Terry Moe et Susanne Wiborg (2017) est citée, tandis qu’un ouvrage similaire mais avec des conclusions différentes, rédigé par Nina Bascia (2015), ne l’est pas.

Ce qui est peut-être le plus préoccupant, c’est la manière dont les auteurs du rapport opposent « l’accent mis sur l’enseignement et l’apprentissage » à la défense « d’intérêts particuliers » comme si cela était une lutte inconciliable. Les syndicats d’enseignants sont critiqués dans le rapport car ils rejetteraient le premier point et favoriseraient le second. Il ne reconnait pas qu’il est tout à fait légitime pour les enseignants de se battre pour défendre et améliorer leurs conditions de travail. Les enseignants ne devraient pas avoir à s’excuser de lutter pour obtenir un salaire qui reflète leur travail et qui leur permet de vivre. Ils ne devraient pas non plus être culpabilisés à ce sujet. On demande trop souvent aux enseignants de sacrifier leurs conditions de travail (et trop souvent leur santé) au nom des élèves à qui ils enseignent. La provocation de tensions réductrices et naïves entre l’accent mis sur l’enseignement et l’apprentissage et les intérêts particuliers des enseignants ne permet pas de reconnaître les difficultés rencontrées par les enseignants, la complexité des questions abordées et comment des conditions de travail améliorées sont souvent un point essentiel pour l’amélioration des conditions d’apprentissage.

Ensuite, les auteurs du rapport assument que « l’accent mis sur l’enseignement et l’apprentissage” est en soi un objectif non contestable approuvé à l’unanimité, c’est-à-dire que le choix porte soit sur l’enseignement et l’apprentissage ou soit, sur d’autres points. Mais cela n’est manifestement pas le cas. L’éducation ne prépare pas simplement les jeunes à occuper une place dans le monde du futur, mais elle contribue au développe des personnes qui créeront ce monde du futur. Un tel travail représente une ampleur énorme et peut-être encore plus dans le monde actuel qui est devenu plus complexe, évolue plus rapidement et est beaucoup plus instable qu’au cours des dernières décennies. Les enseignants doivent donner un sens à ce monde et réfléchir à la façon dont ils forment les jeunes pour façonner l’avenir. Dans un même temps, ils doivent donner un sens à toutes les demandes concurrentielles articulées autour d’une société plus vaste et à laquelle l’éducation est supposée apporter une solution et une conciliation. Ces demandes concurrentielles sont réelles et légitimes et ne peuvent pas être gommées par un appel en apparence neutre à « mettre l’accent sur l’enseignement et l’apprentissage ».

Je salue le rapport sur le développement de la Banque mondiale et son accent mis sur l’éducation. Toutefois, si la Banque souhaite réellement faire face aux défis identifiés dans son rapport, elle doit d’abord apprécier toutes les complexités, diversités et tensions de l’éducation et se rendre compte que les enseignants doivent concilier au quotidien ces questions dans leur vie professionnelle. Les décideurs politiques doivent arrêter de traiter les systèmes éducatifs comme une forme de modèle économique, qui, si les algorithmes ont raison, produit automatiquement les bonnes solutions politiques. Une approche basée sur des données probantes est la bienvenue, mais celle-ci doit être appliquée de façon critique. Une recherche désespérée d’éléments « qui fonctionnent » produit rarement les résultats désirés, et ne parvient pas non plus à aborder les véritables questions importantes.

En conclusion, la Banque mondiale et les autres acteurs doivent reconnaitre que les enseignants sont la solution, et non le problème, pour apporter des réponses politiques appropriées. Des progrès dans l’éducation ne sont pas réalisés uniquement en déterminant sur quel interrupteur appuyer ou quel levier tirer, mais ne sont possibles qu’en collaborant avec les enseignants, en comprenant les problèmes qu’ils rencontrent et en répondant aux défis de façon appropriée. Plus spécifiquement, il s’agit de collaborer avec les organisations qui peuvent légitimement revendiquer la représentation des intérêts collectifs des enseignants, les syndicats d’enseignants. Plutôt que de tenter de contourner les organisations collectives des enseignants, les décideurs politiques doivent développer des structures qui mettent les voix des enseignants au cœur des développements politiques. Une telle approche ne permettra pas de solutions miracles, mais les enseignants ont déjà trop souvent fait l’expérience de celles-ci. Un engagement véritable avec les enseignants dans le cadre d’une approche inclusive et démocratique pour le développement politique est la seule méthode qui offre une perspective réaliste d’amélioration durable à long terme.

Références :

Moe, T. M., and Wiborg, S. (Eds) (2017). The Comparative Politics of Education: Teachers Unions and Education Systems around the World. Cambridge, U.K.: Cambridge University Press.

Bascia, N.(Ed.) (2015). Teacher unions in public education. Palgrave Macmillan.

« #WDR2018 à l’épreuve des faits » est une série promue par l’Internationale de l’Education. Elle rassemble les analyses d’expert(e)s et de militant(e)s de l’éducation (chercheurs et chercheuses, enseignant(e)s, syndicalistes et acteurs et actrices de la société civile) des quatre coins de la planète en réponse au Rapport sur le développement dans le monde 2018, Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation. La série fera l’objet d’une publication en préparation des Réunions du printemps 2018 de la Banque mondiale. Si vous souhaitez y contribuer, veuillez prendre contact avec Jennifer à [email protected]. Les opinions exprimées n’engagent que leur auteur et ne représentent pas les positions de l’Internationale de l’Education.

Consultez le post précédent de la série écrit par Juliet Wajega : #WDR2018 à l’épreuve des faits n°3 : Non aux expérimentations à but lucratif dans l’éducation : soutenez l’éducation publique

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