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Mondes de l'éducation

Marcha del Orgullo, 2021, Argentina (Photo: CTERA)
Marcha del Orgullo, 2021, Argentina (Photo: CTERA)

Vers des établissements éducatifs inclusifs et respectueux des personnes LGBTI en Amérique latine

Publié 31 mai 2022 Mis à jour 3 avril 2023
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Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) appartenant aux communautés éducatives d’Amérique latine sont confrontées au quotidien à des situations dans lesquelles elles sont amenées à choisir entre divulguer ou non les informations concernant leur orientation sexuelle ou leur identité de genre dans les écoles où elles travaillent, étudient ou envoient leurs enfants. Les établissements scolaires et les universités d’Amérique latine peuvent-ils être transformés en espaces sûrs, respectueux et inclusifs pour les personnes LGBTI ?

Le Bureau régional de l’Internationale de l’Éducation pour l’Amérique latine (IEAL) a décidé, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, d’élaborer un document intitulé « Respeto a la identidad de género de las personas y la diversidad sexual en las organizaciones sindicales de la educación de América Latina » (Respect de l’identité de genre et de la diversité sexuelle dans les syndicats de l’éducation en Amérique latine). Ce document a été élaboré dans une perspective de droits humains, avec pour objectif de fournir aux organisations syndicales de l’éducation un outil pour promouvoir le respect de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle des personnes appartenant aux communautés éducatives de la région.

Bien que ce document n’ait pas de visée éducative à proprement parler, l’inclusion d’un glossaire de termes liés à la diversité LGBTI permet à quiconque de se familiariser avec les définitions des concepts de base sur cette thématique. Il comprend également des recommandations à l’intention des syndicats de l’éducation, pour permettre à ceux-ci de contribuer à la création d’espaces sûrs et respectueux pour les personnes LGBTI au sein des syndicats et des centres éducatifs.

Lutter contre la discrimination à l’égard des personnes LGBTI en Amérique latine

L’idée de produire cette publication part de la nécessité de répondre à la réalité de la région, qui est marquée par l’inégalité sur de nombreux plans. Le Rapport régional sur le développement humain 2021 du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a confirmé que l’Amérique latine continue de détenir le triste titre de deuxième région la plus inégalitaire de la planète [1]. Ces inégalités se reproduisent en termes d’accès aux droits pour la population LGBTI. Ainsi, certains pays se trouvent à la pointe en matière de reconnaissance des droits, tandis que d’autres voient les personnes LGBTI contraintes d’émigrer pour échapper à la violence et à la discrimination.

Ces inégalités se reproduisent également au sein des pays, avec des différences notables entre les grandes villes et les zones plus rurales ou périphériques, où les progrès en matière de reconnaissance des droits des personnes aux identités de genre diverses sont limités, voire inexistants. En outre, les situations d’exclusion à l’égard des personnes LGBTI sont exacerbées si l’on y ajoute certaines variables telles que le statut socio-économique, la couleur de peau, l’ethnie, le statut migratoire ou le genre.

L’arrivée au pouvoir de dirigeants politiques de droite et d’extrême droite, proches des groupes conservateurs et fondamentalistes religieux, tels que Jair Bolsonaro au Brésil, Ivan Duque en Colombie ou Alejandro Giammattei au Guatemala, place la population LGBTI de ces pays dans une situation de vulnérabilité. Si le président brésilien tient systématiquement des propos désobligeants à l’égard des personnes LGBTI [2], faut-il s’étonner qu’un adolescent gay de Manaus soit harcelé par ses camarades de classe ? Une enseignante lesbienne travaillant à Cuiabá peut-elle se sentir en sécurité à l’heure de divulguer des informations sur sa vie privée ?

Le rôle des syndicats de l’éducation

Face à de tels cas complexes de discrimination et de violence latente, il est nécessaire de sensibiliser et d’éduquer la population en général, et en particulier les enseignant·e·s. Le manque de volonté ou l’incapacité des pouvoirs publics à agir pour garantir des établissements scolaires inclusifs et l’égalité d’accès aux droits humains pour les personnes LGBTI place les syndicats de l’éducation face à un dilemme, les amenant à soit prendre position et agir en conséquence, soit détourner le regard et ignorer le problème.

« La force collective des syndicats de l’éducation est à même d’engendrer des changements, même lorsque les autorités de l’État ne remplissent pas leur mission. »

Si les syndicats de l’éducation en Amérique latine s’engagent à inclure les revendications des personnes LGBTI dans leurs agendas et à sensibiliser leurs membres aux droits humains, ils peuvent contribuer à la construction d’écoles et de communautés éducatives inclusives, où les personnes LGBTI se sentent en sécurité, aimées et respectées. La force collective des syndicats de l’éducation est à même d’engendrer des changements, même lorsque les autorités de l’État ne remplissent pas leur mission.

L’action de la Confederação Nacional dos Trabalhadores em Educação (Confédération nationale des travailleur·euse·s de l’éducation ; CNTE) du Brésil, qui soutient les revendications des communautés LGBTI, est un bon exemple du rôle de plaidoyer que les organisations syndicales peuvent jouer pour garantir une éducation sexuelle complète et, par là même, contribuer à la création d’espaces sûrs pour les personnes LGBTI en milieu scolaire.

En pleine vague conservatrice, qui a porté au Palais de l’Alvorada [3] un candidat condamné à payer des amendes pour ses déclarations homophobes [4], les pouvoirs locaux ont promu des mesures visant à omettre les références à la diversité de genre et à l’orientation sexuelle dans les programmes éducatifs, cherchant ainsi à imposer une censure de fait autour de ces questions. La CNTE s’est jointe à d’autres organisations et collectifs LGBTI pour déposer des requêtes auprès du Tribunal suprême fédéral (STF), pour ce qu’elles considèrent comme une violation des droits fondamentaux des communautés éducatives. Le STF a unanimement conclu à l’inconstitutionnalité de ces lois municipales et a réaffirmé que l’inclusion de l’éducation sexuelle et des questions de genre dans les programmes scolaires est un devoir relevant des autorités éducatives, des écoles et des enseignant.e.s [5].

Le cas du Brésil n’est pas unique. L’influence des églises néo-pentecôtistes et des secteurs les plus conservateurs de l’Église catholique a favorisé l’émergence de groupes opposés à l’inclusion d’une éducation sexuelle complète, scientifique et laïque dans les programmes d’enseignement, ainsi qu’à toute avancée en matière de droits humains pour les personnes LGBTI. Ces mouvements sont présents dans tous les pays de la région, et ont réussi, dans certains d’entre eux, à imposer leurs positions anti-droits.

Au Paraguay, le président Mario Abdo Benitez a, au début de son mandat, nommé le célèbre leader évangélique Eduardo Petta à la tête du ministère de l’Éducation et des Sciences. En novembre 2018, quelques mois après son entrée en fonction, Petta a reçu une délégation de manifestants opposés à « l’idéologie du genre », en présence de laquelle il a réaffirmé ses positions conservatrices et, partant, son opposition à une éducation sexuelle complète fondée sur une approche de droits humains [5].

« Mes enfants, c’est moi qui les éduque », ou « Touche pas à mes enfants », sont des exemples de slogans qui ont été utilisés par ces groupes anti-droits dans d’autres pays d’Amérique latine. Outre l’opposition au mariage entre personnes du même sexe ou à la reconnaissance de l’identité de genre des personnes transgenres, leur objectif est d’éliminer des programmes d’enseignement toute référence aux questions LGBTI ou toute approche qui tienne compte de la dimension de genre et des droits humains. Ces propositions sont, à maints égards, similaires à la loi qui en Floride, aux États-Unis, a été surnommée la loi « Don’t say gay » (« Ne dites pas gay »).

Si les syndicats de l’éducation et les enseignant.e.s décident d’agir face à cette situation, une première étape dans la tâche de construction d’écoles inclusives et respectueuses envers la population LGBTI consistera à dénoncer ce discours discriminatoire et anti-droit : affirmer clairement qu’il n’y a pas de place dans la lutte syndicale ou dans l’enseignement pour les manifestations de violence ou de discrimination fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Deuxièmement, ils peuvent exiger que les instances gouvernementales prennent les mesures nécessaires pour garantir le droit à l’éducation publique inclusive pour toutes les personnes, sans discrimination quelle qu’elle soit. Les communautés LGBTI sont également reconnaissantes du soutien et de la solidarité dont elles bénéficient dans le cadre de leurs luttes pour l’accès aux droits humains et la non-discrimination.

La Confederación de Trabajadores de la Educación de la República Argentina (Confédération des travailleurs de l’éducation de la République argentine ; CTERA) et ses organisations de base se sont également distinguées par leur soutien de longue date aux luttes des communautés LGBTI. Les affiliés et la direction de la CTERA ont célébré des avancées telles que le mariage égalitaire, la reconnaissance de l’identité de genre et les quotas d’emploi pour les personnes transgenres. Ils ont également soutenu la lutte pour l’approbation et la mise en œuvre d’une éducation sexuelle complète et, plus récemment, ont défilé dans les rues de Buenos Aires, aux côtés des autorités gouvernementales, à l’occasion de la commémoration du 30e anniversaire de la Marche des fiertés ( Marcha de Orgullo).

Les étudiant·e·s LGBTI d’Amérique latine ont besoin d’établissements d’enseignement primaire, secondaire et supérieur sûrs qui nous permettent de poursuivre notre éducation et de développer tout notre potentiel, sans contraintes motivées par la haine et l’exclusion. Les personnes LGBTI au sein du corps enseignant et des personnels de soutien à l’éducation méritent également des espaces de travail sûrs où elles puissent exercer leurs fonctions sans crainte ni inquiétude de dévoiler des aspects fondamentaux de leur personnalité, tels que leur identité ou leur famille.

Ce document intitulé « Respeto a la identidad de género de las personas y la diversidad sexual en las organizaciones sindicales de la educación de América Latina » (« Respect de l’identité de genre et de la diversité sexuelle dans les syndicats de l’éducation d’Amérique latine ») vous offre un bref aperçu des luttes menées par la population LGBTI pour la reconnaissance de ses droits dans la région. Vous pourrez également y consulter les résolutions adoptées par le Congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation concernant les droits des personnes LGBTI.

Il reste encore énormément de travail à faire en Amérique latine pour créer des établissements d’enseignement inclusifs et respectueux des personnes LGBTI. La somme des volontés individuelles et collectives est la clé du progrès en ce sens.

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Note: Cet article est la deuxième contribution à une série de blogs lancée à l'occasion de la Journée internationale contre l'homophobie, la biphobie et la transphobie, le 17 mai.

Le premier de la série est disponible ici: De la responsabilité des enseignant·e·s vis-à-vis des étudiant·e·s LGBTQI

Vous pouvez également consulter la Déclaration de l’Internationale de l’Éducation à l'occasion de la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie : Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie : des écoles sûres et inclusives pour les élèves et les enseignant·e·s dans toute leur diversité

1. ^

Programme des Nations Unies pour le développement (2021). Rapport régional sur le développement humain 2021. https://www.latinamerica.undp.org/content/rblac/es/home/library/regional-human-development-report-2021.html.

2. ^

Galarraga, Naiara. (23 juin 2019). Una marea contra la homofobia en Brasil. El País. https://elpais.com/sociedad/2019/06/23/actualidad/1561312625_853317.html

3. ^

Résidence présidentielle de la République fédérative du Brésil.

4. ^

Folha de S. Paulo. (9 novembre 2017). Bolsonaro é condenado a pagar R$ 150 mil por declarações contra gays. https://www1.folha.uol.com.br/poder/2017/11/1934062-bolsonaro-e-condenado-a-pagar-r-150-mil-por-declaracoes-contra-gays.shtml.

5. ^

Confederação Nacional dos Trabalhadores em Educação. (1 juin 2020). Em nova decisão, STF afirma que é dever do Estado abordar gênero e sexualidade na escola. https://www.cnte.org.br/index.php/menu/comunicacao/posts/noticias/73170-em-nova-decisao-stf-afirma-que-e-dever-do-estado-abordar-genero-e-sexualidade-na-escola.

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