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Mondes de l'éducation

Quatrième Conférence Mondiale des Femmes, Pékin, 1995 (UN Photo/Milton Grant).
Quatrième Conférence Mondiale des Femmes, Pékin, 1995 (UN Photo/Milton Grant).

« Beijing +25 : Seule une action collective peut apporter une solution collective »

Publié 6 mars 2020 Mis à jour 6 mars 2020
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2020 est une année propice aux droits des femmes : le monde reviendra sur ce qui a été convenu il y a vingt-cinq ans lors de la 4e Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes à Beijing (Pékin), en Chine. La déclaration et la Plate-forme d'action de Beijing sont largement considérés comme "le plan le plus progressiste au niveau mondial" en matière de droits des femmes et des filles. C'est pourquoi sa mise en œuvre continue de susciter un grand intérêt. Les gens, et en particulier les femmes et les filles, veulent savoir si la promesse de Beijing a été tenue.

Le Sankofa est un symbole Akan du Ghana : il représente un oiseau dont le torse est tourné vers l'avant et la tête vers l'arrière. Le symbole Sankofa nous rappelle que nous ne pouvons pas savoir et comprendre où nous sommes ou où nous allons (le présent et l'avenir) sans savoir et comprendre d'où nous venons (le passé). Alors que nous cherchons à comprendre et à évaluer le chemin parcouru depuis Pékin, il est utile de s'arrêter pour reconsidérer ce qui nous a amenés là où nous sommes aujourd'hui - le pouvoir de l'action collective.

Photo: Annielogue/Flickr.

Introduction

En 1995, dix-sept mille (17 000) participant·e·s se sont réunies à Pékin, en Chine, à l’occasion de la 4e Conférence mondiale des femmes des Nations unies.

Dans son allocution prononcée lors de la conférence, Hillary Clinton, qui était à l’époque la Première Dame des États-Unis d’Amérique, déclarait :

« Si cette conférence doit envoyer un message, que ce soit celui-ci : les droits humains sont des droits des femmes et les droits des femmes sont des droits humains, une fois pour toutes. »

« Tant que la discrimination et les inégalités demeureront aussi courantes partout dans le monde, tant que les filles et les femmes vaudront moins, seront moins nourries, seront nourries en dernier, seront surchargées de travail, sous-payées, non scolarisées, victimes de violence chez elles et à l’extérieur, la possibilité pour l’humanité de créer un monde pacifique et prospère ne se concrétisera pas. »

Photo: Sharon Farmer/White House Photograph Office.

Ce discours, prononcé le 5 septembre 1995, est sans nul doute un moment historique clé dans la lutte pour donner aux droits des femmes une place centrale et prioritaire dans la politique internationale.

Mais ce n’est pas à Pékin que l’histoire de l’héritage de la conférence a débuté…

À cinquante-six kilomètres au nord de Pékin, dans une région appelée « le jardin de Pékin » – la province de Huairou, trente mille personnes venues du monde entier, essentiellement des femmes, étaient attendues pour assister au Forum des femmes des organisations non gouvernementales(vidéo en anglais), qui a débuté le 30 août 1995, avant l’ouverture de la conférence principale.

L’histoire raconte que l’on se bousculait pour préparer l’accueil d’un tel afflux de militant·e·s : le « Centre de conférence de Huairou » avait été bricolé dans la précipitation à partir de quelques écoles et de bâtiments voisins, en bordure d’une petite ville(lien hypertexte en anglais). Étant donné que les bâtiments que les autorités avaient prévu de construire n’avaient pas été achevés dans les temps, les ateliers, expositions, manifestations, discours, exercices de planification stratégique et événements se sont déroulées à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de… tentes.

Il y avait une tente pour chacun·e : pour chaque région géographique (par exemple, la « tente Afrique à Pékin »), en fonction des personnes avec lesquelles chaque organisation travaille sur le terrain ou représente (comme la « tente des communautés») ou pour les communautés de femmes les plus contestées et/ou les plus politiquement explosives qui réclamaient un siège à la table des négociations (comme la « tente du Tibet » officieuse, qui était située à une certaine distance des activités principales ou la « tente des lesbiennes »).

Le Forum des ONG était l’endroit où les militant·e·s retroussaient leurs manches et s’occupaient de l’épineuse question d’affiner les « domaines critiques de préoccupation » relatifs aux droits des femmes qui devaient être mis en évidence et de trouver les éléments de langage progressistes qui devaient figurer dans le document final de la conférence.

Et pourtant, malgré toute l’agitation autour du Forum des ONG, ce n’est pas là qu’a commencé l’histoire de ce qui conduisit tant de militantes à traverser le monde…

L’action collective pour une solution collective

Cela a été dit si souvent et par tant de gens que c’est devenu un truisme : ce qui est personnel est politique. Or, ce qui est aujourd’hui devenu un « slogan féministe » est apparu pour la première fois à la fin des années 1960, dans un essai rédigé par la militante féministe Carol Hanisch [1]. Cette dernière écrit que les problèmes rencontrés par les femmes – dans leur vie privée, derrière des portes closes et dans l’intimité des relations familiales – ne sont pas des problèmes personnels, mais bien des problèmes politiques qui requièrent des solutions politiques. Et d’affirmer très clairement que les solutions politiques ne peuvent être trouvées que collectivement. Ou comme elle l’a écrit dans son essai :

« Il n’existe pas de solutions personnelles actuellement. Seule une action collective peut apporter une solution collective. »

Photo: Frederick Noronha / Wikimedia commons.

Cent quatre-vingt-neuf (189) États membres des Nations unies ont adopté la Déclaration et la plate-forme d’action de Beijing, le document final de la 4e Conférence des femmes des NU, qui est généralement considéré comme le document international le plus progressiste à ce jour en matière de droits des femmes.

L’histoire de cet important jalon posé à Pékin a débuté bien avant 1995 et trouve ses racines dans de nombreuses régions différentes du monde. En effet, les femmes mènent depuis longtemps des actions collectives pour trouver des solutions collectives. Comme l'a récemment déclaré le Secrétaire général des Nations unies, António Gutteres, dans un discours sur "Les femmes et le pouvoir": "Les femmes se battent pour leurs droits depuis des siècles".

Il existe de nombreux exemples d'action collective des femmes pour faire valoir leurs droits, à travers le temps et les régions :

En 1848, lors de la Convention de Seneca Falls aux États-Unis, les femmes réclament leurs droits civils, sociaux, politiques et religieux.

Photo: Joseph/Flickr.

En 1924, l Union féministe égyptienne installe un piquet de grève lors de la séance d’ouverture du parlement égyptien après que la nouvelle Constitution n’a pas accordé le droit de vote aux femmes.

En 1927, la Conférence All India Women est organisée pour la première fois et en 1929, la Révolte des femmes Aba dans le sud-est du Nigeria contraint les autorités coloniales britanniques à abandonner une taxe sur les commerçantes des marchés.

En 1975, au cours de la Kvennafrídagurinn d’Islande(Journée de congé des femmes), les femmes [soit un dixième de la population] se sont mises en grève et n’ont pas exercé leur emploi rémunéré, ni aucune tâche ménagère ou liée à la garde des enfants pendant une journée entière afin de réclamer l’égalité de salaire.

En 1977, les Grands-mères de la Place de Mai( Abuelas de Plaza de Mayo) en Argentine ont mené la pénible mission de recherche des enfants qui avaient « disparu » sous la dictature.

Photo: Amy Mayer/Impact Visuals.

En 1993, l'Internationale de l'éducation (IE) a été fondée. L'IE représente les organisations d'enseignant·e·s et d'autres personnels du secteur de l'éducation. L'IE est la fédération sectorielle mondiale de syndicats la plus importante et la plus représentative au monde, avec plus de 32 millions de membres de syndicats de l'éducation dans 391 organisations réparties dans 179 pays et territoires.

Dans le secteur de l’éducation, les travailleurs sont essentiellement des femmes. Selon les données de 2018 provenant de l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU) :

Dans une interview accordée à l’occasion de la commémoration du vingt-cinquième anniversaire de l'IE en 2017, la Présidente fondatrice de l'IE, Mary Hatwood Futrell, a souligné que dès le début, lors du Congrès mondial fondateur de l'IE en 1993, on s'est soucié de s'assurer que les femmes étaient représentées et capables de s'exprimer à tous les niveaux et au sein de toutes les structures de l'IE. Comme elle l'a expliqué :

« Une des choses que nous essayions de faire... au Congrès était de s'assurer que les femmes déléguées comprennent la structure de l'IE, qu'elles comprennent les problèmes et qu'elles aient une voix, qu'elles puissent se lever au Congrès et parler tout comme les hommes. Nous avons également fortement encouragé, au niveau régional et local, que les femmes ... aient une voix forte dans les régions et au sein des structures locales. Nous avons notamment souligné : ‘la plupart des enseignants dans le monde sont des femmes et vous dites que nous sommes majoritaires (60-75%) mais nous n'avons pas de voix ?’ Et nous avons dit : ‘nous sommes des professionnelles, nous sommes des membres, nous sommes égaux et nous devrions avoir une voix. »

Le pouvoir collectif du mouvement syndical de l’éducation

Par définition, les syndicats ont vocation à exploiter le pouvoir d’une action collective. Les syndicats de l’éducation mobilisent les travailleur·euse·s du secteur de l’éducation et utilisent leur pouvoir collectif pour défendre et promouvoir le droit universel à l’éducation de tous les élèves et le droit universel à un travail décent pour tou·te·s les travailleur·euse·s de l’éducation.

La plate-forme d’action de Beijing (PAB) a recensé douze « domaines critiques de préoccupation » et a mis en évidence des « objectifs stratégiques » pour chacun de ces domaines afin de faire progresser les droits des femmes et des filles. La PAB a également décrit les mesures que doivent prendre les principales parties prenantes afin que ses dispositions soient mises en œuvre. En effet, lorsque les 189 gouvernements ont signé le Programme d’action de Beijing, ils se sont engagés à prendre eux-mêmes des mesures en tant que gouvernements et ont fait le serment que les principales parties prenantes, notamment les syndicats, prendraient également des mesures en vue de sa mise en œuvre.

Les contributions des syndicats de l’éducation – tant au niveau national qu’international – à la mise en œuvre de la PAB peuvent être passées en revue à la lumière des objectifs stratégiques de divers domaines critiques de préoccupation identifiés dans la PAB.

Les exemples du travail réalisé par l’Internationale de l’Éducation [5](IE) et ses organisations membres dans différentes régions du monde depuis l’adoption du PAB en 1995, qui seront décrits dans un deuxième article de blogue dans la cadre de cette série spéciale, montrent le pouvoir de la réalisation d’actions collectives pour apporter des solutions collectives et la différence essentielle que la négociation collective des syndicats de l’éducation a faite pour l’avancement des droits des femmes dans le secteur de l’éducation.

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2020 marque le 25e anniversaire de l'adoption de la Déclaration et de la Plate-forme d'action de Pékin (PAP) lors de la 4e Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes qui s'est tenue à Pékin en 1995. La PAP reste le plan le plus progressiste pour la réalisation des droits des femmes jamais approuvé par les gouvernements au niveau mondial. Pour commémorer cette étape importante, voici le premier d'une série spéciale de blogs de l'IE « Beijing +25 » sur le portail Mondes de l'Education; le dernier blog de la série sera publié à l'occasion de la Journée internationale des droits de l'homme (10 décembre 2020).

[1]« The Personal is Political » est le titre d’un essai de Carol Hanisch, une militante américaine de la cause des femmes. Pour lire l’essai complet (en anglais), cliquer ici.

[2] La seule région où les femmes représentent moins de 50 % du personnel enseignant dans le primaire est l’Afrique subsaharienne (45,49 %).

[3] Il convient d’observer les disparités régionales importantes : en Afrique subsaharienne, à peine 29,94 % des enseignants du secondaire sont des femmes, contre 45,56 % en Afrique du Nord et 44,66 % en Asie du Sud.

[4] On observe aussi des disparités régionales dans l’enseignement supérieur : en Afrique du Nord, les femmes représentent à peine 39,92 % du corps enseignant et 38,07 % en Afrique du Sud. Aucune donnée n’est disponible pour l’Afrique subsaharienne.

[5] L’Internationale de l’Éducation(IE) est la Fédération syndicale mondiale qui représente les organisations d’enseignant·e·s et de personnel de soutien de l’éducation. Elle est la principale organisation syndicale sectorielle mondiale et la plus représentative, avec plus de 32 millions de membres de syndicats de l’éducation dans 391 organisations et 179 pays et territoires.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.