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Mondes de l'éducation

“TODAY I VISITED MAYNOOTH UNIVERSITY [8 JANUARY 2019]-147808” by William Murphy, CC BY-SA 2.0
“TODAY I VISITED MAYNOOTH UNIVERSITY [8 JANUARY 2019]-147808” by William Murphy, CC BY-SA 2.0

Voix de l’éducation | L’action collective syndicale pour défendre la gouvernance collégiale

Entretien avec Dre Sinéad Kennedy, membre du comité de la section de la Fédération irlandaise des professeurs et professeures d’université (Irish Federation of University Teachers − IFUT) à l’université de Maynooth

Publié 29 septembre 2025 Mis à jour 30 septembre 2025
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Ce témoignage a été recueilli dans le cadre du projet de recherche « Au cœur de la tourmente : l’enseignement supérieur dans un monde en crise », mené pour l’Internationale de l’Éducation par Howard Stevenson, Maria Antonietta Vega Castillo, Melanie Bhend et Vasiliki-Eleni Selechopoulou. Le rapport de recherche et la synthèse de ce dernier sont disponibles ici.

Mondes de l'Éducation − Comment la gouvernance collégiale s’est-elle vue menacée à l’université de Maynooth ?

En 2023, les personnels de l’université de Maynooth ont appris que leurs représentantes et représentants auprès des autorités de gouvernance universitaires ne seraient plus désigné·es sur la base d’une élection, mais à la suite d’un processus de sélection, écartant ainsi du principal organe de gouvernance de l’université l’ensemble de leurs représentantes et représentants élu·es.

Des inquiétudes avaient déjà été exprimées en raison de l’implication de l’université dans un nombre important de nouvelles nominations à des postes de direction. Ces nominations avaient créé un nouveau niveau hiérarchique entre la présidence et les instances représentatives du personnel, telles que le conseil de faculté et le conseil académique. Alors que nous avions déjà le sentiment que la représentation du corps professoral était de plus en plus mise à mal, aucune information ne nous a été communiquée concernant les changements apportés aux modalités de gouvernance avant cette annonce de la suppression des représentantes et représentants élu·es et de leur remplacement par des personnes désignées.

Mondes de l'Éducation − Quelle a été la réaction des personnels de l’université ?

La communauté universitaire a tout d’abord été surprise par cette annonce, mais ce sentiment a très rapidement cédé la place à la colère. Si l’on s’en tient au principe, évincer des représentantes et représentants élu·es constituait une atteinte à la démocratie au sein de l’université, ainsi qu’à notre droit d’élire les personnes nous représentant. Sous l’angle pratique, les changements proposés représentaient un risque réel pour la transparence du processus, dans la mesure où le principal organe compétent pour attribuer les postes du comité de direction de l’université était désigné par ce même comité. Pour nous, cette forme de gouvernance n’avait rien de bon, puisqu’elle ne permettait pas d’assurer un contrôle suffisant de la hiérarchie supérieure.

Mondes de l'Éducation − Quel a été le rôle de la section syndicale dans la mobilisation du corps professoral ?

L’opposition aux changements observée au sein de la communauté universitaire a commencé à prendre forme et à s’organiser au sein de la section de la Fédération irlandaise des professeurs et professeures d’université (Irish Federation of University Teachers − IFUT). Le syndicat apparaissait comme l’intermédiaire logique pour relayer les préoccupations des universitaires. La section syndicale dispose en effet d’une structure organisationnelle efficace lui permettant d’organiser les effectifs des facultés et de nouer des liens avec d’autres syndicats représentant différentes catégories professionnelles. Nous avons pu mettre sur la table une réponse collective de la communauté universitaire − une initiative relativement aisée étant donné la forte unité des personnels de l’université.

Interface évidente pour exprimer les doléances des effectifs, la section syndicale a commencé à travailler avec les membres en vue de faire valoir leurs revendications auprès de la direction de l’université. Alors que nous étions en période de vacances, nous avons néanmoins organisé une réunion de la section, qui a connu une large participation. Il est apparu très clairement que les membres du syndicat étaient opposé·es aux changements. Nous avons non seulement cherché à rencontrer la direction, mais nous avons également pu intensifier les pressions en organisant une pétition et en recherchant un écho dans les médias. À mesure que le grand public prenait conscience du problème, notre section a reçu des messages de soutien et de solidarité du monde entier.

Mondes de l'Éducation − Quels ont été les résultats de cette campagne ?

Les pressions s’intensifiant, la direction a réagi en proposant un compromis, à savoir une instance de gouvernance où siégeraient à la fois des représentantes et représentants élu·es et des personnes sélectionnées, mais cette option a été catégoriquement rejetée par le corps professoral. Ce dernier est resté uni dans sa position, permettant ainsi au syndicat de relayer cette unité. Résultat, l’université a fini par annoncer que les représentantes et représentants du corps professoral seraient élu·es. Un revirement total par rapport à la proposition initiale.

Mondes de l'Éducation − Quelles ont été les retombées de cette victoire pour cette section de votre syndicat et la démocratie au sein de l’université de Maynooth ?

L’expérience vécue à l’université de Maynooth est un important exemple montrant comment un syndicat peut servir de catalyseur pour relayer les doléances des personnels qui, en d’autres circonstances pourraient rencontrer des difficultés à les exprimer aussi clairement. Il ne fait aucun doute que le mécontentement du corps professoral était déjà bien palpable et qu’il aurait trouvé le moyen de s’exprimer d’une façon ou d’une autre. Mais il n’est pas certain que le problème aurait donné le même résultat décisif sans l’intervention de l’organisation syndicale.

Conséquence, le syndicat a suscité un engagement accru de la part de ses membres et une participation plus efficace à la convention collective en cours de négociation à l’époque. La mobilisation a certainement facilité les négociations entourant cette convention collective, la direction ayant pu constater ce que nous étions capables de faire. Les élections aux instances de gouvernance ont connu un regain d’intérêt et une participation plus active, notamment grâce à la recherche de candidates et candidats, organisée par le syndicat. Candidates et candidats qui ont été clairement plus sensibles à la nécessité d’assurer la transparence et la responsabilité institutionnelle, et sont désormais en bonne position pour protéger la gouvernance collégiale face à toute menace future. Ironie du sort, la démocratie institutionnelle semble aujourd’hui revitalisée, alors que la direction avait pour volonté de la supprimer.

Mondes de l'Éducation − En quoi l’expérience de l’université de Maynooth a-t-elle influencé le travail des sections syndicales dans d’autres universités ?

À l’échelon national, l’expérience de Maynooth a permis de sensibiliser les membres de l’IFUT et le grand public aux problèmes de gouvernance rencontrés dans l’enseignement supérieur. Il apparaît également que d’autres universités ayant envisagé d’apporter ce type de modifications aux structures de gouvernance aient décidé de ne pas le faire, après le succès de notre campagne menée à Maynooth.

En tant que syndicat national, l’IFUT a organisé une série de séminaires pour ses membres, portant sur la gouvernance collégiale et la liberté académique, et envisage de proposer une formation à ceux et celles susceptibles de devenir membres d’une instance de direction. La sensibilisation à ces questions s'est considérablement accrue, de même que la prise de conscience de la valeur de l'action syndicale collective.

Image : William Murphy on Flickr, CC BY-SA 2.0

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.