L’éducation au climat pour un avenir durable : une étude transnationale de l’Inde et des Philippines
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Le changement climatique est la « plus grande menace moderne à laquelle l’être humain n’ait jamais été confronté » (Eckstein et al. 2021). Une variation en apparence mineure des températures mondiales, largement induite par les activités humaines et industrielles telles que la déforestation, la combustion de ressources fossiles et l’exploitation des ressources naturelles, entraîne des conditions météorologiques cataclysmiques, une perte de biodiversité, l’insécurité alimentaire et même des déplacements de population à grande échelle. Bien que les catastrophes climatiques soient visibles partout dans le monde, leurs impacts sont exacerbés dans les pays en développement et les pays pauvres (Taconet et. al., 2020). Voilà pourquoi le rôle de citoyennes et citoyens sensibilisé·es aux débats politiques du moment et déterminé·es à exiger de leurs gouvernements qu’ils fassent preuve de justice climatique, devient crucial.
Dans ce contexte, l’éducation au changement climatique (ECC) peut apparaître comme un moyen de rassembler et de mobiliser l’État et la société civile afin de créer un avenir durable pour toutes et tous (Internationale de l’Éducation, 2024). En démocratisant les connaissances, l’ECC peut contribuer de manière significative à anticiper les catastrophes et à remédier aux vulnérabilités, en veillant à ce que les communautés soient mieux préparées à prendre les décisions adaptatives qui s’imposent, à l’aide d’un programme scolaire bien conçu et d’une pédagogie et d’outils d’apprentissage appropriés (Pan et. al., 2023). En outre, l’éducation est à même de rassembler les syndicats nationaux, les personnels éducatifs, les décideuses et décideurs politiques, ainsi que les élèves afin de combler le fossé entre la science, la justice climatique et les politiques concernant le climat.
Les pays d’Asie du Sud et d’Asie du Sud-Est étant particulièrement vulnérables aux catastrophes climatiques en raison de leurs spécificités socio-économiques, politiques et géographiques, un projet de recherche transnational a été entrepris, centré sur l’Inde et les Philippines. Outre l’évaluation critique des politiques d’éducation climatique et des programmes scolaires nationaux intégrant l’ECC, l’étude comportait également un travail de recherche ethnographique qualitative dans des régions spécifiques des deux pays, visant à une meilleure compréhension des réalités sur le terrain et de la mise en œuvre effective dans les écoles.
Ancrer le discours sur l'éducation au changement climatique localement en Inde
Sachant que l’Inde est l’un des pays les plus vulnérables aux effets néfastes du changement climatique, et ce en raison de sa diversité géographique, de sa forte densité de population, de son urbanisation rapide et de sa forte dépendance à l’égard de l’énergie produite à partir du charbon, ses politiques en matière de changement climatique ont été élaborées, en grande partie, dans le but de concilier la croissance économique et le développement avec des trajectoires durables (Dubash & Joseph, 2015 ; Nair, 2015). La pertinence de l’éducation environnementale a été reconnue pour la première fois par la Commission Kothari (1964-66), puis mise en œuvre dans les politiques nationales d’éducation (1986, 1992). Celles-ci mettaient l’accent sur la sensibilisation des enfants à l’environnement. Le cadre national des programmes scolaires (National Curriculum Framework, NCF 2005) a inclus les études environnementales (Environmental Studies, EVS) en tant que matière à part entière, au niveau du primaire. La récente politique nationale de l’éducation (National Education Policy, NEP 2020) préconise un apprentissage environnemental holistique, participatif, pluridisciplinaire et multilingue ancré dans les contextes locaux, tout en reconnaissant le rôle transformateur des personnels enseignants dans la promotion d’une conscience citoyenne climatique. Le cadre NCF 2023 renforce cette vision davantage en établissant un lien entre l’éducation climatique et les valeurs, l’éthique et la durabilité et, surtout, en reconnaissant le rôle des savoirs traditionnels et autochtones dans la conservation de l’environnement.
Il convient toutefois de noter qu’en dépit de l’obligation par le Central Board of Secondary Education (CBSE) d’enseigner les études environnementales (EVS) aux niveaux primaire et secondaire (de la première à la douzième année de scolarité en Inde), l’éducation au changement climatique ne fait l’objet d’aucune attention particulière (TESF, Background Paper, 2021, p. 18). Par ailleurs, malgré l’accent mis sur les politiques et les tentatives récentes d’intégrer certains aspects du savoir autochtone dans le cadre du programme scolaire national, il subsiste un fossé persistant et une hiérarchie épistémique entre l’apprentissage formel et « scientifique » dispensé dans les écoles et les expériences quotidiennes des élèves, ne tenant souvent pas compte de leurs perspectives locales, tacites et autochtones, en particulier dans les zones rurales reculées. Ainsi, dans le village de Chunakhali, dans les Sundarbans, au Bengale occidental, un jeune élève de l’école publique locale a déclaré : « Les écoles n’enseignent qu’à partir de livres qui contiennent des chapitres sur le changement climatique, mais rien sur les Sundarbans [1]; les livres ne nous apprennent pas ce qui est nécessaire pour vivre et, surtout, comment survivre aux calamités qui nous frappent si souvent ». Le directeur d’une école publique locale de Wadsa, dans la région tribale de Gadchiroli, dans l’État de Maharashtra, a fait part d’une préoccupation similaire : « Comprendre la science du changement climatique est important, mais en quoi le changement climatique est-il lié aux réalités vécues et en quoi les façonne-t-il ? La culture autochtone est une chose que les élèves de cette région tribale recherchent. Sans cette dimension, l’éducation au climat restera pour eux une abstraction. »
Une approche intégrée de l'éducation au climat aux Philippines
Le second pays examiné dans le cadre de cette étude est situé aux confins de la ceinture de feu et de la ceinture de typhons dans l’océan Pacifique. Confrontées aux pressions supplémentaires du développement et du tourisme, les Philippines ont, ces dernières années, été particulièrement exposées aux catastrophes climatiques. C’est ce qui a incité le pays à institutionnaliser des politiques de lutte contre le changement climatique où l’accent est mis à la fois sur l’atténuation et l’adaptation. La loi de 2009 sur le changement climatique (Republic Act 9729) vise à aligner les efforts nationaux sur l’Agenda 21 des Nations Unies et a conduit à la création du plan d’action national sur le changement climatique (National Climate Change Action Plan, NCCAP). L’article 15 de la loi charge le ministère de l’Éducation (DepEd) non seulement d’incorporer les concepts et principes fondamentaux du changement climatique dans les programmes scolaires de l’enseignement primaire et secondaire, à travers l’intégration de l’ECC dans différentes matières scientifiques et sociales, mais aussi de veiller à l’inclusion de l’éducation au changement climatique dans les textes d’accompagnement, les abécédaires et le matériel didactique. Les initiatives du ministère de l’Éducation comprennent également le programme national d’écologisation (National Greening Programme), l’organisation YES-O (Youth for Environment in Schools), des manuels destinés à guider les personnels enseignants et le programme Gulayan Sa Paaralan (jardin potager à l’école) qui prône l’implication des élèves dans l’action climatique au-delà de la salle de classe. Le programme scolaire de l’éducation obligatoire (K-12 Curriculum), introduit en 2013, visait à intégrer l’ECC dans différentes matières, avec un cours spécialisé sur la réduction et la gestion des risques de catastrophes (Disaster Risk Reduction and Management, DRRM) inclus dans les matières scientifiques et technologiques (STEM) au niveau de l’école secondaire supérieure. En 2023, un nouveau programme scolaire MATATAG a été introduit pour combler les lacunes du précédent programme. Mettant l’accent sur l’apprentissage basé sur les compétences, le MATATAG cherche notamment à intégrer les systèmes de connaissances autochtones dans les textes scientifiques, en particulier dans les sujets liés à l’agriculture, à la conservation et aux pratiques environnementales traditionnelles.
Toutefois, vu l’absence d’un cours/sujet spécifique sur l’éducation au changement climatique à enseigner dès le niveau fondamental et étant donné que les composantes de l’ECC sont pour la plupart dispersées à travers diverses disciplines des matières scientifiques et sociales, la charge d’inculquer sa pertinence incombe inévitablement à la capacité des personnels enseignants à les incorporer efficacement dans leurs cours. Alors que les composantes de l’ECC sont incluses dans les programmes scolaires des matières scientifiques, elles sont moins présentes dans les disciplines des sciences humaines et sociales, ce qui doit être réexaminé. En outre, dans un pays exposé aux catastrophes comme les Philippines, il est d’autant plus important que l’ECC soit introduite dès les classes fondamentales, afin de favoriser une prise de conscience précoce chez les enfants.
Le fossé entre la vision et la pratique et comment le combler
Bien que les deux pays soient dotés de politiques nationales et de programmes scolaires solides ayant vocation à intégrer une sensibilisation et une éducation pertinente au changement climatique et à la conservation de l’environnement, il existe de nets écarts entre la vision et la pratique sur le terrain. Des missions intensives sur le terrain menées dans le cadre de cette recherche, dans les Sundarbans (Bengale occidental), à Gadchiroli (Maharashtra) et à Delhi en Inde, ainsi qu’à Manille et sur l’île de Boracay aux Philippines, ont en effet permis de mettre en évidence le fossé qui existe entre les dispositions politiques et la pratique relatives à l’ECC. Outre la faiblesse des mécanismes de coordination entre le gouvernement central, les gouvernements des États et les administrations locales pour ce qui a trait à la mise en œuvre de l’ECC dans les écoles, les difficultés sont encore plus grandes lorsque les partis politiques se querellent. Les deux pays n’ont pas encore alloué de budget spécifique à l’ECC et à moins que leurs gouvernements n’investissent dans ce domaine, l’élaboration de mécanismes visant à renforcer la résilience climatique par le biais de l’éducation ne progressera pas. En outre, il reste aux deux pays à adopter des approches et des pratiques décoloniales en matière d’ECC, lesquelles devraient idéalement intégrer une perspective de justice climatique.
Les syndicats enseignants ont un rôle essentiel à jouer et reconnaissent, tant en Inde qu’aux Philippines, que la crise climatique est « un enjeu urgent pour les droits des travailleuses et des travailleurs ». L’Alliance of Concerned Teachers (ACT) aux Philippines considère que la lutte pour la justice climatique fait partie intégrante de la lutte du syndicat pour les droits humains et la durabilité écologique.
Premièrement, pour une mise en œuvre effective d’une éducation climatique de qualité en Inde et aux Philippines, afin de combler ce fossé entre vision et pratique, il est urgent de fournir un soutien académique/professionnel aux personnels enseignants qui sont confrontés à la tâche concrète de transmettre des connaissances dans les salles de classe. À cet égard, les syndicats de l’éducation peuvent jouer un rôle important en créant un répertoire numérique en libre accès contenant des ressources fiables, pertinentes et innovantes ainsi que des boîtes à outils pédagogiques interdisciplinaires sur le changement climatique, en anglais ainsi que dans les langues régionales/locales. Les syndicats peuvent également organiser des ateliers en collaboration avec les écoles.
Deuxièmement, il est nécessaire de décentraliser le discours sur l’éducation climatique, de le rendre plus inclusif et d’intégrer des approches et des pratiques décoloniales dans les systèmes scolaires. Les syndicats enseignants peuvent jouer un rôle déterminant en accordant une place prépondérante aux savoirs autochtones dans le discours sur l’ECC, de manière à ce que ces perspectives/récits soient intégrés dans les débats et négociations au niveau régional, national et mondial.
Enfin, les problèmes de longue date dans le secteur de l’éducation, tels que la pénurie de personnel enseignant, la titularisation, l’amélioration des conditions de travail et les effectifs de classe surchargés, doivent être abordés parallèlement à la mise en œuvre de l’ECC. Sans réformes significatives des conditions de travail des enseignantes et des enseignants, toute politique qui prétend défendre une éducation climatique de qualité sera vide de sens. Les personnels enseignants se trouvent au cœur de l’ECC et les syndicats de l’éducation sont bien placés pour promouvoir l’ECC parallèlement à leurs revendications en faveur d’un financement accru de l’enseignement public.
Références :
Eckstein, D., Kunzel, V., & Schafer, L. (2021). INDICE MONDIAL DES RISQUES CLIMATIQUES 2021. Germanwatch. https://www.germanwatch.org/sites/default/files/Résumé%20de%20l%27indice%20mondiale%20des%20risques%20climatiques%202021_0.pdf
IE. (2024a). Forging the education–climate justice connection. Internationale de l’Éducation. https://www.ei-ie.org/fr/item/28260:forging-the-education-climate-justice-connection
Facer, K., Lotz-Sisitka, H., Ogbuigwe, A., Vogel, C., & Barrineau, S. (2020). Document d’information TESF : Climate Change and Education. Zenodo. https://www.researchgate.net/publication/393096753_Towards_Quality_Climate_Change_Education_for_All_A_Critical_Assessment_of_Climate_Education_Policies_in_India_and_the_Philippines
National Steering Committee for National Curriculum Frameworks. (2023). National Curriculum Framework for School Education 2023. https://www.education.gov.in/sites/upload_files/mhrd/files/infocus_slider/NCF-School-Education-Pre-Draft.pdf
NCERT. (2005). NATIONAL CURRICULUM FRAMEWORK 2005. https://ncert.nic.in/pdf/nc-framework/nf 2005-english.pdf
Pan, W., Fan, R., Pan, W., Ma, X., Hu, C., Fu, P., & Su, J. (2023). The role of climate literacy in individual response to climate change: evidence from China. Journal of Cleaner Production, 405, 136874. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2023.136874
Taconet, N., Méjean, A., & Guivarch, C. (2020). Influence of climate change impacts and mitigation costs on inequality between countries. Climatic Change, 160(1), 15–34. https://doi.org/10.1007/s10584-019-02637-w
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.