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Promouvoir le pouvoir collectif pour défendre la liberté académique

Publié 16 octobre 2025 Mis à jour 21 octobre 2025

La liberté académique fait l’objet d’attaques systématiques partout dans le monde. Des arrestations et emprisonnements dans les États autoritaires aux chasses aux sorcières ou à la censure des programmes d’enseignement dans les démocraties, le droit fondamental à la libre poursuite du savoir est menacé dans tous les contextes.

C’est sur cette toile de fond que des syndicalistes de l’éducation, des universitaires et des expert·e·s se sont réuni·e·s à Londres le 15 octobre, à l’occasion d’une conférence internationale sur la liberté académique, organisée conjointement par l’Internationale de l’Éducation (IE) et son organisation membre britannique, l’University and College Union (UCU). L’événement, qui a rassemblé des syndicalistes et des chercheuses et chercheurs du monde entier, notamment des Philippines, du Kenya, de Turquie, de Norvège et des États-Unis, avait pour objectif de s’attaquer aux problèmes urgents et de renforcer les stratégies collectives visant à protéger la liberté académique à l’échelle mondiale.

L’enjeu : défendre la vérité et la démocratie

Dans son discours d’ouverture, la secrétaire générale adjointe de l’IE, Haldis Holst, a souligné l’ampleur des menaces qui pèsent sur les 33 millions de professionnel·le·s de l’éducation dans le monde. Elle a notamment expliqué que l’ingérence politique réduit au silence les voix critiques, que la marchandisation subordonne la recherche au profit, que les systèmes de titularisation s’érodent, que la gouvernance partagée est sapée et que les coupes budgétaires délibérées visent à affaiblir l’indépendance des institutions.

« Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la liberté académique individuelle, mais la capacité même de l’enseignement supérieur et de la recherche à servir de moteur de changement positif au sein de la société », a déclaré Mme Holst. « Nous défendons la recherche de la vérité et les idéaux sur lesquels reposent les sociétés démocratiques. »

Les domaines de recherche académique qui s’attaquent aux grands enjeux sociétaux, notamment les sciences humaines, les sciences sociales, les études de genre, la science du climat et les études postcoloniales, font l’objet d’un ciblage disproportionné, a-t-elle fait remarquer. La recherche est systématiquement réorientée de l’exploration axée sur l’investigation vers l’innovation au service d’intérêts économiques étroitement définis, a expliqué Mme Holst. De plus en plus, les organisations conservatrices et religieuses surveillent, disciplinent et écartent les chercheuses et chercheurs dont les travaux remettent en cause les récits dominants.

Mme Holst a poursuivi en décrivant la manière dont ces attaques varient en fonction du contexte. Dans les régimes autoritaires, les universitaires font face aux arrestations et aux emprisonnements. Dans les démocraties, ce sont des chasses aux sorcières et des campagnes de diffamation qui les visent. Par ailleurs, la précarité de leurs contrats rend ces professionnel·le·s trop vulnérables pour défier le pouvoir. Les conséquences sont dévastatrices, allant du harcèlement au licenciement et à la perte de toute carrière universitaire.

Possibilités d’action collective

Malgré ces défis, Mme Holst a souligné qu’il existait des possibilités réelles de renforcer les protections. Elle a signalé, notamment, l’adoption par la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à l’éducation des Principes de mise en œuvre du droit à la liberté académique, que l’IE a contribué à élaborer en collaboration avec des expert·e·s de l’ONU, des universitaires et des parties prenantes de la société civile.

La secrétaire générale adjointe de l’IE a aussi expliqué que plusieurs des recommandations du groupe de haut niveau des Nations Unies sur la profession enseignante reconnaissent et réaffirment l’importance de la liberté académique, offrant ainsi une excellente occasion de tenir les gouvernements et les employeurs responsables de la défense de cette liberté. En outre, le récent Consensus de Santiago, adopté à l’occasion du Sommet mondial sur les enseignant·e·s, a appelé à l’adoption et à la mise en œuvre de ces recommandations.

Mme Holst a souligné qu’il restait une étape importante à franchir, à savoir la modification et la mise à jour prévues de la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement superieur (1997). Cette négociation représente un moment charnière pour les syndicats de l’éducation, afin de garantir un langage plus fort et plus clair affirmant que la liberté académique constitue un droit professionnel fondamental pour chaque universitaire. L’IE mène les préparatifs dans le cadre de ce processus, ayant mis en place un groupe de travail de haut niveau et commandé une étude dirigée par le Professeur Howard Stevenson de l’Université de Nottingham. L’étude intitulée « Au coeur de la tourmente : l’enseignement supérieur dans un monde en crise », analyse les principales tendances du secteur et les perspectives syndicales sur la pertinence et l’utilisation de la Recommandation.

Pour conclure, Mme Holst a rappelé que la campagne phare de l’IE « La Force du public : Ensemble on fait école ! » constitue une plate-forme solide pour mener à bien ces objectifs.

L’enseignement supérieur britannique en crise

Jo Grady, secrétaire générale de l’University and College Union (UCU) a replacé ces tendances mondiales dans le contexte de la dure réalité à laquelle se trouve confronté l’enseignement supérieur au Royaume-Uni : 5.000 licenciements, 4.000 cours supprimés, enquêtes et poursuites contre des universitaires pour avoir exprimé leur solidarité avec Gaza ou pour avoir dispensé des cours sur ce sujet.

« La liberté d’enseigner, de mener des recherches et de dire la vérité au pouvoir est au cœur de la démocratie », a déclaré Mme Grady. « Le managérialisme, la marchandisation, la précarisation – loin de constituer des enjeux distincts, participent d’une offensive concertée contre la liberté académique. »

Menaces mondiales, conséquences locales

Dans son discours d’ouverture, Robert Quinn, directeur exécutif du réseau international Scholars at Risk, a souligné les principales menaces qui pèsent sur la liberté académique dans le monde, notamment : restrictions légales sur l’enseignement de matières touchant à la race, au genre et au colonialisme ; ingérences gouvernementales dans la gouvernance des universités ; affaiblissement des protections liées à la titularisation ; et harcèlement des universitaires travaillant sur des questions politiquement sensibles. Il a souligné le rôle essentiel des syndicats et la nécessité pour le secteur de sensibiliser à l’importance de la liberté académique et à son lien étroit avec la défense de la démocratie.

Selon M. Quinn, le « moment de crise » que traverse le secteur offre une occasion de mobiliser le soutien du public et d’élargir les réseaux et les alliances.

Tout au long de la conférence, les syndicalistes ont partagé des témoignages de première main sur la répression croissante et les réponses apportées par les syndicats :

Todd Wolfson, président de l’American Association of University Professors et vice-président de l’American Federation of Teachers, a décrit la manière dont l’administration Trump exploite les coupes budgétaires et l’ingérence politique pour contrôler la production de connaissances. L’AFT, qui représente 1,8 million de membres, se mobilise par le biais de procédures judiciaires, de campagnes contre l’offensive ourdie dans le cadre du Projet 2025 à l’encontre de l’enseignement supérieur public et de la défense des universitaires visés pour leurs recherches. Le syndicat a lancé une pétition appelant le Congrès à protéger l’enseignement supérieur contre l’ingérence politique, à rétablir le financement fédéral de la recherche et à préserver les programmes d’aide aux étudiant·e·s. « La liberté académique ne concerne pas seulement les droits individuels des professeur·e·s, elle concerne le droit des sociétés à accéder à des connaissances et à des recherches indépendantes », a déclaré M. Wolfson.

Carl Marc Ramota, de l’Alliance of Concerned Teachers aux Philippines, a détaillé les tentatives visant à criminaliser les membres du corps professoral et à saper l’autonomie institutionnelle sous la pression autoritaire. Il a souligné l’efficacité de la création de comités chargés de promouvoir la liberté académique et les droits humains sur les campus.

Pour sa part, Evrim Gülez, du syndicat Eğitim-Sen en Turquie, a attiré l’attention sur la répression exercée par l’État, qui muselle les universitaires critiques et persécute politiquement les enseignant·e·s. Dans ce contexte, le syndicat apporte un soutien juridique et matériel aux universitaires ciblé·e·s et a mis sur pied un fonds de solidarité pour les cas de licenciement.

Marchandisation et managérialisme

La session de l’après-midi a examiné comment la marchandisation et le managérialisme, à travers leurs modèles de financement, la précarisation et les systèmes de gestion des performances, érodent la liberté académique. Jorunn Dahl Norgård, de la Norwegian Association of Researchers, a évoqué les efforts déployés par les syndicats nordiques pour documenter l’état de la liberté académique dans leurs pays et les actions menées pour renforcer les protections, que ce soit par le biais de la législation, comme en Islande, ou de dispositions constitutionnelles, comme en Suède et en Norvège.

De son côté, Grace Nyongesa, présidente nationale du Kenya Universities’ Academic Staff Union, a attiré l’attention sur certains développements comme le recours croissant aux professeur·e·s à temps partiel et les tentatives de privatisation du système d’enseignement supérieur, tentatives auxquelles le syndicat a réussi à résister en se ralliant à la campagne « La force du public : Ensemble on fait école ! ». Les professeurs Terrence Karran et Chavan Kissoon, de l’université de Lincoln, ont présenté les résultats d’une étude commandée par l’UCU sur l’impact de la surveillance numérique accrue des résultats scolaires au Royaume-Uni.

Le rôle des syndicats de l’éducation

Un thème central tout au long de la conférence a été le rôle primordial des syndicats de l’éducation dans la défense de la liberté académique en tant que droit professionnel fondamental. Lorsque 33 millions de professionnel·le·s de l’éducation dans 180 pays s’organisent collectivement par l’intermédiaire de l’Internationale de l’Éducation, les actes de répression isolés deviennent des scandales internationaux et les réformes structurelles deviennent négociables. L’IE s’appuie sur les cadres internationaux, tels que les recommandations de l’UNESCO et les principes des Nations Unies, pour responsabiliser les gouvernements et les employeurs.

La conférence tire parti de la dynamique créée lors de la précédente conférence de l’IE à Calgary, en collaboration avec l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. Elle coïncide avec une conférence parallèle au Kerala, en Inde, qui traite des défis liés à la liberté académique dans la région Asie-Pacifique.

La force du public : Construire la solidarité !

Au terme de la conférence, les participant·e·s réparti·e·s en petits groupes de travail ont été invité·e·s à élaborer des stratégies concrètes visant à protéger et à promouvoir la liberté académique aux niveaux local, national et international.

Grâce à la solidarité mondiale et à l’organisation collective, les syndicats de l’éducation renforcent leur pouvoir afin de défendre la recherche de la vérité et les idéaux démocratiques qui permettent aux sociétés libres de perdurer.

Pour en savoir plus sur le travail de l’IE dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, veuillez cliquer ici.

Pour soutenir la campagne de l’AFT visant à protéger l’enseignement supérieur aux États-Unis, rendez-vous sur : actionnetwork.org/petitions/trump-higher-ed-compact-2025.