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Irak: une région et le système éducatif du Kurdistan sombrent dans l’oubli

Publié 13 mars 2019 Mis à jour 4 mars 2022

Le Kurdistan Teachers' Union (KTU) a lancé un cri d’alerte quant à la situation déplorable des éducateur·rice·s et du système éducatif public, et qui continue à se dégrader dans cette région irakienne.

« Une zone oubliée »

« La situation actuelle laisse à penser que le Kurdistan est une zone oubliée qui se trouve sur une autre planète […] il n’est pas trop tard pour rattraper les dégâts et sauver ce qui peut encore l’être », souligne le Président du Kurdistan Teachers' Union (KTU) Abdelouahed Mohamed Haji.

Se souvenant qu’« avant la chute du régime irakien en 2014, l’enseignement et en particulier les enseignants et enseignantes, bénéficiaient d’une situation plutôt favorable », il explique que « la détérioration des relations entre le gouvernement régional du Kurdistan irakien et le gouvernement irakien à partir de 2014 a entrainé des réductions budgétaires touchant le Kurdistan irakien, avec en première ligne les enseignants kurdes, qui recevaient ainsi leur salaire avec parfois 40 à 45 jours de retard. »

L’intensification des actions de Daesh au centre et à l’ouest de l’Irak et de la Syrie a en outre aggravé la situation. En effet, les habitant·e·s ont été contraint·e·s de quitter ces régions, ce qui a entraîné le déplacement de 1.800.000 personnes vers le Kurdistan irakien. Compte tenu du nombre de personnes déplacées, le gouvernement du Kurdistan irakien a été forcé d’utiliser les locaux des établissements scolaires pour accueillir les réfugié·e·s, ce qui a retardé la rentrée scolaire de trois mois. Le gouvernement a installé des tentes et a distribué des produits de première nécessité avec l’aide d’organisations internationales et, dans une moindre mesure, du gouvernement irakien.

« Les relations tendues entre les deux gouvernements, le nombre considérable de personnes déplacées, et le manque d’organisation au niveau du gouvernement pour faire face à ces problèmes ont engendré une crise économique profonde qui a gravement touché le secteur de l’éducation et les éducateurs », explique Abdelouahed Mohamed Haji.

Les salaires des éducateur·rice·s fortement amputés

Le gouvernement kurde a en effet imposé de sévères restrictions budgétaires, réduisant ainsi les salaires annuels de 70 %. A titre d’exemple, une personne qui percevait un salaire moyen de 1.000 dollars américains ne recevait plus que 300 dollars américains.

Le Kurdistan Teachers’ Union(KTU) s’est plaint de cette mesure illégale, a adressé plusieurs courriers aux autorités compétentes et organisé de grands rassemblements pour exiger le retour à l’ancien système de salaires. Des représentant·e·s du KTU se sont réuni·e·s à cinq reprises avec les responsables du gouvernement du Kurdistan, sans parvenir à un résultat satisfaisant, déplore Abdelouahed Mohamed Haji.

Des mesures insuffisantes en faveur des éducateur· rice· s et du l’éducation

Bien que le gouvernement, sous la pression du KTU, a octroyé des subventions pour « encourager les enseignants », c’est insuffisant, note le dirigeant du KTU. Cela a amené le KTU à solliciter le soutien de l’Internationale de l’Education (IE), du Bureau régional Asie-Pacifique de l’IE, de la Structure interrégionale des pays arabes de l’IE et du syndicat britannique NASUWT « pour annuler cette décision inique », et demander aux deux gouvernements de laisser les salaires des éducateur·rice·s loin des conflits politiques.

A ce jour, le gouvernement régional du Kurdistan a décidé d’abaisser le montant des salaires à 30 % et d’y ajouter 70 % de primes. Par ailleurs, les salaires du mois d’août 2018 ont été versés en novembre 2018; et le gouvernement régional ne veut pas verser les salaires d’octobre, de novembre et de décembre 2018, sans raison apparente selon le syndicat.

Abdelouahed Mohamed Haji détaille aussi les problèmes principaux rencontrés par les éducateur·rice·s et le système éducatif public irakiens:

  • Aucun budget n’a été alloué à l’éducation et à l’enseignement supérieur ces quatre dernières années;
  • Il n’existe aucune pédagogie bien définie;
  • Un nombre important d’enseignant·e·s et de professeur·e·s d’université ont parti·e·s à l’étranger pour mieux gagner leur vie;
  • Sur les 1.200.000 personnes encore déplacées, 300.000 sont des étudiant·e·s, et 48 % d’entre eux·elles n’ont pas la chance d’aller à l’école compte tenu de leurs conditions de vie lamentables;
  • Il n’existe que peu d’infrastructures et de salles de classe modernes. Le gouvernement irakien a besoin de 11.000 bâtiments, et le gouvernement régional de 400 bâtiments;
  • Les enseignant·e·s compétent·e·s déplorent le manque de formations. Bien que plusieurs enseignant·e·s aient pris leur retraite ou quitté la région, de nouveaux·elles enseignant·e·s ne sont pas recruté·e·s;
  • Les programmes scolaires ne correspondent pas aux besoins de la communauté en matière de personnel de niveau intermédiaire, en particulier dans l’enseignement professionnel, spécialisé et préprimaire; et
  • Les établissements privés sont promus auprès des personnes riches et des hauts responsables du gouvernement.

Des conséquences graves sur l’éducation

Ces différents obstacles rencontrés ont mis à mal l’éducation en Irak de manière générale, et au Kurdistan en particulier, avec les conséquences suivantes:

  • L’augmentation du pourcentage d’abandon scolaire, qui s’élève désormais à environ 30 % en Irak et 16 % au Kurdistan;
  • L’accroissement du pourcentage d’étudiant·e·s en échec scolaire, qui est passé de 8 à 16 % tous niveaux confondus, et atteint même 27 % pour le collègue, qui détient le taux d’échec scolaire le plus élevé; et
  • L’accentuation des écarts entre les genres dans les écoles. Alors que cet écart était de 14 % au cours de l’année scolaire 2014/2015, il a atteint 33 % en 2015/2016. Il faut que les autorités concernées accordent plus d’attention à cette situation inquiétante.

« De manière générale, 1 homme sur 5 âgé entre 15 et 24 ans et 1 homme sur 10 âgé entre 25 et 34 ans est au chômage parce qu’il est en échec scolaire ou ne possède pas les qualifications requises. Les femmes sont encore plus nombreuses dans ce cas » insiste Abdelouahed Mohamed Haji.

L’IE soutient son affilié au Kurdistan irakien, est vivement préoccupée par la situation dramatique qu’y connaisse les éducateur·rice·s et leurs étudiant·e·s, demande aux autorités publiques compétentes de garantir le bon fonctionnement du service public d’enseignement, et va continuer à suivre l’évolution de « cette région oubliée de tous et toutes ».