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Malawi : une initiative des syndicats de l'éducation sauve des enfants du travail forcé et leur permet de rester à l'école

Publié 23 février 2023 Mis à jour 20 mars 2024

Des organisations membres de l'Internationale de l'Éducation au Malawi, le Teachers' Union of Malawi (TUM) et le Private Schools Employees Union of Malawi (PSEUM), ont permis à plus de 1.000 enfants de retourner à l'école et à 1.200 autres d'éviter le décrochage scolaire.

Le coordinateur des programmes nationaux du TUM, Pilirani Kamaliza, a tenu à souligner les points suivants : « Il est essentiel pour notre syndicat d'enseignants de prendre part à la lutte contre le travail des enfants et de faire en sorte que tous les enfants en âge d'être scolarisés aillent à l'école. En plus d'améliorer la visibilité et l'image positive du syndicat et de contribuer à de bonnes relations de travail entre le gouvernement et le syndicat, c'est aussi une source de motivation pour nos membres, dans la mesure où le travail des enfants a une incidence négative sur les résultats scolaires de ces enfants (en particulier pour ceux qui combinent l'école et le travail) et nuit donc au travail des enseignantes et enseignants. Or, ce qui motive nos enseignantes et enseignants, c'est précisément l'amélioration des performances scolaires de nos enfants. »

Il a également admis que « le fait de veiller à ce que tous les enfants soient scolarisés crée automatiquement un besoin et une demande de recrutement d'enseignantes et enseignants supplémentaires par le gouvernement afin de respecter le ratio recommandé entre le nombre d'élèves et le nombre d'enseignantes et enseignants. Ces enseignantes et enseignants supplémentaires constituent autant de nouveaux membres potentiels pour les syndicats, à qui cela permet de renforcer leurs effectifs et leurs ressources financières. »

Kamaliza a poursuivi en déclarant : « « Avant tout, notre participation à la lutte contre le travail des enfants entraîne un changement de comportement des enseignantes et enseignants envers leurs élèves, faisant des écoles des lieux plus sûrs et plus attrayants pour les apprenantes et apprenants ».

Depuis juillet 2021, le TUM et le PSEUM ont mis en place une zone sans travail des enfants à Chigudu, une zone d'éducation regroupant 15 écoles situées dans le district de Dowa au Malawi. Le travail des enfants dans cette région concerne avant tout l'agriculture (le tabac, entre autres), l'élevage, le travail domestique et le petit commerce. Avant le début du projet, sur 11.291 enfants en âge d'être scolarisés, 9.579 étaient effectivement scolarisés, tandis que 1.591 (790 garçons et 801 filles) n'étaient pas scolarisés dans la zone d'éducation de Chigudu.

Dans quatre des cinq écoles visitées par l'Internationale de l'Éducation et la GEW Fair Childhood Foundation entre le 14 et le 18 novembre 2022, les chef·fe·s de village/directeur·trice·s d'école/enseignant·e·s référent·e·s ont fait en sorte que la quasi-totalité des enfants en âge d'être scolarisés qui vivent dans leur zone d'enseignement fréquentent effectivement l'école.

Certain·e·s directeur·trice·s d'école ont également constaté une amélioration des résultats scolaires grâce à l'impulsion que ce projet syndical a donnée à l'éducation et qui a conduit à la création d'une zone sans travail des enfants.

Le TUM et le PSEUM projettent de développer une zone sans travail des enfants dans une zone de pêche. Pour l'instant, ces syndicats ont développé des projets dans des zones où la plupart des enfants qui travaillent sont occupés dans la production de denrées d’exportation, comme le tabac ou le thé. Les syndicats souhaiteraient développer un projet de ce type dans une zone fortement affectée par le travail des enfants mais liée à un produit consommé localement comme le poisson.

Facteurs clés pour des changements positifs

Les résultats positifs obtenus par la zone sans travail des enfants sont dus à un certain nombre de facteurs que le TUM et le PSEUM ont identifié :

  • Le changement des mentalités dans les villages au sujet du travail des enfants et de l'importance de l'éducation. Les syndicats sensibilisent les leaders des communautés et les parents à l'importance de l'éducation et exposent les risques liés au travail des enfants. De même, des clubs d'enfants ont contribué à l'attractivité des écoles à travers des activités sportives, de divertissement, de théâtre, etc.
  • L'adoption et l'application de règlements par les chef·fe·s et les dirigeant·e·s des villages. Les chef·fe·s ont bénéficié d'une séance d'information spécifique sur le travail des enfants pendant la formation du projet, qui semble avoir été très productive. En juin 2022, il·elle·s avaient adopté 31 règlements. Ces règlements prévoyaient d'imposer des sanctions aux parents qui n'envoyaient pas leurs enfants à l'école.
  • L'organisation de cours de rattrapage pour les anciens enfants travailleur·euse·s qui ont été ramenés à l'école et qui sont donnés par les enseignant·e·s l'après-midi.
  • L'attitude des directeur·trice·s d'école/enseignant·e·s lorsqu'un enfant est en situation de décrochage scolaire. Les dirigeant·e·s des établissements scolaires contrôlent mieux l'absence des enfants et réagissent rapidement pour savoir pourquoi un enfant n'est pas à l'école.
  • Une amélioration de la pédagogie. Par exemple, à travers les formations syndicales dispensées dans le cadre du projet de zone sans travail des enfants, les enseignant·e·s ont appris ou se sont vu rappeler comment éviter les châtiments corporels.
  • La formation des membres des conseils de direction des écoles et des associations parents-enseignant·e·s. Après leur formation, ces instances joueront également un rôle important dans la sensibilisation des parents, dans le cadre de réunions ou d'assemblées de parents d'élèves organisées par les chef·fe·s.
  • L'implication des associations de mères. De telles associations existent dans chaque école. En se concentrant davantage sur les filles, elles visitent les parents qui n'envoient pas leurs enfants à l'école, fournissent aux filles un soutien en matière d'hygiène menstruelle et aident les mères adolescentes à rester à l'école pendant et après leur grossesse.

La zone sans travail des enfants présente des avantages pour les syndicats de l'enseignement

Le secrétaire général du PSEUM, Falison Lemani, a regretté que « le gouvernement du Malawi présente un mauvais bilan en matière de travail des enfants » et a souligné que "lorsque les syndicats mettent en œuvre ce type de projets contre le travail des enfants, cela présente un grand intérêt pour les ministères concernés, comme le ministère du Travail. Cela nous aide à bénéficier d'une meilleure image et à être associés aux discussions/problèmes liés à la profession enseignante. »

Kamaliza du TUM a ajouté que « tel a été le cas par exemple en janvier 2022 lors de l'adoption par le gouvernement d'un code de conduite national pour les enseignantes et enseignants : notre point de vue a été pris en compte. Nous insistons pour que la définition du travail des enfants soit la suivante : ‘Tout travail susceptible d'être dangereux, d'interférer avec l'éducation de l'enfant ou de nuire à sa santé, à son développement physique, mental, spirituel ou social’. »

Le consultant de l'Internationale de l'Éducation, Samuel Grumiau, a également salué « l'excellente coopération dans ce projet entre le TUM et le PSEUM ». Les deux syndicats ont veillé à ce que l'ensemble de leur personnel soit tenu au courant de l'évolution des projets.

Défis

Le TUM et le PSEUM ont également fait état d'une série de défis majeurs rencontrés lors de la mise en œuvre du projet de zone sans travail des enfants, à savoir :

  • La pénurie d'enseignant·e·s. Les directeur·trice·s d'école tout comme les enseignant·e·s ont souligné que le ratio élèves/enseignant·e·s était bien trop élevé. Le secrétaire général du TUM, Charles Kumchenga, a rappelé qu'alors même que le gouvernement était disposé à embaucher des milliers d'enseignant·e·s qualifié·e·s, les restrictions du Fonds monétaire international (FMI) l'en empêchent. Ce constat est confirmé par une étude de l'Internationale de l’Éducation datant d'avril 2022 ‘Teacher Wage Bill Constrains: Perspectives from the Classroom’: « Le Malawi connaît une grave pénurie d'enseignantes et enseignants. Selon les estimations des chercheuses et chercheurs, en 2020, au moins 3.305 enseignantes et enseignants du primaire n'étaient pas qualifiés. Avec un ratio élèves/enseignant de 65:1 en 2019/20, le Malawi devrait recruter 52 459 enseignantes et enseignant du primaire pour parvenir à un ratio de 40:1 d'ici 2030. »
  • Le manque de motivation causé par les difficultés d'accès à l'enseignement secondaire. Les responsables syndicaux·ales du TUM et du PSEUM, les directeur·trice·s d'école, les enseignant·e·s et les parents ont souligné que la difficulté à accéder à l'enseignement secondaire, en raison du manque d'écoles secondaires, constitue une source majeure de démotivation pour les enfants et les parents. Seuls ceux qui obtiennent les meilleures notes sont sélectionnés. Les coûts de l'enseignement secondaire (frais de scolarité) sont également un obstacle.
  • Les infrastructures/le matériel scolaire. Dans certaines zones, l'accès à l'école n'est pas possible lorsqu'il pleut, car le niveau de la rivière est trop haut. Par ailleurs, les écoles manquent de manuels scolaires, de craies, etc.
  • La faim. À l'heure actuelle, seules 4 des 15 écoles de Chigudu ont un programme d'alimentation. Le programme est organisé par les écoles avec le soutien des chef·fe·s des villages environnants. Grâce au projet syndical, une cinquième école est en train de mettre en place son propre programme alimentaire.
  • Des problèmes familiaux importants, comme les divorces ou le décès des parents. Des solutions locales peuvent parfois être trouvées, avec le soutien de chef·fe·s, de groupes de solidarité locaux ou d'ONG.
  • Comportement des anciens enfants travailleurs qui retournent à l'école. Certains de ces enfants peuvent causer de sérieux problèmes aux écoles et aux éducateur·trice·s. Par exemple, les élèves qui avaient l'habitude de s'occuper du bétail (en le battant parfois) ont commencé à battre d’autres élèves ou à les rudoyer. Dans ce genre de situation, les enseignant·e·s s'efforcent de résoudre ces problèmes par le dialogue et le conseil. Il·Elle·s appellent toutefois à la prudence. Les enfants ramenés à l'école peuvent influencer les autres, et les inciter à abandonner l'école, d'où l'importance des cours de rattrapage.

Lien vers la campagne « Ensemble on fait école ! » de l'Internationale de l'Éducation

Ce projet mené par les syndicats de l'éducation du Malawi est en phase avec la récente campagne « La force du public : Ensemble on fait école ! » de l'Internationale de l'Éducation. Cette campagne vise à soutenir les organisations membres dans leur lutte contre les coupes budgétaires, les mesures d'austérité et la privatisation, et dans leur mobilisation en faveur d'un enseignement public de qualité pour toutes et tous, entièrement financé et inclusif.