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Mondes de l'éducation

Le système juridictionnel des investissements dans le cadre de CETA (AECG en français): une Cour suprême pour protéger les avoirs des investisseurs étrangers

Publié 5 juin 2017 Mis à jour 20 juillet 2017
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Imaginons que les gouvernements proposent la création d'une Cour suprême pour le monde. Ce tribunal détiendrait le pouvoir de contrôler tous les agissements des Etats dans le cadre de leur souveraineté. Il pourrait réviser leurs lois et leurs réglementations à tous les niveaux. Il serait également en droit de réexaminer les jugements prononcés par leurs plus hauts tribunaux.

Si ce tribunal juge les décisions d'un pays illégitimes ou injustes, il pourrait faire attribuer autant d'argent public qu'il estime nécessaire - plusieurs milliards de dollars - pour indemniser les personnes lésées. Le champ d'application de cette indemnisation serait bien plus large que celui de n'importe quel autre jugement rendu par une cour ou un tribunal à charge d'un pays.

Ce tribunal ne serait que rarement, voire jamais, soumis au contrôle d'un autre tribunal, tandis que les parties plaignantes ne seraient pas tenues de s'adresser en premier lieu à leurs tribunaux nationaux avant de recourir au tribunal en question, quelle que soit leur capacité à rendre la justice.

Fait notable, ce tribunal n'aurait même pas de juges. En d'autres termes, il serait dépourvu de toutes les balises habituelles qui permettent de garantir, par exemple, l'indépendance et l'équité inhérentes aux statuts des juges, que nous pouvons observer dans nos propres tribunaux. Au contraire, ce tribunal serait composé de juristes qui, pour ne citer qu'une problématique, seraient rémunérés au dossier et auraient donc tout intérêt à porter davantage de plaintes contre les pays devant ce tribunal.

Plus important encore, il aurait pour objectif de protéger les avoirs des investisseurs étrangers. Par « investisseurs étrangers », j'entends principalement les grandes entreprises et les plus nantis de ce monde. En somme, ce tribunal conférerait aux multinationales et aux riches des droits extraordinaires, sans y associer aucune responsabilité.

Je soupçonne qu'une telle proposition ne fera pas l'unanimité et que la plupart des gouvernements seront d'accord avec mon analyse.

Et pourtant le gouvernement canadien et l'Union européenne continuent à défendre cette idée, à l'instar de nombreux autres gouvernements. En réalité, un tribunal de cette nature existe déjà, sous des dénominations techniques telles que « Procédures d'arbitrage pour les traités d'investissement » et « Règlement des différends entre investisseurs et Etats ».

Le fonctionnement détaillé de ces mécanismes de protection des investisseurs étrangers est décrit dans des centaines de « traités bilatéraux d'investissement » peu connus, ainsi que dans les nouveaux accords de commerce de large portée, tels que l'Accord économique et commercial global entre l'UE et le Canada ( CETA en anglais).

Il est vrai que, depuis les années 1990, ces mécanismes ont été le plus souvent utilisés pour discipliner les pays en développement ou émergents, et non pas les économies développées. Les gouvernements cherchent à changer cette situation. Ce faisant, ils les rendraient exécutoires pour tout un chacun, au même titre qu'une Cour suprême qui régirait le monde.

S'agissant de l'AECG, le Canada et la Commission européenne appellent désormais ce tribunal « système juridictionnel des investissements », qualifiant l'accord de « progressif ». Le moins que l'on puisse dire est que les deux appellations sont trompeuses.

En réalité, le mécanisme de protection des investisseurs étrangers prévu par l'AECG et le système juridictionnel des investissements démontrent parfaitement que les lois régissant l'économie mondiale sont sans cesse réécrites en vue de satisfaire les plus riches et les acteurs économiques les moins vulnérables, au détriment du citoyen lambda.

Par « citoyen lambda », j'entends les centaines de millions de Canadien(ne)s et d'Européen(ne)s qui, je suppose, n'ont ni le temps ni l'envie d'éplucher l'ensemble du jargon juridique de l'AECG. Dès lors, il leur faudra probablement décider de faire confiance aux personnes qui, comme moi, déclarent que le système juridictionnel des investissements dans le cadre de l'AECG doit être rejeté car il ne répond pas à quatre critères fondamentaux.

Primo, il ne reflète guère une utilisation raisonnable des deniers publics. Secundo, il entretient un déséquilibre entre les droits et les responsabilités. Tertio, il ne garantit aucune résolution des différends qui puisse être juste et indépendante. Enfin, il ne respecte pas suffisamment les institutions nationales, notamment les tribunaux.

Pour chacune de ces raisons, l'AECG doit être rejeté. Et s'il doit être adopté, il faudra en exclure le système juridictionnel des investissements.

Quel que soit son nom, nous n'avons guère besoin d'une nouvelle Cour suprême pour protéger les intérêts des multinationales et d'une poignée d'individus richissimes, au détriment du reste du monde. Ils se portent déjà suffisamment bien.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.