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Mondes de l'éducation

Photo: GPE/Kelley Lynch
Photo: GPE/Kelley Lynch

« Enseignant·e·s - Avoir le contrôle ou être contrôlé·e? », par Jim Baker.

Publié 30 octobre 2019 Mis à jour 30 octobre 2019
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Le statut et le rôle des enseignant·e·s professionnel·le·s sont menacés par les efforts mondiaux visant à inciter les écoles à raisonner et à fonctionner comme des entreprises privées, même dans certains systèmes scolaires qui pourraient sembler épargnés par la ferveur des réformes du marché. Un article sur la profession publié le mois dernier aborde, dans différents contextes, l'impact de ce climat idéologique sur les politiques d'éducation.

Un journal en ligne basé à Zurich et axé sur la recherche et le débat, On education, a consacré son dernier numéro à la profession enseignante avec pour titre « Enseignant·e·s - Contrôler ou être contrôlé·e». David Edwards, Secrétaire général de l’Internationale de l’Éducation, a été invité à contribuer à cette édition.

Dans son article intitulé Quality education and professional teachers(Éducation de qualité et enseignant·e·s professionnel·le·s), Edwards affirme que les relations sont un élément essentiel de l'enseignement et qu'elles ne peuvent être remplacées par des systèmes de gestion ou les technologies. Il place les « écoles sûres » dans ce contexte, affirmant que: « La communauté scolaire est un tissu de relations. Ces relations s'établissent entre élèves, entre enseignants, et entre élèves et enseignants. En tant que communauté, cela fonctionne mieux si celle-ci est stable, saine et sûre. En plus d'être en sécurité physique, sans danger ni harcèlement, l’école est un cadre sûr pour être soi-même, pour penser librement, pour discuter, pour être créatif et non conformiste. »

La publication complète comprend un éditorial d’introduction et six articles. En plus de l’article de David Edwards, vous trouverez les articles suivants:

Teacher (in) discretion in international schools( (In)discrétion des enseignant·e·s dans les écoles internationales ») d'Adam Poole. Cet article montre comment les écoles internationales ou « internationalisées » non soumises aux réformes sont néanmoins affectées par celles-ci car elles opèrent dans un environnement concurrentiel et sont soumises aux pressions du marché telles des institutions « à but lucratif ». Selon Adam Poole, « d'un point de vue du marché, les parents ambitieux de la classe moyenne se positionnent, ainsi que leurs enfants, en tant que clients consommateurs d'éducation ».

Teacher agency and the digital; empowerment or control?(Pouvoir d’action de l'enseignant·e et numérique - autonomisation ou contrôle?) de Barbara Schulte. Cet article examine l’argument selon lequel le recours à Internet confère une plus grande équité et une meilleure qualité à l’éducation. Schulte examine par exemple l'argument selon lequel l'éducation en ligne permet aux écoles rurales de tirer parti des meilleur·e·s enseignant·e·s, alors qu'il peut être difficile et coûteux d'attirer des enseignant·e·s qualifié·e·s dans ces régions. Elle affirme que, bien que l’accès au numérique ait des effets positifs, ces pratiques ont tendance à imposer l'éducation urbaine dans des régions fondamentalement différentes. Ce faisant, ces pratiques risquent de réduire le rôle des professionnels à la simple lecture de scripts créés ailleurs.

Control of teachers under conditions of low-stakes accountability(Le contrôle des enseignant·e·s dans des conditions de responsabilité réduite) de Judith Hangartner. Cet article montre l’impact de la « nouvelle gestion publique (NGP) », même dans les systèmes qui valorisent l’autonomie professionnelle et n’imposent pas d’évaluations rigides de la performance.  L’auteure soutient que les politiques de la NGP ont « voyagé dans le monde entier » et se sont combinées aux traditions et aux systèmes de gouvernance locaux. Selon Hangartner, ce phénomène se retrouve non seulement dans le monde anglophone, « mais aussi en Amérique latine et en Asie », où la scolarité a été « transformée d’un bien public en une marchandise pouvant être individualisée, privatisée et mise en concurrence ».

Ideological disempowerment of teachers(L’impuissance idéologique des enseignant·e·s) de Kwok Kuen Tsang. Basé sur une étude menée à Hong Kong, cet article examine l'augmentation des tâches non pédagogiques, signale une montée « du stress et de l’épuisement » et souligne que les déviations de l’enseignement ont fait que les enseignant·e·s se sentaient « inutiles, frustrés, démoralisés… submergés par le travail non pédagogique ». Outre les charges administratives, les enseignant·e·s ont également des responsabilités pour les activités extra-scolaires, qui constituent un « argument de vente » pour attirer davantage de parents et d'élèves.

Manifestations of autonomy and control in a devolved schooling system: the case of New Zealand» (Manifestations d'autonomie et de contrôle dans un système scolaire décentralisé: le cas de la Nouvelle-Zélande) de Nina Hood. Cet article reconnaît la relative autonomie de la profession enseignante en Nouvelle-Zélande, où les enseignant·e·s sont considéré·e·s comme des « acteurs compétents au sein d'un système éducatif ». Cependant, elle mentionne les conflits entre ces traditions et pratiques et l'influence du « mouvement mondial de réforme de l'éducation (GERM, de son acronyme anglophone) ». Un gouvernement précédent a imposé des normes nationales, qui ont été abrogées par le gouvernement actuel, mais des traces de l'approche et des attitudes antérieures persistent.

Bien que les articles traitent tous de la profession enseignante, ils examinent plusieurs sujets, principalement liés à la « réforme » de l'école, et utilisent des expériences différentes selon les pays. Un point commun se dégage cependant: indépendamment du fait que les systèmes scolaires soient centralisés ou décentralisés, que l'autonomie des enseignant·e·s soit encouragée ou découragée, ou même que les systèmes aient été soumis aux dernières modes de la réforme de l'éducation, la pensée et les méthodes managériales ont eu un impact au niveau mondial sur le poste d’enseignant·e.

Compte tenu de l’enracinement et de la portée du dogme du marché et des approches de gestion privée en matière d’éducation, le rétablissement du statut de la profession d’enseignant·e nécessitera bien plus que de légères modifications des réformes malavisées. Une transformation aussi profonde, qui s'inscrit dans une lutte plus vaste pour la dignité humaine et le respect, doit inclure une désintoxication massive afin de libérer les enseignant·e·s, les élèves et la mission de l'éducation des mythes et des rituels du marché.

À la fin de son article, David Edwards offre une autre vision et un espoir, qui nécessitent un engagement et des efforts soutenus. Selon ses mots: « C'est une lutte pour les enseignants et enseignantes, mais aussi pour les élèves, pour les parents et pour les sociétés démocratiques saines et heureuses. Et plus que jamais, les syndicats d’enseignants reconnaissent que le syndicalisme n'est pas une affaire locale. C'est une lutte mondiale. Les idées, y compris les mauvaises, se répandent rapidement et la profession doit réagir aux niveaux mondial, régional et national. »

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.