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La force du public : les syndicats se renforcent en partageant leurs expériences de la campagne

Publié 19 août 2025 Mis à jour 19 août 2025

Mobiliser les forces enseignantes, mais aussi les communautés dans leur ensemble. Depuis deux ans et demi, la campagne mondiale « La force du public : ensemble on fait école ! » lancée par l'Internationale de l'Éducation (IE) est menée par plusieurs syndicats de l'éducation à travers le monde. Certains d’entre eux ont échangé des bonnes pratiques et témoigné d’actions syndicales réussies entreprises sur le terrain.

Cameroun : une campagne de conscientisation en trois phases

Thobie Mbassi, secrétaire national exécutif de la Fédération Camerounaise des Syndicats de l'Éducation (FECASE), explique : « Nous avons divisé notre campagne en trois parties. La première consistait à renforcer les capacités des syndicalistes, la deuxième à sensibiliser les acteurs de la communauté éducative, et la troisième à mener la campagne sur les réseaux sociaux. ». Cette approche méthodique a permis de toucher un large public, des parents d'élèves aux parlementaires, en passant par les organisations de la société civile. « Il fallait impliquer tout le monde pour qu'on comprenne que c'est un problème citoyen et que tout le monde est interpellé quand il s'agit de l'éducation. »

Roger Kaffo, secrétaire général adjoint de la Fédération des Syndicats de l'Enseignement et de la Recherche (FESER), souligne lui l'importance des médias : « Nous avons mis un accent spécial sur les médias. Toutes les formes de médias, parce que nous pensions effectivement que c'était le meilleur moyen d'atteindre un public suffisamment large. » Il ajoute : « En réalité, la campagne porte d'une part sur le financement de l'éducation, mais d'autre part, sur la transformation de l'éducation et les 59 recommandations qui sont particulièrement axées sur la situation des enseignants et enseignantes. »

Sénégal : une mobilisation sociale exemplaire

Abdourahmane Gueye, secrétaire général national de l'Union Démocratique des Enseignantes et des Enseignants du Sénégal (UDEN) et coordonnateur de l’Union Syndicale pour une Education de Qualité (USEQ), souligne l'importance de la mobilisation sociale : « Nous avons pensé que la question de l'éducation intéressait toute la communauté. Il fallait travailler pour que toute la communauté se l’approprie. » Cette stratégie a permis de créer une alliance nationale regroupant divers acteurs, des ONG aux fédérations de parents d'élèves, pour lutter contre la privatisation de l'éducation.

Les syndicats de l’Union Syndicale pour une Éducation de Qualité (USEQ), qui regroupe les organisations membres de l’Internationale de l’Éducation (IE) dans ce pays, ont notamment rencontré le bureau de l'association des maires, « parce qu’au Sénégal, il y a une politique de décentralisation de l'éducation, et aujourd'hui les maires jouent un rôle important. Il nous faut aller les rencontrer aussi pour leur faire part de nos préoccupations, de ce que nous avons fait comme recherche. »

Par ailleurs, le dirigeant de l’UDEN et de l’USEQ estime qu’« il nous faut aller vers un financement endogène » de l’éducation publique. Il ajoute qu’après l'analyse du budget, » nous avions constaté qu’effectivement des efforts ont été faits, parce que si l’on compare le financement national aux critères internationaux, le Sénégal dépasse de très loin les 6% du PIB consacrés à l’éducation. Nous en sommes à 7,23%. Et si vous prenez le pourcentage des dépenses publiques alloué à l’éducation, là où les critères internationaux nous demandent 20%, nous en sommes à 26%. Mais, malgré ces efforts, nous, la partie syndicale, avons constaté que les problèmes continuent à persister. Il y a plus d’un million d’enfants en âge d'aller à l'école qui ne le peuvent pas. Cela doit être une préoccupation pour nous. »

Ibrahima Gueye, secrétaire général national du Syndicat unitaire et démocratique des enseignants du Sénégal (SUDES), ajoute : "Du point de vue de l'explosion démographique, il est nécessaire et indispensable de recruter des enseignants et enseignantes supplémentaires. Tout cela a un coût. »

RDC : une expertise développée en matière budgétaire

En République Démocratique du Congo (RDC), Jacques Taty, coordinateur national chargé de recherche et développement à la Fédération nationale des enseignants du Congo (FENECO-UNTC), raconte : « Nous avons organisé un café syndical pour débattre entre les syndicats et appeler des experts pour parler des questions budgétaires ». Cette initiative a permis d’avoir des données et de sensibiliser les députés nationaux sur l'importance d'augmenter le budget de l'éducation. La rencontre avec les députés a fait tache d’huile : « C'est comme ça que nous, le groupe des syndicats de l'IE, avons été conviés à prendre part à la commission économique et financière du Parlement où on décide vraiment des questions de budget annuel de notre pays. Nous avons siégé là-bas pendant deux semaines pour discuter de ces questions et montrer que le projet qu'on a présenté en 2025, c'était un projet très minimal et qu’il fallait d'une manière ou d'une autre augmenter les indicateurs afin d'arriver à faire beaucoup plus. »

Comme les décisions sur les questions éducatives en RDC ne sont pas seulement prises au niveau national, mais aussi au niveau provincial, au niveau sous-provincial, « les trois syndicats ont pensé que c'était une activité qu'il fallait refondre aussi dans les cercles d'études ».

Valéry Nsumpi Kamunga, secrétaire général de la Centrale de l’Éducation Nationale et de la Recherche Scientifique (CSC-Enseignement), souligne : « La campagne est un instrument de syndicalisation. Certainement parce que, lorsque les enseignants et enseignantes constatent que le syndicat actif se démène pour trouver une solution à un problème, ils vont dire : ‘Écoutez, nous allons là où les gens et les syndicats sont debout et se démènent pour nous. Ils rencontrent les autorités, alors il faut être avec eux’. »

Haïti : la communication, outil essentiel du plaidoyer

Kensone Delice , de l'Union Nationale des Normaliens/Normaliennes et Éducateurs/Éducatrices d’Haïti (UNOEH), insiste sur l'importance de la communication : « Il faut sensibiliser l'opinion publique en général, car la bataille pour une éducation publique de qualité est une bataille de société ». En utilisant les réseaux sociaux et en organisant des rassemblements dans tout le pays, les syndicats haïtiens cherchent à mobiliser un front large pour faire pression sur le gouvernement. « Nous avons également utilisé les groupes WhatsApp. Nous sommes allés également physiquement dans les différentes écoles publiques du pays. »

Selon lui, « surtout ces dernières années, l'argument principal qui est toujours mis en avant par le gouvernement, c'est la question de la sécurité en Haïti. “Le premier ministre nous a dit que maintenant il faut mobiliser de l’argent pour lutter contre l'insécurité, mais pas pour l'éducation. Et de fait, le gouvernement avait approuvé un budget qu'il appelle budget de guerre. Dans ce budget-là, on y a mis beaucoup plus d'argent pour acheter des armes, mais on n'a pas prévu beaucoup d'argent pour attaquer les problèmes auxquels le système éducatif fait face. »

Hubermane Clermont, secrétaire général de la Fédération Nationale des Travailleurs en Éducation et en Culture (FENATEC), ajoute : "Cette campagne, elle revêt une importance capitale pour nous en ce sens puisque cela va nous permettre de renforcer les questions de droit à l'éducation des enfants ».

Il insiste aussi sur le fait que « cette campagne est un moyen pour nous de nous renforcer sur le plan syndical, en ce sens que ce sera une occasion où la société en général va se rendre compte que les organisations syndicales réclament des éléments vraiment qualitatifs en matière d'éducation. Ce ne sera pas l'occasion de voir des organisations syndicales qui réclament soit des ajustements de salaire pour les enseignants et enseignantes, soit d'autres avantages sociaux pour les enseignants et enseignantes. Ce sera l'occasion de réclamer vraiment des interventions qui vont au bénéfice de la société d'une manière générale, parce que toute amélioration de la condition enseignante aura un impact vraiment positif sur l'ensemble de la société. »

Une campagne mondiale, des actions locales

Rebeca Logan, Directrice Campagnes et Communication de l’IE, applaudit à cet échange d’expériences et résume l'esprit de la campagne : « La campagne est construite pour les syndicalistes et par les syndicalistes. C'est vous qui devez l'adapter à votre pays, à votre contexte. Et c'est vous, en tant qu’enseignants et enseignantes, qui avez les connaissances, l'expérience, la sagesse pour savoir ce dont les élèves ont besoin, ce dont les écoles ont besoin, ce dont le système éducatif a besoin. »

Elle ajoute : « Chaque fois que je m'exprime autour de la campagne, je parle toujours de l'objectif. La campagne vise à financer pleinement les systèmes d'enseignement publics. Financer pleinement ne signifie pas trois livres de plus dans la bibliothèque, ni quelques nouvelles salles de classe, ni une petite augmentation des salaires. Cela signifie que chaque élève dispose de tout ce dont il ou elle a besoin pour apprendre et grandir et que chaque enseignant et enseignante reçoit une bonne rémunération. »

Elle explique aussi que l’argent existe pour financer l’éducation, les multimillionnaires et milliardaires cachant leur argent à l’étranger. Elle insiste aussi sur le fait que « dans la campagne, on propose aussi de décoloniser le financement de l'éducation au niveau international ».

La campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » montre bien comment les syndicats de l'éducation adaptent les stratégies mondiales à leurs contextes locaux. La diversité des approches ne doit néanmoins pas cacher la détermination syndicale commune à améliorer le financement et la qualité de l'enseignement public.