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Mondes de l'éducation

Pas une exception, mais une nécessité: Enseignantes et enseignants en situation de handicap dans les écoles ordinaires

Publié 30 juin 2025 Mis à jour 30 juin 2025
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Où sont les personnels enseignants en situation de handicap dans nos écoles ?

Une question que je pose souvent à mon auditoire est la suivante : « Parmi vous, qui a bénéficié de l’enseignement d’un ou d’une professeur·e qui s’identifiait comme porteur ou porteuse de handicap durant vos années d’études ? » Sur 50 à 60 personnes, généralement seules une ou deux mains se lèvent.

Ce n’est pas surprenant. Les enseignantes et enseignants en situation de handicap exercent rarement dans les écoles ordinaires [1] et il existe peu de statistiques fiables sur le sujet à l’échelle internationale.

Au niveau mondial, si d’importants progrès ont été réalisés en matière d’inclusion des élèves en situation de handicap dans le système éducatif ordinaire, ces efforts s’appliquent rarement aux personnels enseignants. Il s’agit d’une occasion manquée. Bien que provenant principalement de pays à revenu élevé, la littérature scientifique disponible montre que les personnels enseignants en situation de handicap qui exercent en école ordinaire peuvent être d’importants vecteurs de changement : ils sont plus susceptibles d’adapter les leçons aux différents besoins des élèves, ils servent de puissants modèles pour les élèves en situation de handicap comme pour les autres et enfin, ils remettent activement en question les préjugés de la société.

Pour autant, nous en savons peu sur leur expérience et leur vécu dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Afin de remédier à ce manque de connaissances, la Learning Generation Initiative (LGI) et le réseau de Cambridge pour la recherche sur le handicap et l’éducation (CaNDER, de son acronyme en anglais) ont lancé une nouvelle synthèse de la recherche avec le soutien de What Works Hub for Global Education. Cette étude, co-écrite avec Katie Godwin (LGI), résume les données existantes concernant les personnels enseignants en situation de handicap qui exercent en école ordinaire et donne un aperçu de la manière dont ces enseignantes et enseignants sont intégré·es aux politiques et à la planification en matière d’éducation dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

La synthèse s’appuie sur les données collectées sous l’égide du CaNDER par le biais d’entretiens et d’activités participatives avec des enseignantes et enseignants en situation de handicap dans neuf pays à revenu faible et intermédiaire : l’Inde, le Rwanda, le Népal, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, le Kenya, Sri Lanka, le Brésil et la Jordanie. Les enseignantes et enseignants participant au projet s’identifiaient comme étant porteurs ou porteuses de handicap et présentaient diverses limitations fonctionnelles, principalement en lien avec la mobilité, la vue et l’audition.

Le but de cette synthèse ? Porter la voix de ces enseignantes et enseignants et formuler des recommandations claires et faciles à mettre en œuvre, fondées à la fois sur des expériences vécues et sur l’analyse des politiques. Nous souhaitons également valoriser l’expertise des personnels enseignants en situation de handicap et leur point de vue dans les processus d’élaboration de pratiques éducatives plus justes.

Ce que les enseignantes et les enseignants nous ont rapporté

Le handicap n’est pas une catégorie homogène et l’intersection entre le genre, le type de handicap, la région géographique et d’autres facteurs en font une expérience de vie très complexe. Pourtant, dans les neufs pays étudiés, les personnels enseignants en situation de handicap ont fait part de témoignages étonnamment semblables. Parmi les participantes et participants, un grand nombre se sont déjà senti·es exclu·es, se voyant attribuer des matières auxquelles on accordait moins d’importance, faisant face à des réticences de la part de la direction d’école et ayant connu peu d’opportunités d’évolution de carrière.

Néanmoins, leurs récits étaient également pleins d’espoir. Avec le temps, les enseignantes et les enseignants ont noué de bonnes relations avec leurs élèves comme leurs collègues. Ce qui est apparu le plus clairement, c’est leur résilience et la conviction profonde que leur travail est essentiel, en particulier la promotion de l’inclusion et le changement du regard porté sur le handicap dans et en-dehors des salles de classe.

Par ailleurs, il est intéressant de relever que de nombreux enjeux cités par les personnels enseignants des pays à revenu faible et intermédiaire se retrouvent également dans des systèmes éducatifs disposant de plus de moyens, comme en Angleterre.

Que se passe-t-il au niveau des politiques publiques ?

Dans le cadre de cette étude, nous avons examiné sept pays à revenu faible et intermédiaire (Inde, Kenya, Ghana, Tanzanie, Rwanda, Sierra Leone et Afrique du Sud). Il apparaît que peu de données nationales sont collectées sur les personnels enseignants en situation de handicap et que ces données sont rarement exploitées de manière systémique. Bien que la moitié des pays mentionnent la représentation des enseignantes et des enseignants en situation de handicap dans leurs politiques, seul le Kenya a établi des objectifs clairs en matière de recrutement. Quatre pays abordent la question de l’accessibilité des infrastructures et seuls trois incluent une formation préalable à la prise de fonction ou du développement professionnel pour les personnels enseignants concernés.

Recommandations des enseignantes et des enseignants en matière de changement

D’après leurs expériences, les enseignantes et les enseignants ont défini les priorités suivantes de manière à impulser un changement :

1. Des infrastructures scolaires accessibles

La plupart des participantes et participants ont mentionné des barrières physiques : des bâtiments et portails inaccessibles, voire des routes dangereuses. En Éthiopie, les personnels enseignants ont par exemple évoqué les routes inondées lors de la saison des pluies. En Inde, au Népal, au Rwanda et en Éthiopie, ils ont mis en évidence le manque de toilettes, de salles de repos et d’installations sanitaires de base propres et accessibles.

2. Des ressources pédagogiques et dispositifs d’assistance accessibles

De nombreux personnels enseignants manquent de matériel pédagogique accessible. Au Sri Lanka, par exemple, l’absence de manuels en braille ne permettait pas aux enseignants de se baser sur des documents accessibles. Ils devaient donc s'appuyer sur les élèves pour s'entraider en énonçant les numéros de page correspondant au contenu du cours. Parfois, les enseignantes et les enseignants dépendaient de leur entourage ou de membres de leur famille pour préparer le matériel pédagogique.

3. Un meilleur recours aux technologies de l’éducation

Les enseignantes et enseignants de Sri Lanka, d’Inde, du Rwanda et d’Éthiopie ont fait état d’un manque manifeste de technologies de l’éducation. Rakesh, un enseignant indien, a souligné que, tandis que la technologie est utilisée pour accompagner les personnes en situation de handicap dans d’autres secteurs, l’école a encore du chemin à parcourir.

4. Une sensibilisation au handicap auprès des directions d’écoles

Nombre d’enseignantes et d’enseignants font face à des difficultés en raison d’une méconnaissance de la part des directions scolaires. Originaire de Jordanie, Latifa a expliqué : « Lorsque je suis arrivée dans mon école, ma direction ne savait comment gérer mon handicap ni quel type de tâches je pouvais accomplir. » Souvent, les directions ignorent les problèmes liés au handicap ou ne cherchent pas à les résoudre.

5. Des réseaux professionnels réservés aux personnels concernés

Plusieurs enseignantes et enseignants, notamment en Éthiopie, ont exprimé le besoin d’avoir accès à des réseaux de pair·es. « Le simple fait de savoir qu’il existe d’autres enseignants et enseignantes comme moi m’aiderait », a déclaré Serkalem, en Éthiopie.

6. Des directives claires et mieux mises en œuvre

Si la plupart des pays disposent de lois visant à protéger les droits des personnes en situation de handicap, peu abordent spécifiquement la question des personnels enseignants en situation de handicap. À propos du décalage entre politiques et pratiques, Addisu, originaire d’Éthiopie, a estimé que « l’écart entre ce qui est discuté et ce qui est effectivement fait est aussi grand qu’entre la terre et le ciel. »

Appel à l’action

D’après les témoignages des enseignantes et des enseignants et l’analyse des politiques, les résultats de la synthèse de la recherche appellent à des actions dans les domaines suivants :

  • Données : inclure le handicap comme une catégorie à part entière dans les collectes de données habituelles. Cette mesure à faible coût est cruciale pour les activités de mise en œuvre, de suivi et d’accompagnement.
  • Recherche : investir dans des informations fiables afin de répondre au manque de connaissances, en particulier en ce qui concerne l’influence des enseignantes et enseignants en situation de handicap sur l’apprentissage et les résultats des élèves.
  • Politiques et pratiques : élaborer des politiques éducatives inclusives qui visent à soutenir les personnels enseignants en situation de handicap tout au long de leur carrière. Garantir l’accès au matériel pédagogique, au mentorat et au développement professionnel.

Les enseignantes et les enseignants en situation de handicap ne sont pas des exceptions dont il faut s’accommoder. Ces personnels représentent des voix essentielles qui enrichissent le tissu de notre système éducatif et nous rappellent que la véritable inclusion ne commence pas à la marge mais au cœur de nos salles de classe.

1. ^

Le terme « école ordinaire » fait référence à une institution pédagogique classique qui dispense un enseignement à tous les types d’élèves, y compris celles et ceux ayant des besoins éducatifs particuliers. L’école ordinaire se caractérise par l’inclusion des élèves en situation de handicap au sein d’environnements pédagogiques généraux, ce qui leur permet d’apprendre au côté de leurs pairs. Les écoles ordinaires se distinguent des écoles spécialisées, destinées spécifiquement aux élèves ayant des besoins pédagogiques particuliers.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.