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Dresser le bilan du mouvement pédagogique latino-américain pour progresser davantage vers un enseignement public gratuit et inclusif de qualité

Publié 10 mai 2022 Mis à jour 30 mai 2022

Un examen décennal du Mouvement pédagogique latino-américain (MPL, selon l’acronyme espagnol) a été réalisé par le Bureau régional Amérique latine de l'Internationale de l'Éducation (IELA).

Le MPL propose une politique publique éducative du point de vue des syndicats de l'enseignement et de la communauté éducative. Il est promu par le Comité régional de l'IELA et géré par le Bureau régional de l'IELA. Le MPL vise également à renforcer les syndicats de l'enseignement, en renforçant leur capacité à réfléchir, à entreprendre des recherches et à proposer des politiques publiques éducatives et pédagogiques. Ses propositions couvrent des domaines tels que les politiques publiques éducatives alternatives et la pédagogie alternative, influencées par les travaux de l'éducateur et philosophe brésilien Paulo Freire.

La recherche évaluant le MPL décrit l'impact de ce processus sur les organisations de la région. Elle met également l'accent sur les moyens d'atténuer les faiblesses apparues lors de l'élaboration de cette stratégie politique organisationnelle.

« Cette stratégie, lancée en décembre 2011, a été développée dans toute la région et dans chaque pays par le biais d'activités nationales et régionales », a expliqué Combertty Rodríguez, coordinateur régional en chef de l'IELA.

Cette évaluation a été réalisée avec l'aide financière du Lärarförbundet/Suède et du Utdanningsforbundet (UEN)/Norvège. Ces syndicats financent également le développement de ce processus dans toute la région latino-américaine. L'université publique, la Faculté latino-américaine des sciences sociales (FLACSO), a été choisie pour évaluer le MPL, a-t-il déclaré.

Imaginer l'enseignement public que nous voulons

« L'objectif de cette stratégie est d'analyser l'éducation publique dans les différents pays de la région, de construire une politique publique éducative avec une vision venant des syndicats et de la communauté éducative », a déclaré Rodríguez. Elle visait à « imaginer l'enseignement public que nous voulons et à réfléchir à la manière de la construire ».

Le MPL a établi la nécessité pour chaque organisation affiliée à l'Internationale de l'Éducation d'analyser le système éducatif public de son pays afin de créer une proposition de politique publique éducative alternative à la politique néolibérale. Cette alternative devrait être celle qui vient de la base, des enseignant·e·s qui dispensent l'éducation tous les jours.

« Il est important de souligner que la MPL est un effort unique à l'échelle mondiale au sein de l'Internationale de l'Éducation. Pour cette raison, il a été décidé qu'il était essentiel d'analyser les résultats obtenus ainsi que les méthodes utilisées afin d'en tirer des conclusions pour l'avenir. En tant qu'initiative de pointe au sein de l'Internationale de l'Éducation, les conclusions de l'évaluation pourraient également être utiles pour un projet similaire dans une autre région, afin de maximiser l'utilisation des meilleures pratiques », a insisté Rodriguez.

De grands objectifs sociétaux à poursuivre

La recherche souligne que « l'Amérique latine a connu une forte attaque de la part des partisanes et partisans des politiques néolibérales qui ont cherché à discréditer et à démanteler le rôle de l'État dans les secteurs sociaux. Cela n'a cependant pas empêché les acteurs privés de profiter des ressources publiques pour financer des activités commerciales. Le secteur de l'éducation est l'un des secteurs où ces tendances ont été les plus évidentes. »

Pour Rodriguez, « le mouvement pédagogique est une expérience importante. Cependant, en tant qu'expérience nouvelle et en tant qu'expérience sociale et syndicale, elle progresse, puis recule. Ce n'est pas linéaire. »

La recherche rappelle également que, pendant longtemps, le mouvement syndical a axé ses luttes sur la défense des conditions de base des travailleur·euse·s. Dans les différents pays, la pratique historique des syndicats formulant des propositions de politiques publiques pour le secteur de l'éducation a été abandonnée. En conséquence, les acteurs internationaux, à la fois des secteurs intergouvernementaux et privés, ont eu un impact significatif sur la formulation des politiques publiques nationales qui, dans de nombreux cas, ont inversé les acquis réalisés il y a plusieurs décennies.

La recherche souligne que « le MPL est une stratégie politico-organisationnelle pour proposer une politique publique éducative du point de vue syndical. Il vise à proposer une alternative transformationnelle à l'enseignement public construite avec les éducatrices et éducateurs de la classe et impliquant la communauté éducative, y compris les enseignantes et enseignants, les étudiantes et étudiants, les familles et autres, de manière participative afin d'avoir un impact sur la politique éducative. »

À partir de 2012, tous les syndicats nationaux affiliés à l'IELA ont été invités à participer au MPL. Cette stratégie ne se limite pas aux enseignant·e·s et doit tendre à impliquer le reste de la communauté éducative, y compris les étudiant·e·s et les parents.

L'objectif ultime reste de construire un enseignement public, gratuit, laïque et de qualité, garant par l'État comme étant un droit social.

Le bureau régional de l'IELA a mené différents types d'activités pour faciliter les opérations des organisations affiliées au sein du MPL :

  • Des réunions nationales sont organisées, les travaux étant menés directement par le Comité exécutif de l'organisation éducative sur les objectifs et les méthodes de travail.
  • Des réunions sous-régionales sont également organisées au cours desquelles les organisations partagent leurs progrès, examinent le travail et prennent de nouveaux engagements pour progresser dans leurs pays.
  • Enfin, des réunions régionales impliquant les syndicats affiliés à l'IELA sont organisées pour partager les progrès, les défis, les objectifs et discuter des étapes futures.

Réalisations du MPL

La recherche met en exergue les réalisations du MPL :

  • La communauté enseignante affiliée connaît le MPL et ses réflexions sur la politique éducative non marchande.
  • Dans les pays où une proposition de politique éducative a été élaborée (Costa Rica, El Salvador, Honduras et Paraguay), cette proposition a été validée par des débats et des réflexions avec les membres de base et dans certains cas, elles ont été construites de bas en haut.
  • Des alliances à court terme ont été nouées avec des organisations sociales.

Cependant, soulignent les évaluateur·trice·s, « malgré le fait que ces forums aient travaillé à documenter des expériences pédagogiques alternatives, l'efficacité est perdue puisque le travail de terrain a constaté que cela n'a pas suffisamment imprégné la base, qui traite des besoins, de la portée et des limites du travail en question, ni les alliances stratégiques qui ont été conclues avec d'autres organisations sociales et populaires ».

La pandémie de COVID-19 a également eu un impact sur le MPL. Le rapport note que « les inégalités persistantes déjà existantes concernant l'accès et la permanence au sein du système éducatif et le droit à un enseignement public de qualité s'aggravent dans le contexte de l'urgence sanitaire. Le caractère virtuel est mis à l'épreuve par des lacunes dans l'accès et la qualité d'Internet, et cette infrastructure doit être renforcée face aux défis futurs ».

Rôle crucial du réseau des femmes

Les évaluateur·trice·s ont mentionné la connexion et la coordination réalisées avec le Réseau des travailleuses de l'éducation, qui a précédé le MPL et inspiré cette initiative. « L'intégration de la perspective de genre et l'inclusion de perspectives intersectionnelles n'est pas une tâche facile, mais plutôt le produit de l'action décisive et claire des femmes qui font partie du Réseau. C'est une tâche qui se retrouve dans le MPL, comme en témoignent les déclarations faites par les gens sur la question du genre ».

Il·elle·s ont ajouté que les jeunes et les peuples autochtones doivent être mieux ciblé·e·s, car « le travail de terrain a révélé des difficultés à travailler avec les territoires en général, en particulier pour intégrer les besoins de la communauté rurale et des peuples autochtones ».

Il n'y avait également aucune preuve de la présence de jeunes dans les consultations ni au sein de la direction. Cela limite l'intégration de ces groupes dans un avenir proche, tant en termes d'affiliation que dans les niveaux de leadership, ont-il·elle·s écrit. Il est nécessaire d'intégrer un programme thématique inclusif de sujets d'intérêt spécifiques qui répondent aux besoins de ses divers membres.

Recommandations pour l'avenir de la MPL

Les chercheur·euse·s ont fait les recommandations suivantes aux syndicats de l'enseignement pour faire avancer la MPL :

  • Analyser les transformations que le MPL souhaite réaliser à court, moyen et long terme.
  • Établir un processus de planification stratégique quinquennal conjointement avec les syndicats de chaque pays, dans un processus partant de la base et remontant jusqu'au Comité régional de l'IELA.
  • Élaborer une stratégie pour l'incorporation d'autres groupes qui peuvent être des acteurs clés dans la réalisation des objectifs de transformation du MPL.
  • Intégrer les besoins et revendications mis en avant par le Réseau des travailleuses dans le MPL.
  • Mener un dialogue sur la construction de politiques à partir de la base, ce qui implique de s'engager dans une action politique en s'appuyant sur des alternatives non traditionnelles.
  • Définir clairement une série de voies (pas seulement à travers des politiques éducatives alternatives) en fonction de la réalité économique, politique et sociale de chacun des pays pour atteindre l'objectif ultime, qui est le passage du modèle éducatif marchand néolibéral à un modèle d’enseignement gratuit, de qualité et solidaire.
  • Mettre en œuvre un programme de formation intégrant un séminaire sur les points de vue de Paulo Freire, pour reconnaître que le changement dans l'éducation s'obtient à partir des pratiques présentes en classe.
  • Améliorer les processus de formation en leadership pour les jeunes syndicalistes de l'éducation, afin qu'ils·elle·s puissent succéder de manière appropriée aux dirigeant·e·s actuel·le·s. Les jeunes devraient être encadré·e·s par des personnes plus expérimentées et un processus de transfert des connaissances et des compétences nécessaires à la formation de nouveaux·elles dirigeant·e·s devrait être mis en place.

Une nouvelle logique menant à de nouveaux résultats

« La réalité de l'Amérique latine aujourd'hui n'est pas la même qu'il y a des années, lorsque nous avons lancé le mouvement pédagogique », a commenté Rodriguez. « Le paramètre à considérer est que, lorsque le mouvement pédagogique est né, le scénario latino-américain proposait des gouvernements plus progressistes qui n'avaient aucun problème à parler des politiques publiques d'éducation, n'avaient aucun problème à engager un dialogue avec les organisations éducatives pour définir les politiques publiques d'éducation ».

Il a déclaré qu'il est important qu'un débat ait lieu avec les organisations pour reprendre cette dynamique pédagogique.

Le défi consiste maintenant à mettre en œuvre les recommandations. « Nous sommes des facilitateurs, en tant qu'Internationale de l'Éducation, dans les bureaux mondiaux et régionaux, les organisations nationales sont celles chargées de mettre en œuvre les recommandations sur le terrain. C'est un élément clé. »

Rodriguez a insisté sur le fait que « nous allons commencer avec une nouvelle logique qui conduira à de nouveaux résultats ».

Cependant, deux changements essentiels doivent être apportés, a-t-il ajouté:

  1. Le mouvement pédagogique doit servir à revitaliser les organisations.
  2. En termes de pédagogie, le mouvement pédagogique en tant que perspective politique doit continuer à défendre l'idée d'un enseignement public de qualité et de parler de la pédagogie de l'avenir.

Il a conclu en disant : « Nous devons avoir notre propre proposition avec notre propre vision concernant ce que nous devons faire en termes de politique éducative. Nous avons également besoin d'une proposition pédagogique sur la manière de faire fonctionner la politique publique d'éducation dans chaque pays. Nous devons faire des propositions de politique publique d'éducation parce que les entreprises privées, la Banque mondiale, l'OCDE et d'autres jouent elles-mêmes un rôle dans la proposition de politiques publiques. »

Un mouvement positif, à plusieurs niveaux, et un mouvement social de multiples façons

Selon Rune Fimreite, de l'UEN, les organisations d'enseignants en Amérique latine « ont connu un grand changement, devenant davantage que des syndicats de combat. Les syndicats d'enseignants se sont professionnalisés et doivent maintenant trouver une voie commune. »

Le mouvement pédagogique n'est pas seulement un mouvement professionnel, mais aussi un « mouvement positif, à plusieurs niveaux » et un mouvement social de multiples façons, c'est-à-dire pour la justice sociale, une idée révolutionnaire de l'éducation à la liberté, a-t-il déclaré.

Il a également expliqué que le MPL vise à amener les organisations à parler d'égal à égal avec les gouvernements lorsqu'il s'agit de questions d'éducation. Il s'agit de préparer les organisations au dialogue social.

De plus, il a insisté sur le fait que « même s'il y avait différents niveaux parmi les syndicats, ils ont appris les uns des autres. Il existe une composante de coopération Sud-Sud dans le Mouvement pédagogique. Vous pouvez vous appuyer sur des collègues d'autres pays, cette énergie est contagieuse. Et parce que le concept est maintenant plus clair pour tout le monde, la volonté politique est plus forte. »

Il a poursuivi en soulignant : « L'éducation est une mission, les syndicats d'enseignants ont un engagement plus large envers la société, nous éduquons la jeune génération à manœuvrer dans la vie quotidienne et à mener une bonne vie ».

Nécessité d'élargir le mouvement en dehors des syndicats

Joakim OIsson, secrétaire international du Lärarförbundet, un autre partenaire de coopération au développement soutenant le MPL, a également reconnu qu'il était « positivement surpris par le rapport réalisé par FLACSO ».

Se référant aux origines du MPL, il a noté qu' « il s'agissait d'une initiative totalement régionale, avec une réunion régionale à Bogota, s'appuyant sur l'expérience des Colombiennes et Colombiens en matière de proposition de politique depuis 30 ans déjà. Ils sont tellement expérimentés, comme en Argentine et au Brésil. Ils voulaient que cela soit partagé au niveau régional. »

Il a ajouté que « l'assaut néolibéral menant à la privatisation de l'éducation peut être freiné. Plus nous sommes engagés au niveau régional, plus nous sommes forts au niveau national. »

Il a également souligné que les syndicats qui ont fait une différence dans la région ont pu :

  • Impliquer leurs membres.
  • Créer des alliances avec des forces extérieures au mouvement syndical, comme les mouvements étudiants, aux niveaux secondaire et universitaire, ou avec les comités de parents.

« Plus de progrès ont été réalisés là où il y avait des moyens d'élargir le mouvement en dehors des syndicats, comme des alliances avec des groupes de peuples autochtones », a-t-il déclaré. « La perspective régionale est plus un outil nécessaire pour mettre en œuvre cet échange d'expériences entre les fédérations nationales, pour apprendre des succès et des échecs. »

Coup de projecteur sur Freire

Une recommandation vitale des évaluateur·trice·s, a-t-il constaté, était qu'après 100 ans, Freire était placé sous le feu des projecteurs, mais sans influencer les propositions pédagogiques des organisations. Le rapport propose donc la mise en place d'une taskforce, un groupe de travail sur le mouvement pédagogique, qui pourra continuer à travailler sur des propositions.

Lärarförbundet est intéressé à poursuivre son soutien financier au MPL pour les quatre à cinq prochaines années au moins, car « il y a eu d'énormes revers politiquement dans la région au niveau gouvernemental ». Olsson a reconnu qu'il « comprend que le Comité régional de l'IELA réfléchira à ce rapport et à la manière d'être plus efficace dans la période à venir ».