Nouvelles données TALIS : un·e jeune enseignant·e sur deux envisage de quitter la profession
Les nouvelles données dévoilent une sombre réalité : un·e enseignant·e de moins de 30 ans sur cinq envisage de quitter la profession au cours des cinq prochaines années. Un chiffre qui, dans certains systèmes éducatifs, concerne même la moitié des jeunes enseignant·e·s. Cette conclusion de l’Enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage (TALIS) de 2024, lancée aujourd’hui, fournit des éléments de preuve déterminants sur les facteurs qui sous-tendent l’attrition des enseignant·e·s, sur fond de pénurie mondiale de 50 millions d’enseignant·e·s dans l’éducation de la petite enfance, l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire.
L’enquête identifie les facteurs qui favorisent la rétention et le bien-être. Les enseignant·e·s qui bénéficient d’une plus large autonomie pédagogique font état d’une meilleure adaptabilité, d’une satisfaction professionnelle accrue et d’un plus grand bien-être. La responsabilisation du personnel enseignant augmente la satisfaction professionnelle.
Les enseignant·e·s qui suivent chaque mois une formation professionnelle collaborative font état d’un bien-être plus élevé, tandis que celles et ceux impliqué·e·s dans des activités d’échange et de coordination éprouvent généralement une plus grande satisfaction professionnelle. Le bien-être et la satisfaction professionnelle du personnel enseignant sont étroitement liés au soutien de la direction et à des relations positives avec les étudiant·e·s et les parents. Les enseignant·e·s qui se sentent valorisé·e·s par les élèves affichent également une plus grande satisfaction professionnelle et un meilleur bien-être.
Menée tous les cinq ans par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), TALIS est unique en son genre car c’est la seule étude internationale qui donne le point de vue du personnel enseignant et de la direction en matière de développement professionnel, de satisfaction au travail, d’évaluation et d’attitude à l’égard de l’enseignement et du leadership. Les résultats de 2024 indiquent des changements significatifs par rapport à l’édition de 2018. C’est également la première fois que l’enquête se penche sur l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) par les enseignant·e·s dans le cadre de leur travail.
La réponse de l’Internationale de l’Éducation
Répondant aux conclusions de l’enquête, David Edwards, secrétaire général de l’Internationale de l’Éducation (IE), a déclaré :
« Les solutions sont connues. Les gouvernements doivent investir dans la profession enseignante en garantissant des salaires compétitifs, des charges de travail raisonnables, une prise en charge financière complète du développement professionnel et des emplois sûrs. Mais les investissements à eux seuls ne suffisent pas. Les enseignants et enseignantes doivent également bénéficier d’une réelle autonomie, d’une voix dans l’élaboration des politiques et des ressources nécessaires pour offrir à chaque étudiant et étudiante un enseignement de qualité. »
M. Edwards a également souligné l’ampleur des investissements requis et détaillé le plan d’action : « Selon le Rapport mondial de l’UNESCO sur les enseignants, combler le déficit d’enseignants et enseignantes d’ici 2030 coûtera 120 milliards de dollars US par an, rien que pour l’enseignement primaire et secondaire. La campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » de l’IE exhorte les gouvernements à mieux financer l’enseignement public. Pour y parvenir, des systèmes de taxation progressive et juste qui freinent l’évasion fiscale et soutiennent la justice fiscale sont essentiels. Il ne suffit pas de donner la priorité à l’éducation dans les budgets nationaux : des réformes fiscales destinées à améliorer la mobilisation fiscale nationale et à augmenter les budgets publics dans leur ensemble sont également nécessaires.
Selon Mugwena Maluleke, président de l’IE, les résultats de l’enquête soulignent l’urgence de ces actions :
« L’enquête TALIS fournit une base solide au dialogue qui s’impose entre syndicats de l’éducation et pouvoirs publics. Elle incarne la voix du personnel enseignant. Ses données confirment nos affirmations : investir dans la profession enseignante, que ce soit au niveau salarial, des conditions de travail, du développement professionnel ou de sa voix dans l’élaboration des politiques, est crucial pour garantir des systèmes éducatifs de qualité et retenir le personnel enseignant. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut également garantir aux enseignants et enseignantes une réelle autonomie professionnelle et la possibilité d’accéder à des postes à responsabilités. Les gouvernements doivent réduire la charge administrative, institutionnaliser le dialogue social et assurer l’accès à la formation dans des domaines essentiels tels que l’intelligence artificielle et la pédagogie inclusive. Ils doivent également garantir des environnements de travail sûrs qui luttent activement contre la violence, l’agressivité verbale et le manque de respect. Le bien-être de la profession enseignante n’est pas un luxe. C’est un élément essentiel pour soutenir l’enseignement public. »
Une pénurie mondiale en voie d’aggravation
L’enquête le démontre clairement, la pénurie d’enseignant·e·s est un phénomène en pleine croissance. Selon les données de l’étude PISA 2022 citées dans l’enquête TALIS, le nombre d’établissements scolaires dont la direction a fait savoir que le manque d’enseignant·e·s qualifié·e·s entravait les cours est passé de 26 % à 47 % entre les cycles.
En moyenne, 17 % des enseignant·e·s encore éloigné·e·s de la retraite comptent quitter la profession au cours des cinq prochaines années, un chiffre qui varie entre moins de 6 % en Corée, au Portugal et au Vietnam et plus de 30 % en Estonie, en Lettonie et en Lituanie. Parmi les enseignant·e·s de moins de 30 ans, 20 % prévoient de quitter l’enseignement au cours des cinq prochaines années, un chiffre plus élevé qu’en 2018. En Lettonie, en Lituanie et en Estonie, la moitié environ des jeunes enseignant·e·s ont l’intention de délaisser la profession.
Les données de l’enquête révèlent un élément déterminant : les enseignant·e·s satisfait·e·s de leur travail sont cinq fois moins susceptibles de vouloir quitter l’enseignement au cours des cinq prochaines années que leurs collègues qui ne le sont pas.
Si près de neuf enseignant·e·s sur dix en moyenne déclarent être satisfait·e·s de leur travail, les niveaux varient considérablement selon les systèmes. Les enseignant·e·s qui estiment que leur opinion est valorisée par les décideur·euse·s politiques sont 35 % moins susceptibles de vouloir partir. Les enseignant·e·s satisfait·e·s de leur salaire sont 25 % moins susceptibles de vouloir partir, tandis que les enseignant·e·s satisfait·e·s de leurs conditions d’emploi sont près de 40 % moins susceptibles de partir.
La charge de travail, la violence et le manque de respect comme sources de stress
Dix pour cent des enseignant·e·s affirment que l’enseignement a un impact « important » sur leur santé mentale, et 8 % déclarent qu’il a un impact « important » sur leur santé physique. Le travail administratif est source de stress pour 52 % des enseignant·e·s, tandis que 45 % déclarent que le maintien de la discipline représente une source de stress.
Les jeunes enseignant·e·s, notamment, sont affecté·e·s de manière plus disproportionnée à des classes exigeantes, ce qui augmente le risque d’épuisement professionnel.
Plus inquiétant sans doute, 18 % des enseignant·e·s font état de l’agressivité verbale des élèves comme source de stress, un chiffre qui atteint même 47 % au Brésil. L’enquête note que le fait d’être victime d’agressivité verbale explique sans doute plus l’insatisfaction au travail que la charge de travail ou d’autres facteurs. Parmi les autres facteurs de stress importants, on compte encore le fait de répondre aux préoccupations des parents (42 %), d’être tenu·e responsable de la réussite des étudiant·e·s (45 %) et de s’adapter à des changements constants (39 %).
Le déficit salarial et statutaire
Seul·e·s deux enseignant·e·s sur cinq sont satisfait·e·s de leur salaire. En Islande, à Malte, au Portugal et en Serbie, moins d’un·e enseignant·e sur cinq se sent satisfait·e de son salaire.
Environ 14 % des enseignant·e·s ont un contrat à durée déterminée d’un an ou moins, une proportion considérablement plus élevée parmi les enseignant·e·s plus jeunes et en début de carrière. Quelque 20 % des enseignant·e·s travaillent à temps partiel.
En moyenne, moins de 30 % des enseignant·e·s estiment que leur opinion est valorisée par les décideur·euse·s politiques de leur pays ou de leur région, un chiffre qui tombe en dessous de 10 % en Croatie, en Estonie, en France, en Italie, au Portugal, en Slovénie et en Espagne. Seul·e·s 35,3 % des enseignant·e·s s’estiment valorisé·e·s par la société, un chiffre qui va de 80 % au Kazakhstan, en Ouzbékistan et au Vietnam à moins de 10 % en Croatie, en France, en Hongrie, au Portugal, en Slovaquie et en Slovénie.
L’implication des enseignant·e·s dans la prise de décisions concernant l’établissement qui affectent la pratique de leur métier est en diminution. Seul·e un·e enseignant·e sur deux est investi·e d’une responsabilité significative dans les politiques scolaires, et moins de quatre sur dix jouent un rôle dans la définition des politiques d’amélioration de l’établissement.
Préparation à la diversité : le manque de ressources
Les établissements scolaires sont plus divers qu’en 2018 : 10 % des étudiant·e·s sont allophones et plus de 10 % ont des besoins spéciaux. Pourtant, seul·e·s 33 % des enseignant·e·s se sentent prêt·e·s à enseigner en milieu multiculturel, et seul·e·s 44 % se sentent prêt·e·s à promouvoir le développement social et émotionnel des étudiant·e·s. La préparation au contenu des matières et aux méthodes pédagogiques a également diminué depuis 2018.
Le manque de compétences pour enseigner à des étudiant·e·s ayant des besoins spéciaux est perçu comme un obstacle par 33 % des enseignant·e·s. Le manque de personnels de soutien est évoqué par 31 % des enseignant·e·s en moyenne, un chiffre qui atteint plus de 50 % en Autriche, en Colombie, en communauté francophone de Belgique, en Italie, au Maroc, en Afrique du Sud et en Espagne.
Développement professionnel et intelligence artificielle
Alors que 73 % des enseignant·e·s déclarent avoir participé à des activités de formation (contre 63 % dans les autres professions), seul·e un·e sur deux estime que celles-ci ont eu un impact. Le manque de temps est, après le coût, le principal obstacle à l’accès au développement professionnel.
L’intelligence artificielle est le besoin d’apprentissage le plus souvent signalé (29 % des enseignant·e·s). Trois enseignant·e·s sur quatre déclarent ne pas disposer des compétences ou des connaissances nécessaires pour intégrer l’IA dans leurs cours, et la moitié environ affirme que celle-ci n’a pas sa place dans l’enseignement. Un·e enseignant·e sur trois déclare être dépassé·e par le passage aux nouvelles technologies, en particulier l’IA.
L’enquête fait état d’importants écarts à l’échelle mondiale en ce qui concerne l’adoption de l’intelligence artificielle. Trois enseignant·e·s sur quatre utilisent celle-ci dans leur travail à Singapour et aux Émirats arabes unis, contre moins d’un sur cinq en France ou au Japon. Seul·e·s 18 % des enseignant·e·s en France et 31 % au Danemark et en Finlande conviennent que l’intelligence artificielle contribue à une meilleure planification des cours, contre 87 % aux Émirats arabes unis et 91 % au Vietnam.
La force du public : ensemble on fait école !
Les données de l’enquête TALIS confirment le postulat central de la campagne « La force du public : ensemble on fait école ! » de l’Internationale de l’Éducation, à savoir que des investissements publics adéquats dans l’éducation et la profession enseignante sont essentiels pour répondre à la pénurie d’enseignant·e·s et garantir à l’ensemble des étudiant·e·s une éducation de qualité.
Dans le cadre de cette campagne, les syndicats de l’éducation de 180 pays et territoires se mobilisent pour exiger des pouvoirs publics qu’ils augmentent les investissements publics dans l’éducation, assurent aux enseignant·e·s des salaires compétitifs, offrent des contrats sûrs, financent un développement professionnel de qualité, placent les enseignant·e·s au cœur de l’élaboration des politiques éducatives par le biais d’un véritable dialogue social, et créent des environnements de travail sûrs, conformément à la mise en œuvre des recommandations des Nations Unies sur la profession enseignante.
L’enquête TALIS 2024 est disponible en intégralité (en anglais seulement pour l’instant) sur www.oecd.org/education/talis.