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Mondes de l'éducation

Assurer un avenir meilleur pour les jeunes chercheur·euse·s via le droit d'auteur

Publié 26 avril 2022 Mis à jour 20 mai 2022
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Cette année, la Journée mondiale de la propriété intellectuelle est placée sous le thème « La propriété intellectuelle et les jeunes : innover pour un avenir meilleur ». L’objectif est de reconnaître que « les jeunes relèvent les défis de l’innovation et utilisent leur énergie, leur ingéniosité, leur curiosité et leur créativité pour tracer la voie vers un avenir meilleur ». Les droits exclusifs liés à la propriété intellectuelle peuvent jouer un rôle positif en récompensant les activités innovantes des jeunes. Mais, le plus souvent, ces droits exclusifs ont l’effet inverse et empêchent les jeunes d’accéder aux ressources protégées qui leur sont nécessaires pour apprendre, innover et se développer. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous devons également porter notre attention sur les limitations et exceptions à la propriété intellectuelle.

Des lois en matière de droit d’auteur inadaptées aux environnements numériques : l’exploration de textes et données (TDM pour Text and Data Mining)

Le Programme pour la justice de l’information et la propriété intellectuelle (PIJIP pour Program on Information Justice and Intellectual Property) analyse la mesure dans laquelle les exceptions au droit d’auteur dans chaque pays peuvent autoriser l’exploration de textes et données : une méthode de recherche informatique utilisée pour analyser de gros volumes de textes ou de données dans des articles, livres, bases de données ou d’autres sources, en vue de découvrir des modèles et des relations ou d’analyser la sémantique. La TDM aide à résoudre certains des plus grands défis du monde, notamment la découverte de la COVID-19 [1], le développement des vaccins et des traitements [2], ainsi que l’analyse des discours de haine et de la désinformation sur les réseaux sociaux [3]. Malheureusement, si les avantages de la TDM sont de plus en plus manifestes, il en va de même de la complexité juridique que supposent le droit d’auteur et d’autres réglementations.

Un ensemble de lois et réglementations déterminent si les chercheur·euse·s sont autorisé·e·s à utiliser la TDM dans leurs projets de recherche. Pour procéder à une TDM, les chercheur·euse·s doivent créer un « corpus » de ressources à exploiter, utiliser un logiciel pour analyser les textes et données qu’il contient (le plus souvent au moyen d’une copie temporaire), mais doivent aussi communiquer aux chercheur·euse·s et au public les résultats de leurs recherches et les données sous-jacentes. Le partage des ressources est crucial pour la validation, la collaboration et la diffusion des résultats. Souvent, les applications universitaires et commerciales de la TDM sont utilisées par-delà les frontières, dans la mesure où les chercheur·euse·s, l’objet des recherches et le matériel sont localisés dans plus d’un pays. Toutes ces activités utilisant des articles, des livres, des pages web, des contenus de réseaux sociaux et d’autres sujets de recherches sont probablement régies par le droit d’auteur.

Exceptions au droit d’auteur pour la recherche

Une des façons de mener des recherches avec des travaux protégés par le droit d’auteur consiste à limiter le champ d’application de cette protection ou à prévoir des exceptions à l’application de tels droits à certaines fins. Dès le départ, la législation en matière de droit d’auteur a reconnu la nécessité de prévoir des exceptions aux droits exclusifs pour soutenir la recherche et l’apprentissage. La Constitution des États-Unis confère au Congrès le droit de promulguer une loi sur le droit d’auteur en vue de promouvoir la science, tandis que le but principal de la première loi sur le droit d’auteur en Angleterre était de promouvoir l’apprentissage. La Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (1886) protège explicitement le droit des pays d’adopter des exceptions au droit d’auteur à des fins éducatives ou scientifiques. Plus récent, le traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (1996) mentionne l’objectif de « maintenir un équilibre entre les droits des auteurs et l’intérêt public général, notamment en matière d’enseignement, de recherche et d’accès à l’information ».

La recherche du PIJIP montre que chaque législation prévoit au moins une exception pouvant être appliquée à des fins de recherche ou d’enseignement (parfois appelée « usage privé »). La mauvaise nouvelle est que la plupart des lois à travers le monde ne sont pas adaptées aux environnements numériques.

Carte 1 : Exceptions au droit d’auteur pour la recherche [4]

Notre recherche montre qu’une minorité de pays dans le monde, notamment parmi les plus riches, autorisent l’exploration de textes et données et de ressources protégées par le droit d’auteur. La carte 1 montre les résultats selon le système de couleurs suivant :

  • Vert (46 pays) – Ces pays sont les seuls à disposer d’exceptions suffisamment larges pour la recherche permettant à tout·e utilisateur·trice de procéder à une TDM collaborative (par exemple, le partage de travaux entre chercheur·euse·s), tous travaux confondus. Dans tous les autres pays, le droit d’auteur constitue un obstacle à certaines utilisations de la TDM.
  • Jaune (125 pays) – Ces pays prévoient des exceptions autorisant certaines utilisations de certains types de travaux, suffisantes pour autoriser certains projets de TDM. Mais les chercheur·euse·s devront examiner attentivement la pléthore de restrictions à leurs droits d’utilisation en relation avec un projet donné. À n’utiliser qu’avec précaution.
  • Rouge (10 pays) – Ces pays ne prévoient aucune exception permettant l’utilisation de travaux complets pour la recherche et l’éducation. Ils sont essentiellement opposés à toute TDM licite, sauf en cas de licence accordée par les personnes détentrices du droit d’auteur.

Le travail du PIJIP qui consiste à analyser les droits en matière d’éducation et de recherche n’est pas terminé. Nous établissons actuellement un relevé des exceptions pour l’éducation et arrivons à un même constat : seuls quelques pays dans le monde autorisent les utilisations en ligne de ressources pour l’éducation.

Vers une réforme de la législation en matière de droit d’auteur autorisant l’exploration de textes et données, et d’autres méthodes de recherche

Il existe toute une série de mesures que peuvent prendre les responsables politiques pour assurer que la TDM soit autorisée sans ambiguïté aux termes des lois en matière de propriété intellectuelle.

Traité international. Une des façons de garantir que tous les pays autorisent la TDM est de conclure un traité international contraignant. Un traité international permettrait d’exiger que tous les États parties respectent une norme minimale concernant les limitations et exceptions au droit d’auteur et que celles-ci puissent être appliquées au-delà de leurs frontières. Cette position est celle défendue depuis longtemps par l’Internationale de l’Éducation.

Réforme nationale. Les lois peuvent également être modifiées au niveau national. Les études mentionnées précédemment mettent en évidence les problèmes les plus manifestes et les niveaux où ils se situent. Les défenseur·euse·s de cette position pourraient utiliser ces informations pour répondre aux demandes de réforme ou de clarification de la loi afin d’autoriser la recherche et d’autres usages essentiels. Dans ce cas, un critère essentiel pour garantir une loi efficace est de faire en sorte que les exceptions soient applicables à tous les travaux, à toutes les utilisations protégées et à tou·te·s les utilisateur·trice·s. Les exceptions très spécifiques sont nettement moins susceptibles de s’avérer utiles dans un environnement numérique.

La voie à suivre : des exceptions pour l’éducation et la recherche dans les environnements numériques

Les jeunes peuvent contribuer à résoudre les problèmes liés à la propriété intellectuelle qui les concernent directement. Les jeunes, ainsi que ceux et celles qui les défendent et les représentent, doivent veiller à ce que les responsables politiques dans leurs pays et les forums internationaux s’emploient en priorité à actualiser les lois afin de les adapter aux environnements numériques. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons vraiment affirmer que nous avons tout mis en œuvre pour libérer les connaissances et l’énergie des jeunes, en vue de promouvoir une meilleure vision de notre avenir commun.

1. ^

Marc Prosser, How AI Helped Predict the Coronavirus Outbreak Before it Happened, Singularity Hub (5 février 2020) : https://singularityhub.com/2020/02/05/how-ai-helped-predict-the-coronavirus-outbreak-before-it-happened/

2. ^

Will Knight, Researchers Will Deploy AI to Better Understand Coronavirus, Wired (17 mars 2020) : https://www.wired.com/story/researchers-deploy-ai-better-understand-coronavirus/

3. ^

« TDM Stories ». OPENMINTED, http://openminted.eu/blog/ (consulté le 29 mars 2022).

4. ^

Sean Flynn, Michael Palmedo et Andrés Izquierdo, Research Exceptions in Comparative Copyright Law (PIJIP/TLS Research Paper Series n° 72-2021), https://digitalcommons.wcl.american.edu/research/72

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.