Journée de la démocratie : les syndicats de l’éducation se mobilisent et s’organisent pour sa défense
La démocratie est une valeur fondamentale pour les syndicats de l’éducation aux quatre coins du monde. Le 15 septembre, Journée internationale de la démocratie, les syndicats membres de l’Internationale de l’Éducation se sont réunis en ligne afin de réaffirmer leur attachement à défendre et à faire progresser la démocratie. Ce fut l’occasion pour les participant·e·s de donner un aperçu des défis rencontrés et de définir des stratégies pour l’avenir.
A l’heure où l’éducation, les enseignant·e·s et leurs syndicats sont attaqués dans de nombreux pays du globe, David Edwards, Secrétaire général de l’Internationale de l’Éducation, a expliqué que « partout dans le monde, les enseignant·e·s et leurs syndicats sont dans le collimateur des pouvoirs autoritaires parce que nous enseignons aux enfants à penser de manière critique, à exercer leur libre arbitre, à travailler collectivement et à défendre leurs droits. C’est une menace pour les pouvoirs autoritaires, qui sont tributaires d’une population ignorante et docile. »

Edwards a encouragé les syndicalistes de l’éducation à partager leurs expériences mutuelles et à unir leurs forces pour définir une réponse commune à la montée de l’autoritarisme à travers le monde. « Éducation & Démocratie : 25 leçons de la profession enseignante », corédigé par Fred van Leeuwen, secrétaire général émérite de l’Internationale de l’Éducation, et Susan Hopgood, ancienne présidente de l’Internationale de l’Éducation, distille la sagesse historique de la profession en 25 principes essentiels qui continuent de guider la mobilisation actuelle des enseignant·e·s pour la démocratie.
La montée de l’autoritarisme dans le monde
À l’occasion de la Journée internationale de la démocratie, les syndicalistes de l’éducation ont fait part des difficultés rencontrées à l’échelon national et des stratégies mises en œuvre pour y remédier.
Mettant en garde contre le fait que « le creusement des inégalités crée un terrain favorable pour les forces conservatrices et l’extrême droite », Manuela Mendonça, présidente de FENPROF (Portugal) et membre du Bureau exécutif de l’IE, a évoqué l’accélération de la montée de l’extrême droite et sa normalisation en Europe. Au Portugal, par exemple, l’extrême droite est passée de 1 à 22 % des voix en à peine six ans. Manuela Mendonça a souligné la nécessité de déconstruire le discours d’extrême droite et de nouer de larges alliances entre les forces progressistes de la société afin de renverser la tendance et de renforcer la démocratie. Et d’ajouter : « Éduquer pour la démocratie, apprendre aux élèves la pensée critique, l’empathie et l’attachement à défendre le bien public, telle est notre responsabilité en tant qu’enseignantes et enseignants et la meilleure défense contre l’extrémisme ».
Roberto Baradel de CTERA, Argentine, lui aussi membre du Bureau exécutif de l’IE, a évoqué la multiplication des attaques du président Javier Milei à l’encontre des enseignant·e·s et de leurs syndicats. Des accusations d’endoctrinement à l’encontre d’enseignant·e·s, motivées par des considérations politiques, compromettent la liberté académique en Argentine. Le gouvernement a mis en place des permanences téléphoniques pour l’enregistrement des plaintes contre le corps enseignant et il a intenté en vain une action en justice contre des enseignant·e·s qui avaient abordé avec leurs élèves le génocide à Gaza. Le gouvernement Milei tente également de priver les enseignant·e·s du droit de grève en définissant l’éducation comme un service essentiel. Les syndicats ont saisi l’Organisation internationale du Travail en contestation de cette décision. Certains leaders syndicaux ont été la cible d’attaques et de menaces sur les réseaux sociaux, donnant lieu à des poursuites devant les tribunaux dont l’issue leur a été favorable. Alors que Milei s’en prend depuis plusieurs années aux groupes progressistes dans le pays, une sévère défaite lui a récemment été infligée aux élections régionales à Buenos Aires, montrant que le peuple rejette largement ces politiques.
En Eswatini, le SNAT, unique syndicat d’enseignant·e·s dans le pays et l’un des plus anciens syndicats d’Afrique, est la cible d’une campagne de harcèlement soutenue de la part du gouvernement. Le secrétaire général du syndicat, Lot Mduduzi Vilakati, a évoqué la tentative d’intimidation à l’encontre de son organisation à travers la mise à l’écart de son président, Mbongwa Dlamini, suspendu de son poste d’enseignant depuis 2022. Les enseignant·e·s n’ont pas non plus le droit de parler de démocratie et le gouvernement refuse systématiquement de prendre part au dialogue social avec le syndicat. Une loi visant à interdire aux syndicats l’accès aux bâtiments gouvernementaux est actuellement débattue au parlement. Si elle venait à être adoptée, même la présentation d’une pétition deviendrait illégale. Dans ce climat hostile, Vilakati a souligné le rôle essentiel de la solidarité internationale et remercié l’Internationale de l’Éducation et ses organisations membres pour leur soutien indéfectible.
Evelyn DeJesus, membre du Bureau exécutif de l’IE et vice-présidente de la Fédération américaine des enseignantes et enseignants, a présenté la situation aux États-Unis où Donald Trump s’emploie à démanteler l’éducation publique et les soins de santé, à attaquer les universités, à tailler massivement dans l’aide alimentaire aux personnes défavorisées et à réduire l’aide internationale, et bien plus encore, dans le seul but de permettre à des milliardaires de bénéficier d’allégements fiscaux. Sa guerre contre les immigrés et la militarisation des villes américaines, y compris Washington D.C., ont plongé la démocratie dans une crise sans précédent. Toutefois, une résistance démocratique s’est mise en place pour s’opposer à Trump. L’AFT fait partie d’une coalition d’enseignant·e·s, de districts scolaires et de syndicats ayant déjà intenté plusieurs actions en justice contre le gouvernement. Le syndicat est également descendu dans les rues lors de manifestations massives le 4 mars, le 5 avril, le 1er mai – Fête du travail, et le 1er septembre – Labor Day, la Fête des travailleur·se·s aux États-Unis. Le 14 juin, les enseignant·e·s ont rejoint plus de cinq millions de personnes dans le contexte du mouvement « No Kings ! » (« Pas de rois ! »), signifiant clairement l’opposition populaire à l’autoritarisme de Donald Trump. Evelyn DeJesus a remercié les organisations membres de l’IE pour leur solidarité et leur soutien et conclu que « dans une démocratie, le peuple est la source ultime du pouvoir, c’est pourquoi il se doit de protéger ce pouvoir de façon constante en exerçant ses muscles démocratiques ».
La Corée du Sud nous offre un exemple de victoire de la résistance populaire face à l’autoritarisme : les enseignant·e·s y ont notamment joué un rôle clé dans la défense de la démocratie lors de la tentative de coup d’État orchestrée en 2024. Hyunsu Hwang, secrétaire international du syndicat coréen des enseignant·e·s et des travailleur·se·s de l’éducation (KTU), a présenté la réponse apportée par son syndicat à cette crise existentielle pour la démocratie. Dès la déclaration de la loi martiale par l’ancien Président Yoon Suk Yeol, les membres du KTU se sont rassemblé·e·s devant le parlement afin de protéger le pouvoir législatif qui adoptait un projet de loi destiné à arrêter le coup d’État. Pendant des mois, les enseignant·e·s ont poursuivi leurs actions dans les rues de façon quotidienne afin d’exiger la destitution du Président. Le 4 avril, la diffusion de la décision de destitution prononcée par la Cour constitutionnelle, en direct dans les salles de classe du pays, a transformé « la nation tout entière en salle de classe pour la démocratie », a fait observer Hyunsu Hwang.
Une mobilisation mondiale contre l’autoritarisme
Après un point sur la situation à l’échelle internationale, les organisations membres de l’IE ont discuté de la voie à suivre et travaillé à l’élaboration d’une stratégie commune pour s’opposer à l’extrême droite, quels que soient les contextes.
La solidarité internationale est apparue comme un élément essentiel de cette stratégie commune de défense de la démocratie. Les syndicats ont également souligné l’importance de bâtir de larges alliances dans l’ensemble de la société. Face à la rhétorique haineuse de l’extrême droite, il est essentiel d’élaborer une vision de l’avenir centrée sur la démocratie, l’inclusion et l’espoir.
Le président du CSEE John MacGabhann a proposé une réflexion sur la complaisance de certaines démocraties, dans un contexte où certains gouvernements qui se prétendent « amis » prennent un virage vers la droite pour tenter d’apaiser les forces d’extrême droite au sein de leur société, sans tenir compte des besoins des gens ordinaires. Dans ce contexte, les syndicats de l’éducation doivent agir de manière proactive en s’opposant aux mesures d’austérité déployées dans le secteur de l'éducation et au-delà afin de réduire les inégalités qui alimentent l’extrémisme. Les syndicats doivent également dialoguer avec les communautés et veiller à ce que les écoles deviennent des havres de paix pour toutes et tous.
Les syndicats ont en outre décidé de dénoncer systématiquement et publiquement les politiques autoritaires, en prenant part à des mouvements de mobilisation et de protestation pour exprimer leur désaccord et exercer des pressions sur les gouvernements.
Les organisations membres de l’IE s’emploieront à donner aux travailleuses et travailleurs de l’éducation les outils pour se rassembler, s’organiser et rester en sécurité tout en entretenant la joie et l’espoir des populations comme des gestes de résistance à l’autoritarisme.
Le plan d’action des syndicats pour la démocratie
Jelmer Evers, directeur du Comité syndical européen pour l’éducation (CSEE), a présenté les principales composantes d’un plan d’action mondial de l’IE pour défendre la démocratie, soulignant l’importance d’une planification stratégique à long terme.
L’IE mènera des recherches et dressera une cartographie dans le but d’éclairer cette stratégie commune, y compris des études de cas par pays destinées à explorer les menaces et les moyens efficaces de s'y opposer, les stratégies de réponse (professionnelles, législatives, judiciaires, éducatives, organisationnelles, et constitution d’alliances) et les enseignements tirés d’autres secteurs et syndicats.
L’apprentissage et le recrutement syndical s’organiseront autour de conférences, d’événements, de groupes et réseaux d’experts régionaux, de pôles de ressources, de guides et de boîtes à outils nationaux, et en suivant le modèle Organising4Power. Plusieurs conférences sur la liberté académique sont déjà prévues en Asie-Pacifique, en Amérique latine et au Royaume-Uni.
Notant que les attaques contre les travailleur·se·s et les mesures d’austérité sont des attaques contre la démocratie, Edwards a également mis en lumière le rôle de la campagne de l’IE La force du public : Ensemble on fait école ! comme vecteur important dans la lutte pour la démocratie.
« La démocratie n’est pas un sport spectacle, elle exige la participation et l’engagement de l’ensemble des membres de la société, » a souligné Edwards. Et Evers de conclure : « De l’organisation locale aux alliances internationales, c’est dans l’action collective que réside l’espoir. »