Irak : un mouvement de grève historique conduit à des augmentations salariales et fait avancer l’éducation
C’est une victoire historique pour les éducateur·trice·s en Irak : le Syndicat des enseignant·e·s d’Irak (Iraq Teachers Union − ITU) a mené avec succès une grève nationale et obtient de considérables changements politiques au bénéfice des enseignant·e·s et du secteur de l’éducation. Cette mobilisation, précédée en 2024 du lancement national de la campagne de l’Internationale de l’Éducation (IE) « La force du public : ensemble, on fait école ! », a entraîné des réformes politiques substantielles, notamment des augmentations salariales et la distribution de terres, ainsi qu'a fait progresser la loi sur la protection des enseignant·e·s.
Les revendications de la grève
À travers l’Irak, plus de 1,2 million d’éducateur·trice·s ont investi les rues pour exiger un meilleur salaire, une amélioration des conditions de travail et une hausse des indemnités financières. Comparé à d’autres secteurs publics nationaux, le salaire des enseignant·e·s demeure parmi les plus bas du pays, une situation qui les incite en grand nombre à rechercher un emploi supplémentaire pour arrondir leurs fins de mois, parallèlement à un coût de la vie en hausse.
La grève, menée par le Comité de coordination des enseignant·e·s, a appelé à l’intégration de la profession enseignante dans le cadre d’une nouvelle loi sur le service éducatif, à l’instar de la législation existante dont bénéficient les professeur·e·s d’université. Le comité a également exigé une augmentation des indemnités de vie chère, des frais professionnels, des indemnités de transport et des pensions alimentaires.
En première ligne, des voix s’élèvent
« Les demandes présentées sont légitimes », a déclaré Abou al-Ghaith, un éducateur retraité de Bagdad. « Depuis des années, nous entendons des promesses de soutien, alors même que les conditions ont empiré. Notre patience est épuisée, et ces demandes reflètent des besoins authentiques. Depuis presque deux ans, des enseignants et enseignantes sous contrat ne perçoivent plus de salaire, alors que d’autres touchent à peine 300.000 dinars irakiens par mois (près de 200 $). Ce montant est insuffisant au regard de la conjoncture économique. Et les enseignants et enseignantes dépensent souvent plus que le montant des indemnités reçues, surtout dans les zones rurales et reculées », a-t-il ajouté.
Sami Majid al-Tamimi, un autre responsable éducatif lui aussi à la retraite, fait écho à ce sentiment, décrivant les demandes comme justes : « Ces demandes sont réellement légitimes. Les enseignants et enseignantes sont marginalisé·s sans aucune indemnité, sans compensation des risques et sans aide au logement. Depuis les années 1980, aucune nouvelle zone résidentielle n’a été prévue à leur intention. J’ai pris ma retraite après une carrière de 36 ans, sans recevoir de terres ou d’avantages significatifs. Le salaire enseignant s’élève à seulement 300.000 dinars (environ 229 $), alors que d’autres ministères rémunèrent leurs employés plusieurs millions de dinars. La profession enseignante est devenue une marchandise bon marché », a-t-il témoigné.
La réponse du gouvernement
La grève a fortement perturbé le fonctionnement des écoles dans l’ensemble du pays. Les salles de classe se sont retrouvées majoritairement vides, alors que les enseignant·e·s répondaient à l’appel à l’action lancé à tout le secteur. En réaction, le Premier ministre Mohammed Chia al-Soudani a annoncé une – première – mesure visant à allouer des terrains résidentiels aux éducateur·trice·s. Les enseignant·e·s et représentant·e·s des syndicats estiment que cette mesure, à elle seule, constituerait une réponse suffisante à leurs griefs au sens large.
Au début du mois d’avril 2025, le ministre de l’Enseignement Ibrahim Namis al-Jabouri, des représentants syndicaux menés par le secrétaire général de l’ITU Ouday al Issawi et le secrétaire général du Conseil des ministres Hamid Naeem al-Ghazi ont tenu une réunion afin d’examiner les préoccupations soulevées par le secteur de l’enseignement.
Faire avancer la loi de protection des enseignant·e·s
L’ITU a franchi des étapes majeures, eu égard, surtout, à l’augmentation des salaires et des indemnités, aux avancées vers l’adoption de la loi relative à la protection des enseignant·e·s, à l’acquisition de droits fonciers pour les enseignant·e·s et à la mobilisation massive des éducateur·trice·s à l’occasion de cette grève sans précédent. Bien que certaines réformes structurelles et certains objectifs de financement soient toujours en cours, le syndicat a su maximiser son impact en tirant efficacement parti de l’agenda politique national (élections en novembre 2025) et, à l’échelle internationale, d’un élan et d’une dynamique de formation (campagne « La force du public »).
La loi de protection des enseignant·e·s est une revendication centrale des protestations dans le pays. Elle vise à protéger les droits, la dignité et les conditions de travail des éducateur·trice·s. Cette loi s’inspire largement des Recommandations de l’ONU sur la profession enseignante qui prévoient des protections légales contre le harcèlement et les abus, mais aussi des procédures disciplinaires claires, une stabilité de l’emploi et un soutien lors de manifestations et de grèves. La loi devrait reconnaître officiellement le statut de fonctionnaires publics essentiels des enseignant·e·s, qui méritent le même respect et la même protection juridique que les autres fonctionnaires. Le ministère de l’Éducation serait responsable de la bonne application de la loi, et la supervision serait assurée par un comité ad hoc ou un organe de médiation en cas de violation.
L’ITU poursuit son plaidoyer en vue d’améliorer les conditions de travail et d’augmenter le financement de l’enseignement. L’objectif stratégique du syndicat vise à créer un milieu scolaire davantage bienveillant et mieux financé, ce qui devrait s’avérer bénéfique pour l’enseignement public irakien.
Le syndicat continue à s’engager afin de veiller à ce que chaque enseignant·e soit estimé·e à sa juste valeur, bénéficie d’un soutien et soit suffisamment bien équipé·e pour participer à la construction d’un avenir radieux en Irak. Ces dernières évolutions marquent une progression notable vers cet objectif et soulignent le pouvoir de l’action collective en tant que moteur de changement pour un enseignement public de qualité.