Crise éducative alarmante au Cameroun : les syndicats montent au créneau pour soutenir un système éducatif à bout de souffle
Les enseignant·e·s camerounais·es ont entamé la troisième phase de leurs actions de grève démarrées lors de la rentrée scolaire, à savoir l’opération « Éducation en berne ». La profession enseignante entend dénoncer la dégradation des conditions de travail et exiger des réformes profondes. Pour elle, le système éducatif est en déliquescence en raison de l’absence persistante de décisions politiques sur des questions importantes.
Des revendications de longue date
Dans son communiqué du 4 octobre 2025, le Collectif des organisations des enseignants du Cameroun (COREC), qui représente l’ensemble des corps de métiers de l’éducation de base, des enseignements secondaires, de l’éducation physique et sportive, et des personnels d’encadrement des secteurs public et privé, note « le refus systématique du Gouvernement de poser les actes politiques et financiers concrets répondant aux revendications fondamentales » qu’il porte.

Parmi les plus urgentes, la tenue d'un Forum National de l'Éducation pour mettre à jour les orientations stratégiques de l'éducation et le statut des enseignant·e·s. La dernière grande réunion de ce type remonte à 1996. Les enseignant·e·s du secteur privés demandent de leur côté une convention collective, car la convention actuelle date de 1964. Même si le dossier avance et le gouvernement montre une certaine bonne volonté, les dirigeant∙e∙s du privé résistent à l'adoption d'une convention, qui les obligerait à payer sur une base reconnue.
Le COREC considère que « cette impasse, qui résulte d’un déficit de décision politique au plus haut niveau de l’État, constitue un mépris inacceptable envers une profession garante de l’avenir de la Nation et rend caduques les promesses de résolution de la crise ».
Prenant « ses responsabilités devant la Nation et devant l’histoire », le COREC a appelé « l’ensemble des personnels à l’engagement massif et discipliné » dans l’opération « Éducation en berne », à compter du 6 et jusqu’au 10 octobre 2025, puis du 20 au 24 octobre 2025, la forme d’une grève du zèle.
« Depuis 2012, nous sommes engagés dans des négociations avec les autorités, avec plusieurs revendications. À la limite, nous n’avons plus besoin de rencontrer les autorités. Nous avons déjà eu des rendez-vous avec elles à propos des mêmes problèmes. Ils les connaissent donc très bien. Ils font semblant de nous ignorer même quand on fait grève », explique Michel Tamo, secrétaire général de la Fédération des Syndicats de l’Enseignement et de la Formation (FESER).

L’impact de l’élection présidentielle
Thobie Emmanuel Mbassi, secrétaire général de la Fédération camerounaise des syndicats de l'éducation (FECASE), est, quant à lui, revenu sur le contexte politique actuel au Cameroun et l’élection présidentielle qui se tiendra le 12 octobre 2025 : « Dans un contexte électoral où les gens veulent l’alternance, ils écoutent les propositions de nouvelles politiques. Ils suivent l’opposition qui se forme. »
Il se demande néanmoins si les partis de l’opposition réussiront à se fédérer pour réduire le nombre de candidat∙e∙s et avoir une chance de l’emporter, et insiste sur le fait que « l’élection met sous le boisseau toutes les autres activités, car tous les médias ne parlent que de la campagne électorale».
Le dirigeant de la FECASE indique aussi que les syndicats ont envoyé une invitation aux partis politiques « pour qu’ils nous disent ce qu’ils comptent faire concernant les demandes des syndicats. Pour que l’éducation fonctionne, il faut changer ce régime qui ne fait rien. Il faut une forte mobilisation des enseignants. »
Six partis ont répondu à l’appel et la rencontre s’est tenue le 4 octobre. Trois tables-rondes regroupant chacune deux candidats et animées par des syndicalistes de la FECASE et de la FESER ont permis aux représentants des différents candidats d’une part, d’échanger avec les enseignant∙e∙s et la société civile de l’éducation, et d’autre part de prendre en compte les revendications des syndicats dans leurs différents programmes politiques, rapporte M. Mbassi.
M. Tamo ajoute : « Les enseignants et enseignantes sont impliqués dans les élections. Vous pouvez booster votre campagne en disant que si le pays va mal, c’est parce que l’éducation va mal. Donc il faut entendre le cri de la profession enseignante. »
Le 5 octobre, Journée mondiale des enseignant∙e∙s, a été l’occasion de réitérer les demandes syndicales. La veille, les syndicats ont rencontré les dirigeant∙e∙s de l‘opposition politique.
Des défis de communication
MM. Tamo et Mbassi mentionnent aussi tous les deux des difficultés pour informer et organiser les enseignant∙e∙s au Cameroun.
« De manière collective, il n’y a pas eu de conférence de presse, nous avons saisi des journaux qui en ont parlé », ajoute M. Tano. « Nous avons choisi de communiquer plus par les réseaux sociaux, car chaque syndicat peut alors mobiliser sur ses propres forums régionaux, départementaux, locaux, pour toucher un maximum de membres. Les enseignants et enseignantes sont sensibilisés par leurs propres syndicats. »
Une grève en plusieurs phases
Face à l'absence de réponses concrètes de la part du gouvernement, le COREC a donc décidé de lancer une grève en plusieurs phases. Du 8 au 12 septembre 2025, les enseignant·e·s avaient d’abord observé une « opération craie morte », se rendant dans leurs établissements sans dispenser de cours. Du 15 au 17 septembre, c'était l'« opération école morte », avec une cessation totale des activités. Le mouvement s’est donc intensifié à partir du 6 octobre 2025.
La force du public : ensemble on fait école !
Ses revendications s’inscrivent en droite ligne avec celles de la campagne lancée il y a plus de deux ans par l’Internationale de l’Éducation, La force du public : ensemble on fait école !. Celle campagne est un appel urgent aux gouvernements pour qu'ils investissent dans l’enseignement public, un droit humain fondamental et un bien public, et qu'ils investissent davantage dans les enseignant·e·s, le facteur le plus important pour parvenir à une éducation de qualité. Dans le cadre de La force du public, les syndicats de l’éducation travaillent ensemble au-delà des frontières pour garantir le droit de chaque élève à avoir un·e enseignant·e qualifié·e bien soutenu·e et un environnement d'apprentissage de qualité.
La grève est bien le reflet d'un malaise profond. Les revendications portées par le COREC sont légitimes et témoignent d'une volonté de réformer en profondeur l'éducation au Cameroun. Face à l'inertie du gouvernement, la profession enseignante a choisi de se mobiliser pour défendre sa dignité et l'avenir des jeunes générations du pays.