La clé de l’avenir de l’Afrique : investir dans les enseignant·e·s et l’éducation
À l’occasion d’un webinaire décisif consacré à la nouvelle Stratégie continentale pour l’éducation en Afrique (CESA, acronyme anglophone) 2026-2035, les dirigeant·e·s africain·e·s du secteur de l’éducation ont insisté sur le besoin crucial d’investir dans les personnels enseignants. Le thème du forum, « Investir dans les enseignant·e·s, investir dans l’Afrique que nous voulons », a résonné tout au long des discussions. Les intervenant·e·s ont également mis l’accent sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine pour le développement du continent, sur l’objectif de développement durable no 4 (ODD4) et sur la nécessité de pousser les gouvernements à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour atteindre les buts de la CESA.
Un appel à l’action
La vice-présidente de l’Internationale de l’Éducation (IE) pour l’Afrique, Marième Sakho Dansokho, a ouvert le forum par un dur rappel : « Chers et chères collègues, grâce aux données de l’UNESCO, nous savons parfaitement que l’Afrique est la région la plus éloignée de l’Objectif de développement durable no 4 sur l’éducation de qualité. L’une des principales raisons en est tout simplement le manque d’enseignants et enseignantes en Afrique. »
La nouvelle stratégie, adoptée par l’Union africaine (UA), vise à résoudre ce problème en se concentrant sur le recrutement, la formation et le développement professionnel des enseignant·e·s. « Nous félicitons l’Union africaine d’avoir élaboré ce nouveau plan ou stratégie particulièrement important pour l’éducation », a ajouté Mme Sakho Dansokho. « Nous sommes ravis que bon nombre de nos recommandations aient été intégrées dans le document final. »
Le plaidoyer syndical
Pour la présidente du Comité régional de l’Internationale de l’Éducation pour l’Afrique (CRAIE), Mariama Chipkaou, le rôle des syndicats de l’éducation est clair : « En tant que syndicats de l’éducation, nous défendons le droit de chaque enfant à une éducation de qualité par le biais de systèmes éducatifs financés et réglementés par l’État. Nous pensons qu’il est de la responsabilité des autorités publiques de veiller à ce que tous les enfants, les jeunes, sans oublier les adultes, aient accès à une éducation de qualité adaptée à leurs besoins. »
Mme Chipkaou a fait remarquer la participation de l’IE Afrique à la Conférence continentale de l’UA sur l’éducation, la jeunesse et l’employabilité, qui s’est tenue à Nouakchott, en Mauritanie, du 9 au 11 décembre 2024. Lors de cette conférence avaient été mentionnés, avec inquiétude, les 15 millions d’enseignant·e·s supplémentaires nécessaires pour atteindre les objectifs en matière d’éducation
Mme Chipkaou a également souligné que « la CESA nouvellement adoptée pour la période 2026-2035 a été élaborée sur la base des leçons tirées de la mise en œuvre des objectifs de la CESA 2016-2025. Ces leçons comprennent la nécessité de financer de manière adéquate l’éducation, de recruter des enseignant·e·s bien formé·e·s, motivé·e·s, et de les soutenir ».
L’importance des enseignant·e·s pour atteindre les objectifs mondiaux
Quant à Dennis Sinyolo, le directeur du bureau de l’IE pour l’Afrique (IEA), il a évoqué l’importance d’investir dans les personnels enseignants pour atteindre les objectifs de l’Afrique en matière d’éducation : « L’Agenda 2063 : l’Afrique que nous voulons établi par l’Union africaine ne peut être mis en œuvre sans un investissement approprié dans l’éducation et les enseignants et enseignants. Les données de l’UNESCO et les recherches de l’IE nous indiquent que l’Afrique est la plus en retard concernant l’ODD4. »
« Nous savons pourquoi : nos gouvernements n’investissent pas suffisamment dans l’éducation, la profession enseignante et les infrastructures. Il est donc primordial que nous fassions pression pour qu’ils redoublent d’efforts afin d’accélérer les progrès vers la réalisation de l’ODD4 d’ici la date butoir de 2030 », a-t-il ajouté.
La transformation du secteur de l’éducation
Sophia Ndemutila Ashipala, cheffe de la division de l’éducation à la Commission de l’Union africaine, a présenté la nouvelle stratégie CESA, en expliquant qu’elle vise à réformer le secteur de l’éducation en Afrique en en améliorant l’accès, la qualité et la pertinence, et ce, à tous les niveaux. Elle a exposé les éléments fondamentaux de la stratégie, notamment sa vision de l’éducation inclusive, les enseignements tirés de la stratégie précédente et les principaux défis à relever, tels que la pénurie d’enseignant·e·s et les manques de financement.
« La CESA est un cadre stratégique à long terme servant à transformer le secteur de l’éducation en Afrique. La stratégie est conçue pour améliorer l’accès, la qualité et la pertinence de l’éducation, à tous les niveaux, dans les États membres de l’Union africaine. Cette stratégie, qui vient d’être approuvée lors du dernier sommet de l’Union africaine en février 2025, s’aligne sur l’Agenda 2063, qui traduit la vision de l’Union africaine pour une Afrique prospère et intégrée. Elle s’aligne également sur l’ODD4, dont le but est d’assurer une éducation inclusive et de qualité pour tous et de promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie. »
Mme Ashipala a également expliqué que cette nouvelle CESA comprend six domaines stratégiques et vingt objectifs.
« Il existe un domaine d’action axé sur les enseignants et enseignantes, les éducateurs et éducatrices et le personnel soignant, dont l’objectif est d’améliorer les politiques d’éducation, la formation et le développement professionnel des enseignants. Sa mise en œuvre implique ce qui suit : renforcer le recrutement des enseignants et enseignantes, fournir une formation continue, améliorer les conditions de travail et promouvoir le leadership des éducatrices. »
Mme Ashipala a en outre mentionné les mécanismes d’application de la CESA, impliquant l’UA, qui assure la direction générale, l’orientation politique et la coordination ; les États membres, qui adaptent et intègrent la CESA 2026-2035 aux politiques éducatives nationales, mobilisent les ressources et mettent en place les réformes ; et les Communautés économiques régionales (CER), qui agissent en tant qu’intermédiaires entre l’UA et les États membres, facilitent la collaboration, suivent les progrès et promeuvent les meilleures pratiques à l’échelle régionale.
Les liens entre la CESA 2026-2035 et la campagne de l’IE « La force du public : ensemble on fait école ! »
Le coordinateur au bureau de l’IE pour l’Afrique, Pedi Anawi, a mis en avant les connexions entre la CESA 2026-2035 et la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » à l’initiative de l’IE.
« L’IE considère que la profession enseignante est la pièce maîtresse pour parvenir à une éducation de qualité », a déclaré M. Anawi. Il a poursuivi en reconnaissant « la terrible pénurie d’enseignants et enseignantes en Afrique et la nécessité d’un développement professionnel continu pour répondre aux exigences d’un environnement éducatif en évolution rapide. »
Il a également constaté que la campagne de l’IE « La force du public : ensemble on fait école ! » et le CESA 2026-2035 évoquent toutes les deux le fait que les pays africains n’atteignent pas les cibles fixées en matière de dépenses publiques pour l’éducation. « L’une comme l’autre reconnaissent également le besoin urgent de remédier à la pénurie d’enseignants et enseignantes, condition sine qua none d’une éducation de qualité pour tous et toutes, l’importance avérée des politiques, des financements, de la gouvernance et des partenariats, ainsi que la nécessité d’un financement adéquat conforme aux critères internationaux, afin de rendre possible la mise en œuvre des politiques. »
La table ronde : garantir la mise en œuvre de la CESA 2026-2035
Le débat intitulé « Que peut faire votre organisation pour garantir la mise en œuvre effective de la CESA 26-35 par votre gouvernement ? » a réuni plusieurs dirigeant·e·s de syndicats de l’éducation.
Béatrice Agnès Bikoko de la Fédération Camerounaise des Syndicats de l’Éducation (FECASE) a notamment déclaré : « Les syndicalistes de l’éducation au Cameroun ont adressé un mémorandum au ministère de l’Éducation et ont envoyé une note aux enseignants et enseignantes soulignant l’importance de financer l’enseignement public et d’investir dans les personnels de l’éducation. »
Zadock Tumuhimbise, président national de l’ Uganda National Teachers Union (UNATU), a quant à lui déclaré : « En février 2023, l’UNATU a lancé des activités ayant pour but de lutter contre la privatisation et la marchandisation et d’accroître le financement de l’éducation. Le moment est venu pour le gouvernement de concevoir des stratégies visant à rendre la profession plus attrayante et à motiver les enseignants et enseignantes, faute de quoi la pénurie persistera. L’UNATU a rencontré des députés et députées et des décideurs et décideuses politiques à Kampala pour discuter de la réduction prévue des fonds alloués à l’éducation en février 2024. Nous sommes allés voir les médias avec la volonté de faire du sujet de l’enseignement public de qualité une tendance dans l’actualité. »
Herminia Maria da Conceicao Ferreira do Nascimento, présidente du Sindicato Nacional dos Professores (SINPROF) en Angola, a ajouté : « Le gouvernement souhaite investir dans le capital humain en renforçant les capacités des enseignants et enseignantes. Nous lancerons la campagne “La force du public” en 2025, ce qui coïncidera avec l’anniversaire de la fondation du SINPROF. »
La déclaration du forum : un appel à investir dans les enseignant·e·s
Le forum a adopté une déclaration présentée par Richard Gundane, vice-président du CRAIE, appelant à un investissement majeur dans les personnels enseignants afin d’atteindre les objectifs éducatifs décrits dans la CESA 2026-2035. La déclaration insiste sur la nécessité pour les éducateur·trice·s et leurs syndicats de participer au dialogue social et politique en vue d’améliorer la qualité de l’éducation, le statut professionnel et les conditions de travail des enseignant·e·s et des personnels de soutien à l’éducation.
Elle souligne que les gouvernements africains doivent investir une part substantielle du budget de l’État dans l’éducation, conformément aux références convenues au niveau international qui consistent à allouer au moins 20 % de leur budget national ou 6 % de leur produit intérieur brut à l’éducation.
Dennis Sinyolo a conclu le webinaire en évoquant l’importance de développer des stratégies pour faire pression sur les gouvernements afin que la mise en œuvre de la CESA 2026-2035 soit effective : « Au cours de ce webinaire, particulièrement important, nous avons entendu parler de la nécessité d’élaborer des stratégies contraignant nos gouvernements à l’application de la CESA 2026-2035. Quelles sont les prochaines actions ? Nous allons envoyer officiellement la déclaration adoptée lors de ce webinaire à l’Union africaine, à qui nous demanderons de suivre les recommandations fortes qu’elle contient. »
Par ailleurs, le bureau régional de l’IEA va élaborer une boîte à outils pour aider les membres à appliquer et à défendre la CESA.
M. Sinyolo a conclu par ces mots : « Nous ne voulons pas répéter les erreurs du passé, avec une CESA qui n’est pas pleinement assimilée par les politiques nationales. Nous devons trouver des moyens pour que les gouvernements intègrent la CESA 2026-2035 dans les politiques nationales d’éducation. Nous devons aussi suivre les recommandations des Nations Unies pour élever la profession enseignante car elles sont capitales. Travaillons ensemble dans ce sens. L’union fait la force ! »