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Nicaragua: lutter contre le travail des enfants renforce un syndicat d’enseignants

Publié 12 mars 2018 Mis à jour 14 mars 2018

En développant des « zones libres de tout travail d’enfant », le syndicat CGTEN-ANDEN suscite l’enthousiasme des enseignants et développe son influence dans le dialogue social.

Au Nicaragua, la Confederación General de Trabajadores de la Educación de Nicaragua(CGTEN-ANDEN est impliqué depuis 2015 dans le développement d’une « zone libre de tout travail d’enfant »à la Dalia (département de Matagalpa), avec le soutien de l’ AOb et de la Fondation Fair Childhood de la GEW. L’objectif est de scolariser tous les enfants de cette région réputée pour ses plantations de café. Quatre-vingt-trois enseignant(e)s issus de 31 écoles ont reçu des formations sur des thèmes comme les techniques de communication avec les parents, les qualités de leadership et les droits de l’enfant. Le syndicat a également fourni à certaines écoles un peu de matériel pédagogique (jeux, livres d'histoires, magnétophones) et du matériel pour décorer les classes.

« Ce projet aide les enseignants à se sentir plus à l’aise quand ils parlent avec les parents de l’importance de l’éducation », souligne Bernarda López, coordinatrice nationale du projet au sein de CGTEN-ANDEN. « Nous avons développé des spots radio contre le travail des enfants qui sont largement diffusés sur les antennes des stations de radio locales. Nous avons aussi installé des panneaux contre le travail des enfants dans les écoles, distribué aux enseignants des casquettes et des sacs avec des messages en faveur de l’éducation. »

Les enseignant(e)s qui ont suivi les formations initiales de CGTEN-ANDEN ont demandé au syndicat de recevoir de nouvelles formations dans le domaine culturel, comme des cours de danse traditionnelle et la confection d’objets artisanaux. Bernarda López: « Cette demande nous a quelque peu surpris, mais nos membres nous ont expliqué que ce type de formation allait les aider à améliorer l’attractivité des écoles. Après de nouvelles formations, les enseignants impliqués dans le projet ont intégré les aspects culturels dans leur pédagogie, ils utilisent par exemple le bricolage pour enseigner de façon concrète les mathématiques. Les étudiants aiment davantage l’école, leurs résultats scolaires s’améliorent, leur motivation augmente, ce qui augmente aussi l’enthousiasme des parents et des enseignants ».

Marling Cardenal Averruz, enseignant à l'école primaire de Slilmalila, explique que « les formations m’ont aidé à développer de nouveaux arguments pour convaincre les parents d’envoyer leurs enfants à l’école. Le matériel reçu m'a permis de décorer la classe en compagnie des étudiants. J’ai amélioré ma pédagogie grâce aux jeux que nous avons appris à utiliser lors des formations. J'ai aussi développé plus de contacts avec les responsables de la communauté qui entoure l’école. Plus aucun étudiant n’a abandonné mon école depuis le début de ce projet, en 2016, et nous sommes parvenus à réintégrer à l’école neuf enfants qui avaient abandonné ». Les enseignant(e)s doivent parfois négocier longuement avec les parents. « Certains enfants doivent marcher sur de longues distances pour venir à l’école. Il nous arrive de négocier des compromis avec leurs parents: ils acceptent de les laisser revenir à l’école, mais seulement 3 jours sur 5. C’est un début… Quand l’enfant revient à l’école et s’y plait, il demande lui-même à venir chaque jour de la semaine », note Edgla Mona Cardenas Centeno, institutrice à l’école primaire de Slimlalila.

Soutien des plantations de café

Les représentant(e)s syndicaux/ales de CGTEN-ANDEN ont contacté les propriétaires des plantations de café, premiers employeurs de la région de La Dalia. Tous ont marqué leur accord pour soutenir le message « Non au travail des enfants » véhiculé par le syndicat, qui correspond aussi aux exigences des acheteurs internationaux de café nicaraguayen. « Certaines plantations ne se limitent pas à interdire le travail d’enfants, ils encouragent également leurs employés à scolariser tous leurs enfants. Nous pouvons alors facilement obtenir l’aide des responsables de ces entreprises si nous découvrons que l’enfant d’un travailleur est déscolarisé, afin de convaincre ses parents de l’envoyer à l’école », explique Armengol Salgado, coordinateur du projet CGTEN-ANDEN au niveau de La Dalia.

Durant les grandes vacances, CGTEN-ANDEN organise des écoles d’été à La Dalia, pour des enfants déscolarisés ou en risque de décrochage scolaire. « Beaucoup de parents emmènent leurs enfants travailler durant les vacances, parfois dans des plantations de café situées dans d’autres régions. Ces enfants ne sont pas toujours de retour pour le début de l’année scolaire et enclenchent un processus de décrochage », explique Bernarda López. « Nos membres s’organisent: chaque enseignant prend en charge une journée d’école d’été. La journée des enfants est ainsi occupée par des jeux, des danses, des lectures de contes, un apprentissage ludique des mathématiques, etc. »Cette expérience s’est avérée très positive. A La Dalia, 14 enfants (dont 9 filles) qui n’avaient jamais été scolarisés se sont inscrits à l’école après leur participation à ces activités estivales en 2017, et tous les enfants en risque de décrochage scolaire ont poursuivi leur scolarité. Les enseignant(e)s constatent une amélioration des résultats scolaires des étudiant(e)s qui participent à ces écoles d’été, notamment parce qu’ils ont fréquenté d’autres pédagogues durant les vacances.

Le projet de création de zone libre de tout travail d’enfant a suscité un véritable élan pour l’éducation à La Dalia. « Si un enfant nous dit qu’il ne peut venir à l’école parce qu’il n’a pas de matériel, nous allons organiser une action de solidarité avec les autres étudiants pour récolter le matériel nécessaire à l’enfant défavorisé », témoigne Nelson Castillo, directeur de l’école Esparanza 2. « Nous n’acceptons plus que le moindre enfant soit déscolarisé. En tant qu’enseignants, nous étions bien sûr déjà conscients de l’importance de l’éducation avant la mise en place de ce projet, mais les activités développées avec le soutien d’ANDEN ont décuplé notre motivation ainsi que celle des communautés entourant nos écoles. Notre implication dans ce projet développe aussi notre prestige d’enseignant. Lors des réunions mensuelles avec les parents, nous abordons avec eux de nouveaux thèmes, comme la non-violence, l’estime de soi, l’apprentissage des bonne valeurs. »

« Le syndicat est devenu le point de rencontre »

L'engouement pour ce projet a entraîné une augmentation de 28% de l'adhésion de CGTEN-ANDEN dans la zone (de 350 à 450 membres). Les directeurs/trices de toutes les écoles concernées par le projet se sont affilié(e)s au syndicat. Le directeur Nelson Castillo explique que ce renforcement syndical a des conséquences positives sur le dialogue social. « Avant ce projet, le dialogue entre directeurs et enseignants existait, mais les directeurs étaient avant tout considérés comme des représentants du ministère, et nos discussions avec les représentants syndicaux pouvaient être perçues comme des discussions entre deux clans qui s’affrontent. A présent, les directeurs sont affiliés à CGTEN-ANDEN, nous rencontrons les responsables syndicaux et les enseignants de la région dans de nombreuses réunions, ainsi que dans les activités liées au projet contre le travail des enfants. Le syndicat est devenu un point de rencontre, nous avons vu que le syndicat ne se limitait pas à la défense de ses membres mais qu’il lutte pour le bien de toute la société. »

Les leçons de ce projet aident CGTEN-ANDEN dans son plaidoyer à plus large échelle contre le travail des enfants. Les autorités de l’éducation de La Dalia se sont déjà engagées à étendre certaines innovations du projet aux 173 écoles de la municipalité. Ce sera le cas par exemple pour les visites d’enseignant(e)s au domicile des étudiant(e)s qui sont à risque ou ont déjà abandonné l’école. « Les autorités ont compris que ce type de projet était un complément à leurs propres efforts contre le travail des enfants et pour la qualité de l’éducation, elles nous encouragent donc à les poursuivre en collaboration avec le ministère de l’Education », explique José Antonio Zepeda, Secrétaire général de CGTEN-ANDEN. « Nous améliorons ainsi notre relation avec le Gouvernement, ce qui est positif pour tout le dialogue social que nous développons ». Le syndicat a obtenu le droit de rencontrer une fois par an tou(te)s les futur(e)s enseignant(e)s afin de les sensibiliser à leur rôle dans la lutte contre le travail des enfants, en se servant des leçons tirées de projets comme celui de La Dalia.

Les écoles visées par le projet ont enregistré une réduction importante des taux de décrochage scolaire et le retour à l’école d’ex-enfants travailleurs. Certaines écoles ont  cependant connu une baisse du nombre d’étudiant(e)s inscrits en 2017 en raison de migrations de familles à l’intérieur du Nicaragua. En 2018, les directeurs/trices des 31 écoles inclues dans le projet se sont engagés à faire le suivi d’ancien(ne)s étudiant(e)s qui ont suivi leurs parents dans d’autres régions, afin de vérifier s’ils/si elles demeurent scolarisé(e)s.

Avec un soutien renouvelé de l’ AOb et de la Fondation Fair Childhood, CGTEN-ANDEN développe actuellement de nouvelles zones libres de tout travail d’enfants dans les localités de Malpaisillo et El Jicaral (région de Léon), où de nombreux enfants sont exploités dans des sites aurifères. « Lors de réunions syndicales au niveau national, nous présentons le projet de La Dalia pour montrer que le travail des enfants peut être éradiqué par de meilleures communications et négociations avec les parents et en rendant l’école attractive pour tous les enfants », souligne Bernarda López. A terme, le syndicat pourrait reproduire ces stratégies dans de nombreuses régions du Nicaragua. Elles nécessitent un investissement en temps et en argent, notamment pour former les enseignant(e)s des zones concernées.