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Europe : les syndicats définissent les prochaines étapes de la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! », malgré un contexte de sous-investissement chronique dans le secteur

Publié 20 mai 2025 Mis à jour 26 mai 2025

Dans certains pays du sud de l’Europe, les syndicats de l’éducation s’emploient à remédier à la pénurie persistante d’enseignant·e·s par le biais de la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! ». Réunis à Athènes du 11 au 13 mai, des syndicats de Chypre, de Grèce, de France, d’Italie, du Portugal et d’Espagne ont partagé des réflexions au sujet des défis auxquels ils se heurtent et des stratégies déployées pour appuyer des systèmes d’enseignement public intégralement financés ainsi qu’une profession enseignante forte et respectée.

« Bien que les contextes varient, le sous-investissement dans l’éducation et dans la profession enseignante est une problématique commune qui transcende les frontières et la principale cause de la pénurie de personnels. Grâce à la campagne ‘La force du public : ensemble on fait école !’, les syndicats de l’éducation militent pour des systèmes d’enseignement public équitables et dotés de ressources suffisantes qui valorisent les enseignant·e·s et investissent dans la profession. Les Recommandations des Nations Unies sur la profession enseignante représentent un outil essentiel dans le cadre de notre plaidoyer, car elles soutiennent les revendications syndicales et les solutions que nous portons. Ensemble, nous nous organisons et nous mobilisons aux niveaux local, national, régional et mondial pour permettre à chaque apprenant et apprenante, quel que soit son lieu de vie, d’être suivi par un enseignant qualifié, convenablement rémunéré, bien soutenu et dûment respecté, chaque jour, et pour chaque cours », a déclaré David Edwards, secrétaire général de l’Internationale de l’Éducation (IE).

Grèce : des salaires à peine suffisants pour couvrir le loyer

La Fédération grecque des enseignant·e·s du primaire (DOE) et la Fédération grecque des enseignant·e·s du secondaire public (OLME), toutes deux affiliées à l’IE, ont accueilli leurs collègues à Athènes et participé à un échange de vues sur les défis auxquels se heurtent les enseignant·e·s grec·que·s. Avec des salaires d’à peine 780 euros mensuels, les enseignant·e·s en début de carrière peuvent tout juste se permettre de payer leur loyer. La précarité constitue également un problème important, puisque 25 % des effectifs sont employés sur la base de contrats d’une durée de 9 mois.

Dans ce contexte, « La force du public : ensemble on fait école ! » est une campagne particulièrement importante. Elle offre un socle pour la constitution d’alliances dès lors que chaque syndicat peut identifier ses besoins, ses priorités et ses objectifs. Elle aide les syndicats à planifier et mettre en œuvre leurs stratégies et à collaborer avec d’autres syndicats et parties prenantes, de façon à pouvoir lutter efficacement contre les politiques éducatives qui portent atteinte à l’enseignement public, » a déclaré Thanasis Kikinis, secrétaire général du DOE et membre du Comité du CSEE.

Italie : précarité et bas salaires alimentent la pénurie d’enseignant·e·s

En Italie, les éducateur·trice·s sont également touché·e·s par la pénurie de personnels ainsi que par l’insuffisance des fonds alloués à l’éducation. Selon les syndicats du secteur, les salaires sont bas et n’ont pas suivi le rythme de l’inflation, entraînant une baisse de leur pouvoir d’achat. La précarité représente aussi un problème majeur, avec plus de 250.000 enseignant·e·s et personnels de soutien à l’éducation sous contrats temporaires.

Pour atteindre le ratio enseignant·e-élève moyen au sein de l’UE, l’Italie a besoin de 45.000 enseignant·e·s supplémentaires. Plus de 50.000 personnels techniques et administratifs supplémentaires sont nécessaires pour atteindre la moyenne de l’UE. Cependant, dans pareilles conditions, il est de plus en plus difficile, voire impossible, d’assurer le recrutement et le maintien en poste de nouveaux·elles éducateur·trice·s.

Notant que les Recommandations des Nations Unies sur la profession enseignante fournissent un « récit alternatif à la vision néolibérale de l’école et de l’enseignant ou enseignante comme moyen de répondre aux besoins du marché », Graziamaria Pistorino, secrétaire nationale de la FLC CGIL, a souligné que les Recommandations constituent un outil essentiel pour le plaidoyer syndical en faveur des droits des éducateur·trice·s. « Nous nous sentons plus forts dans notre dialogue avec les institutions gouvernementales parce qu’un document de haut niveau signé par l’Organisation internationale du Travail, l’ONU et l’UNESCO joue à présent en notre faveur », a ajouté Graziamaria Pistorino.

Les Recommandations des Nations Unies et la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » offrent aux syndicats des occasions de sensibiliser les enseignant·e·s à leurs droits ainsi qu’aux défis qui les concernent, de construire et de renforcer des alliances en faveur de l’enseignement public dans l’ensemble de la société.

« En définitive, les Recommandations peuvent être utilisées pour créer des opportunités de discussions publiques, pour susciter un débat social dans les contextes nationaux et pour concevoir une action politique forte basée sur une vision de l’école fondée sur les valeurs de démocratie, de paix et de justice sociale qui caractérisent notre identité en tant qu’organisations syndicales démocratiques », a conclu Pistorino.

Portugal : mobiliser pour mettre fin à la pénurie d’enseignant·e·s

La pénurie d’enseignant·e·s a atteint des niveaux alarmants au Portugal et affecte plusieurs dizaines de milliers d’élèves. Et la crise ne fera qu’empirer au rythme des nouveaux départs à la retraite d’enseignant·e·s dans les années à venir.

La campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » accompagne l’organisation membre de l’IE FENPROF dans ses efforts visant à mettre fin à la pénurie d’enseignant·e·s. Les Recommandations des Nations Unies pour une profession enseignante forte et résiliente renforcent le plaidoyer de la FENPROF.

« En accordant du crédit à nos prises de position et à nos revendications, les Recommandations des Nations Unies sont un puissant outil à utiliser non seulement aux fins de mobiliser nos membres, mais aussi d’inciter la communauté éducative à faire pression sur le gouvernement pour qu’il prenne des mesures urgentes afin d’investir dans les enseignants et enseignantes et dans l’enseignement public », a déclaré Manuela Mendonça, présidente de la FENPROF et membre du Bureau exécutif de l’IE.

Les recommandations portant sur le financement, le dialogue social et la négociation collective, les conditions de travail, la dignité de la profession, la capacité d’action et l’autonomie sont particulièrement pertinentes pour le travail du syndicat.

Espagne : accroître le financement en faveur des enseignant·e·s et de l’éducation, un impératif

Des syndicalistes espagnols de la F.E.CC.OO., de la STES-Intersindical et de la FeSP-UGT Enseñanza ont participé à la réunion « La force du public » à Athènes afin d’échanger à propos de l’évolution de la campagne dans leur pays.

En Espagne, le financement de l’éducation représente 4,6 % du PIB, soit un investissement inférieur à la moyenne de l’OCDE. Plus de 50 000 nouveaux·elles enseignant·e·s sont nécessaires pour réduire le ratio enseignant·e-élève à tous les niveaux de l’enseignement, en particulier dans les zones urbaines.

Le niveau élevé de bureaucratie complique le recrutement et le maintien en poste, ce qui génère une situation de stress et d’anxiété chez les enseignant·e·s, une précarité de l’emploi (plus de 25 % des emplois d’enseignant·e sont précaires), de mauvaises conditions de travail et un faible niveau de rémunération. Fait alarmant, les syndicats rapportent que les enseignant·e·s en Espagne ont perdu 22 % de leur pouvoir d’achat au cours des 14 dernières années.

À travers la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! », les syndicats espagnols tirent parti du pouvoir du mouvement syndical mondial de l’éducation pour changer la donne au profit des enseignant·e·s et des élèves au niveau national. Les syndicats défendent l’enseignement public et luttent contre la privatisation et les politiques d’extrême droite dans le secteur.

La campagne permet aux syndicats d’unir leurs forces et de construire des alliances pour soutenir leur plaidoyer. Les Recommandations des Nations Unies sont particulièrement utiles dans le cadre du dialogue social. Elles appuient les demandes des syndicats en faveur d’un financement accru de l’éducation, de bonnes conditions de travail et de bons salaires pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs de l’éducation, d’une reconnaissance accrue et d’un statut revalorisé pour les enseignant·e·s afin d’attirer plus de personnes dans la profession.

Chypre : les systèmes éducatifs et les enseignant·e·s sous pression

En raison de la partition de l’île, les enseignant·e·s se heurtent à des défis distincts de chaque côté de la frontière mais le sous-financement de l’éducation et la faiblesse du dialogue social sont des préoccupations communes qui font obstacle à une éducation de qualité et à une profession enseignante forte.

L’Organisation chypriote des enseignant·e·s grec·que·s (POED) a mis en garde contre le fait que la réduction des coûts, l’absence de dialogue social, l’infrastructure obsolète et l’augmentation des tâches administratives pour les éducateur·trice·s compromettent le système éducatif public. Tous ces facteurs alimentent une pénurie croissante d’enseignant·e·s sur l’île et de nombreux jeunes quittent la profession. La POED a rejoint la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » pour plaider en faveur de l’enseignement public et de la profession enseignante.

Saluant la mobilisation mondiale, la présidente de la POED, Myria Vasiliou, a déclaré qu’il est « important, au niveau international, de soutenir et de compléter les efforts déployés au niveau local. Le slogan ‘La force du public : ensemble on fait école !’ est porteur de sens. Il crée une dynamique et, dans le même temps, nous pouvons l’invoquer dans le cadre d’un mouvement international. Il contribue à renforcer les organisations syndicales afin qu’elles puissent s’affirmer en fonction de leurs propres besoins. »

Le sous-financement représente également une menace pour l’enseignement public et la profession enseignante du côté chypriote turc. Les organisations membres de l’IE, KTÖS et KTOEÖS, ont souligné que plus de 60 % des bâtiments scolaires datent de plus de 50 ans et ne bénéficient pas d’un entretien de base suffisant. Les salles de classe sont surchargées, en particulier en milieu urbain. Pire encore, nombre d’écoles dispensent encore leurs cours dans des conteneurs au lieu de bâtiments appropriés.

Également, le personnel enseignant est mis à rude épreuve. Le ministère de l’Éducation n’a toujours pas recruté d’effectifs permanents afin de s’adapter au nombre croissant d’élèves. Dans les seules écoles primaires, la pénurie est de 15 %. Une grande partie des nouveaux·elles enseignant·e·s sont embauché·e·s dans le cadre de contrats temporaires ou précaires sur la seule base de leur parcours politique.

Les organisations membres de l’IE ont exprimé leur préoccupation quant à l’état du dialogue social entre les syndicats et le gouvernement chypriote turc. Les mécanismes de dialogue social, une fois formalisés, sont aujourd’hui souvent contournés ou réduits à des gestes symboliques.

L’ingérence politique, tant au niveau national que par des autorités extérieures, a compromis l’autonomie du système éducatif. Depuis 2022, les syndicats ont constaté et protesté contre une érosion des principes de laïcité, y compris la promotion de contenus religieux dans des matières jusqu’ici laïques. On a ainsi écarté les programmes en faveur de l’égalité des genres pour tenter d’introduire des activités éducatives non mixtes.

« Le ministère de l’Éducation et le gouvernement font pression sur nos enseignants et enseignantes qui luttent pour leurs droits et pour de meilleures conditions de travail. Ils attaquent les syndicats et le droit de se syndiquer et cherchent à priver les enseignants et enseignantes de leurs droits et libertés », a mis en garde la présidente du KTOEÖS Selma Eylem.

Face à ces défis, les organisations membres de l’IE dans le nord de Chypre se mobilisent autour de la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » et plaident pour la mise en œuvre des Recommandations des Nations Unies.

France : une profession mal rémunérée et à bout de force, sur fond d’austérité persistante

En 25 ans, les dépenses publiques consacrées à l’enseignement secondaire en France ont chuté de 20 %, si bien que le système éducatif public est aujourd’hui au bord de l’effondrement, selon Julien Farges, secrétaire national du SNES-FSU.

La poursuite des mesures d’austérité et les gels répétés des salaires sont à l’origine d’une baisse massive du pouvoir d’achat de la main-d’œuvre éducative. Souvent, le gel des salaires et l’inflation annulent les gains acquis au fur et à mesure de leur évolution professionnelle. Les enseignant·e·s sont également confronté·e·s à une durée de travail excessive, à des classes à effectifs importants et à une augmentation des tâches administratives. La pénurie de personnels qui en résulte s’intensifie.

Pour remédier à cette pénurie, le gouvernement a abaissé le niveau d’exigences imposé pour intégrer la profession, ramenant les concours enseignants à bac + 3 au lieu de bac + 5 (Master 2). Ces mesures palliatives non seulement ignorent les causes réelles de la crise, mais elles portent atteinte à la profession et à la qualité de l’enseignement en France.

Dans le cadre du budget 2026, le gouvernement français a annoncé une réduction supplémentaire des dépenses publiques à hauteur de 40 milliards d’euros, qui aura un impact considérable sur la main-d’œuvre éducative. Le 13 mai, les enseignant·e·s se sont mis en grève pour protester contre l’austérité, pour maintenir le recrutement au niveau bac + 5 et pour améliorer le niveau des salaires et les conditions de travail.

« Nous connaissons les problèmes, mais grâce à la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » et aux Recommandations des Nations Unies, nous connaissons aussi les solutions. Les politiques doivent avoir le courage de les mettre en œuvre. En tant que syndicats, nous devons les pousser à agir. Le SNES-FSU défend un enseignement public gratuit, inclusif et de qualité. Pour y parvenir, des investissements publics importants sont nécessaires et cela exige une plus grande justice fiscale », a souligné Farges.

Outre les pays d’Europe méridionale, la campagne est également déployée en Albanie et au Tadjikistan.

Dans toutes les régions du monde, les éducateur·trice·s se rassemblent sous la bannière de la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! ». Celle-ci a obtenu le plein aval du Congrès mondial, qui est la plus haute instance décisionnelle de l’IE et qui en a fait une priorité pour l’IE et ses organisations membres.