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Internationale de l'Education
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Espagne: un changement de cap s’impose

Publié 14 février 2013 Mis à jour 18 février 2013

Les dernières données officielles du chômage en Espagne dépeignent un tableau bien sombre du pays: six millions de personnes sont au chômage, dont deux millions ne bénéficiant d’aucune prestation; dans pratiquement deux millions de ménages, tous les membres de la famille sont sans emploi et 27 pour cent de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Alors que les scandales de corruption politique et économique se succèdent, éclaboussant prétendument les plus hauts responsables du gouvernement du Partido Popular, la nouvelle a eu l’effet d’une douche froide au sein d’une société de plus en plus indignée.

L’austérité ne fonctionne pas Selon les syndicats, ces chiffres illustrent l’échec des politiques d’austérité et des coupes mises en œuvre par les gouvernements successifs depuis mai 2010.

Il convient de souligner, parmi ces politiques, les deux réformes du travail approuvées à la hâte durant les deux dernières années, qui diminuent le coût des licenciements et sapent la négociation collective en vue de « freiner la destruction de l’emploi ».

Paradoxalement, le taux de chômage a augmenté de 13 pour cent, le licenciement pour des raisons objectives s’est accru de 49%, les plans de licenciement ont progressé de 66 pour cent et les salaires ont perdu en pouvoir d’achat, touchés par les gels et les coupes.

«Plusieurs millions sont perçues par des cadres supérieurs d’entreprises, de caisses d’épargne et de banques, dont un grand nombre sont responsables de la situation à laquelle nous sommes confrontés", ont déclaré des représentants du Cumbre Social, plateforme qui regroupe des syndicats et des organisations de la société civile.

"Au meme temps, les salaires et les pensions diminuent et de nombreuses familles n’arrivent pas à joindre les deux bouts à la fin du mois et sont expulsées de leur domicile. Cette situation risque de menacer sérieusement la coexistence démocratique."

Cumbre Social a donc lancé un appel à la participation aux mobilisations qui auront lieu au cours des prochaines semaines sur l’ensemble du territoire espagnol. En outre, les syndicats de l’enseignement ont convoqué deux journées de grève, les 13 et 20 mars prochain.

Un modèle éducatif d’exclusion Le tableau n’est pas non plus réjouissant dans le domaine de l’éducation.

L’actuel Ministre de l’Education, José Ignacio Wert, est l’architecte du projet de loi organique pour l’amélioration de la qualité de l’éducation (sigle espagnol: LOMCE), une réforme controversée qui met la communauté éducative sur le pied de guerre depuis le début de l’année scolaire.

Les syndicats de l’enseignement dénoncent la promotion, dans le cadre de cette réforme, d’un modèle éducatif ségrégationniste et élitiste.

L’une des mesures de la réforme est la réintroduction des anciennes épreuves dites de « reválidas », dénommées aujourd’hui évaluations externes, à la fin de chaque cycle d’études. Les syndicats estiment que cette mesure va à l’encontre du principe d’évaluation continue.

Ils préviennent, en outre, qu’elle entraînera un accroissement du taux d’abandon scolaire prématuré - atteignant déjà 26 pour cent, soit pratiquement le double de la moyenne européenne - dans la mesure où, lorsqu’un(e) élève ne réussit pas, il/elle ne pourra accéder au cycle d’études suivant.

Une autre mesure concerne la diminution des matières optionnelles et l’élimination de programmes entiers, notamment le baccalauréat des arts, entraînant un accroissement du nombre d’heures de cours consacrées à l’enseignement des mathématiques, des sciences et de la compréhension à la lecture – une décision que le gouvernement justifie par le fait que ce sont les seules disciplines évaluées par les rapports PISA.

Cette réforme entraînera la suppression de pratiquement 5.000 postes de professeurs de baccalauréat, qui prendra effet durant la troisième année d’application de la norme.

Elle impose, en outre, la séparation des élèves selon des « itinéraires éducatifs » dès l’âge de 12 ans. Des études récentes de l’OCDE concluent que ces mesures accentuent les inégalités, contribuant à une ségrégation anticipée des élèves en fonction de leur contexte socioéconomique et provoquant, dans le même temps, un abandon scolaire prématuré.

Ces études recommandent une éducation globale et égalitaire du moins jusqu’à l’âge de 14 ans, à l’instar de pays comme la Finlande ou la Suède.

Réformes de gestion Parallèlement, la LOMCE prône une « autonomie » accrue des établissements scolaires favorisant une plus grande « spécialisation ». Une mesure dangereuse qui, selon les syndicats, ouvre la porte à une privatisation déguisée.

La dénommée « spécialisation des programmes d’études » déboucherait sur la sélection des élèves et la marginalisation de ceux et celles ayant des difficultés d’apprentissage découlant de contextes socioéconomiques défavorisés.

« Le projet de loi ne prévoit aucune mesure spécifique portant une attention à la diversité et à la réduction de ces difficultés », a déclaré le Secrétaire général de la FECCOO, Francisco García Suárez. « Il promeut, par contre, la séparation des élèves non seulement en fonction de leur niveau d’études mais, essentiellement, de leur origine socioéconomique ».

Dans ce sens, le Secrétaire général de la FETE-UGT, Carlos López, a souligné que la LOMCE flexibilisera les règlements de scolarisation et les soumettra « à l’offre et à la demande des familles, en oubliant la planification de la scolarisation ».

Il affirme, en outre, qu’elle « enlève des responsabilités aux conseils scolaires, limite la participation des parents et renforce, par contre, le rôle du directeur, qui devient en quelque sorte un chef du personnel investi de l’autorité de choisir les professeurs ».

L’enseignement supérieur, un privilège d’une minorité En ce qui concerne l’enseignement supérieur, l’examen d’entrée sera supprimé et chaque université sera autorisée à introduire ses propres examens d’admission, créant ainsi des universités de différentes catégories.

En outre, la tendance est à l’augmentation des frais d’inscription à l’université, à l’instar d’autres pays comme l’Angleterre ou les Etats-Unis. Dans certaines régions espagnoles, les frais ont grimpé en flèche: on enregistre notamment une hausse de 67 pour cent en Catalogne et de 50 pour cent à Madrid en 2011-2012.

Dans ce contexte, le syndicat d’étudiants a convoqué des mobilisations au cours des derniers mois, qui ont conduit à trois jours consécutifs de grève la semaine dernière.

Les étudiant(e)s exigent non seulement du ministère de l’Education qu’il fasse marche arrière sur les coupes – ayant entraîné une perte dans les budgets scolaires de plus de 6,3 milliards d’euros depuis 2010 – et qu’il retire la LOMCE, mais réclament également la démission du Ministre Wert.

Quelque 750 comités de grève et 500 piquets avaient pour but d’informer sur les motifs de la grève, la semaine dernière, dans les instituts et les centres de santé notamment. Des manifestations ont, en outre, été convoquées dans une trentaine de villes espagnoles.

Des parents et des enseignant(e)s se sont également joints aux mobilisations, convoqués par la Plataforma Estatal en Defensa de la Escuela Pública, composée de la confédération d’associations de parents d’élèves CEAPA et des syndicats affiliés à l’IE (FECCOO, FETE-UGT, STES).

Solidarité de l’IE L’IE exprime sa solidarité envers la communauté éducative espagnole dans sa défense de l’enseignement public. Elle considère que la réforme de la LOMCE s’inscrit dans le cadre du mouvement de réformes éducatives globales visant à restructurer des systèmes éducatifs dans le monde entier.

Ces réformes, promues par des organismes internationaux tels que la Banque mondiale, transforment le rôle du secteur public dans l’éducation moyennant l’introduction de mécanismes de marché libre, ainsi que de normes, de valeurs et de techniques de la culture de gestion du système d’entreprise.

Elles visent à augmenter le niveau de qualité de l’enseignement sans investir davantage de ressources dans les systèmes éducatifs et appliquent des théories économiques néoclassiques alors que les théories pédagogiques modernes s’avèrent nécessaires.

Dans son document politique sur l’éducation, l’IE remet en question « la conception étroite et utilitariste de l'éducation, qui ne servirait qu'à instruire des étudiants pour qu'ils deviennent des employés qualifiés ».

L’IE soutient, en revanche, « un point de vue sur l'éducation, qui s'appuie sur les valeurs de la société au niveau local et mondial, et qui répond aux besoins culturels, démocratiques, sociaux, économiques et environnementaux ».

Dans ce sens, le rôle de l’enseignement public, comme droit fondamental des personnes, « est plus large que le rôle mécanique et utilitariste que de nombreux partisans des forces de marché et des modèles ‘client-fournisseur’ lui reconnaissent ».