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Mondes de l'éducation

Voix de l’éducation | Réglementer les technologies numériques et l’IA dans l’enseignement supérieur à travers la négociation collective

Entretien avec Eric Rader, co-président du Conseil des programmes et des politiques de l'enseignement supérieur (Higher Education Program and Policy Council) du syndicat American Federation of Teachers (AFT)

Publié 2 décembre 2025 Mis à jour 27 novembre 2025
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Ce témoignage a été recueilli dans le cadre du projet de recherche intitulé « Au cœur de la tourmente : l’enseignement supérieur dans un monde en crise », mené pour l’Internationale de l’Éducation par Howard Stevenson, Maria Antonietta Vega Castillo, Melanie Bhend et Vasiliki-Eleni Selechopoulou. Le rapport et le résumé de l’étude sont disponibles ici.

Mondes de l’éducation : l’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus présente dans de nombreux aspects de la vie. Dans l’enseignement supérieur, l’IA est porteuse, à la fois de défis et d’opportunités. Comment l’AFT s’est-elle attaquée aux enjeux de l’IA dans le secteur ?

L’AFT a décidé d’adopter une réponse proactive et stratégique à l’IA dans l’éducation. À cette fin, nous avons établi deux groupes chargés d’examiner les implications croissantes de l’utilisation de l’IA dans le secteur de l’éducation dans son ensemble.

Initialement, un groupe a été mis en place pour examiner les enjeux de l’IA à tous les niveaux de l’éducation (du niveau K-12, aux États-Unis, qui couvre l’ensemble du cursus scolaire, de la maternelle au secondaire, jusqu’à l’enseignement supérieur). En 2024, le groupe a publié un rapport définissant des « garde-fous de bon sens » pour l’utilisation des technologies de pointe dans les institutions éducatives.

Nous avons, toutefois, constaté qu’un grand nombre d’enjeux liés à l’utilisation de l’IA ont des implications spécifiques dans l’enseignement supérieur. C’est pourquoi la présidente de l’AFT, Randi Weingarten, a décidé de créer un deuxième groupe de travail chargé exclusivement de l’enseignement supérieur. Le groupe de travail sur l’enseignement supérieur a publié un document similaire à la publication de l’AFT sur les garde-fous pour l’éducation, mais mettant l’accent sur les préoccupations spécifiques à l’enseignement supérieur. Ce document intitulé « Key Principles for Using Artificial Intelligence » (littéralement « Principes clés pour l’utilisation de l’intelligence artificielle ») est disponible ici.

Mondes de l’éducation : quelles sont certaines des préoccupations spécifiques que l’IA suscite dans l’enseignement supérieur ?

Nous sommes préoccupés par les questions d’accès et d’équité liées à l’utilisation de l’IA dans l’enseignement supérieur. La propriété intellectuelle est un autre enjeu important auquel nous devons nous attaquer. Le déploiement de la technologie dans les établissements d’enseignement supérieur et les universités sans consultation préalable du corps enseignant constitue également un grave problème. Sans oublier, évidemment, le risque que l’IA soit utilisée pour remplacer le personnel.

Le principe fondamental de l’AFT est que l’IA doit servir à améliorer le travail et non à remplacer les travailleurs et travailleuses. Il existe certainement de nombreuses façons productives d’utiliser l’IA, mais elle ne doit pas être utilisée pour remplacer les personnels. L’être humain doit demeurer au centre de l’enseignement et de l’apprentissage, et non l’outil d’intelligence artificielle.

Nous pensons également que l’IA ne devrait pas être utilisée pour prendre des décisions concernant le recrutement ou la titularisation. Nous nous efforçons de faire en sorte que seul·es les êtres humains prennent des décisions en matière de titularisation et de recrutement et que les droits du personnel temporaire soient protégés et ne soient pas davantage compromis par l’utilisation de l’IA.

Mondes de l’éducation : comment votre syndicat envisage-t-il de répondre à ces préoccupations ?

Nous voulons nous assurer que l’IA constitue un enjeu de base à l’ordre du jour des négociations collectives. À cette fin, nous élaborons des clauses types qui peuvent être partagées par les syndicats de différentes institutions.

Cependant, nous voulons également nous assurer que les enjeux de l’IA fassent partie de l’agenda de gouvernance partagée plus large dans les établissements d’enseignement supérieur. Les décisions ne peuvent pas être prises exclusivement par l’administration pour être ensuite exécutées par le corps enseignant. Les syndicats doivent être impliqués, que ce soit par la négociation d’une nouvelle clause dans le cadre de la négociation collective ou par le biais de la gouvernance collégiale.

Le corps enseignant doit, par exemple, être impliqué dans les décisions relatives à l’achat et à la fourniture d’infrastructures informatiques et ce, à un stade précoce du processus. Les décisions relatives à l’achat de technologies ont des implications majeures sur la manière dont l’enseignement, la recherche et le travail administratif sont effectués, et peuvent enfermer les organisations dans des engagements à long terme. C’est pourquoi le personnel académique, par l’intermédiaire des syndicats, doit être impliqué dans ces décisions à un stade où il est encore possible de les influencer de façon significative.

Les activités du groupe de travail de l’AFT sur l’IA dans l’enseignement supérieur se poursuivent et l’intégration de la participation syndicale dans la prise de décision et les négociations sur l’utilisation de l’IA dans l’enseignement supérieur sera fondamentale pour la suite de nos travaux.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.